En préambule :
À qui ne s’adresse pas mon Séminaire :
Réponse succincte à la lettre ouverte de Daniel Demey :
« Cher Stéphane Zagdanski,
bonjour
Vous avez parlé d’une de vos présentations comme une ‘‘Psychanalyse de la Palestine’’.
Cette référence ne devrait pas s’appliquer à votre objet de travail.
Une psychanalyse ne peut s’appliquer à un ensemble, à un collectif, à une situation sociale ou politique, à quelque chose qui ne se passe pas dans le cadre d’une cure analytique, dispositif inventé par Freud. C’est toujours et uniquement une affaire entre deux personnes, le psychanalyste et l’analysant dans une adresse ‘‘confidentielle’’ de désirs, dite aussi d’extimité. L’interprétation d’une situation politique ou sociale peut certes utiliser des concepts de la psychanalyse ou des schémas de ce que produit le discours de la psychanalyse, mais jamais cette notion de ‘‘psychanalyse’’ ne peut être ravalée et proposée publiquement comme vous le faites à propos d’un ou d’événements d’histoire sociale ou politique… »
Réponse :
J’emploie le mot « Psychanalyse » au sens où Freud use de celui de « psychopathologie » dans l’expression « Psychopathologie de la vie quotidienne ». Soit une étude circonstanciée des « troubles psychiques » associée à une question qui traverse une société donnée, en l’occurrence celle des attentats-suicides fomentés par le Hamas contre Israël. Il va de soi que la pratique revendiquée et organisée de l’attentat-suicide par un groupe d’êtres humains et sa revendication socio-culturelle soutenue par toute une idéologie – y compris les mères même des suicidés –, sont profondément pathologiques à mes yeux.
Ce n’est pas la première fois que des psychanalystes (toujours lacaniens) me reprochent mon usage trop léger à leurs yeux de l’expression « Psychanalyse de… ceci ou cela » (c’était à propos de ma « Psychanalyse de la Marseillaise »). Pour dire les choses avec courtoisie, les psychanalystes ont parfois un rapport au langage qui n’est pas celui des créateurs. En l’occurrence le mot « Psychanalyse » m’a convenu pour des raisons prosodiques d’allitérations avec le mot « Palestine ». N’étant pas psychothérapeute mais écrivain, je suis sensible à ces choses-là. Je ne me suis jamais interdit d’user métaphoriquement de quelque mot que ce fût pour ne pas contrarier une corporation. Tout est métaphorisable, car tout est métaphore. Le mot « métaphore » même est une métaphore faisait remarquer Borges.
Pour conclure ces remarques liminaires, je voudrais revenir maintenant sur un détail de la précédente séance, concernant les surnoms (kunya en arabe) « Abu-Surur » et « Abu-Shahid » du suicidaire palestinien au perpétuel sourire enfantin que j’ai longuement évoqué.
Je vais citer un extrait d’un passionnant échange d’emails que j’ai eu avec une personne remarquable nommée Marwa Ali Khaireh, dont j’ai cru au départ qu’il s’agissait d’une dame d’environ 70 ans, professeur d’arabe ou de théologie musulmane à l’université, avant qu’elle ne m’apprenne qu’elle était une jeune étudiante en lettres de 21 ans !
Monsieur Zagdanski,
Je me permets de vous envoyer ce message pour vous signaler que le surnom du suicidaire qui vous a semblé si incongru « père de… » est une manière assez fréquente en arabe de donner un nom qui renvoie à un trait saillant d’un caractère, souvent en bien. C’est par le surnom « père de… » qu’est marqué ce qui « illustre » la personne : mieux que le nom propre. Ce jeune homme en se surnommant « Abu Surur » ne dissimulait donc pas quel plaisir il escomptait avoir (surur voulant dire « contentement, plaisir »). Ci-joint une notice de l’Encyclopédie BRILL sur le sujet. Le cas des combattants palestiniens y est évoqué.
Bien cordialement…
Ma réponse :
C’est surtout à propos du surnom « Abu Shahid » que je me posais des questions. Je me demandais si « Abu Shahid », qui signifie donc « père du martyr », n’impliquait pas, logiquement, qu’il était comme le « père » de lui-même en tant que futur shahid ? Et s’il avait voulu signifier qu’il était père de l’acte de martyre, n’aurait-il pas dû s’appeler « Abu Shahida » ?
Encore merci de vos éclaircissements.
Sa réponse :
Je devine un peu le sens de votre question.
Il y a d’abord le cas où « Abu Shahid » fait état de la seule filiation réelle [parfois, le surnom reprend un nom propre, le sien propre ou celui d’un autre homme « illustre » : comme l’a fait Y. Arafat.] et l’on désignera par là le père de tel ou martyr, « shahid » pour un homme martyr, « shahida » pour une femme martyre.
Le shahid qui prend lui-même le surnom de « Abou Shahid » se réclame donc de l’acte du martyre qui le fera « naître » en tant que shahid, martyre qui se dit « istishhad » et non pas « shahida » qui désigne seulement la femme martyre, et si nous devions renommer littéralement notre homme nous l’appellerions « Abou istishhad » ou « Abou shahada », ce ne serait pas faux grammaticalement.
Pourtant, il me semble que « Abu shahid » contient déjà cette signification de « père du martyre », du martyre à venir que vous pouvez voir littéralement transparaître par l’usage du nom commun qui désigne le « martyre» : le martyr « shahid » signifiant logiquement l’acte « istishhad » causé par lui-même, dont il revendique la « paternité ».
Tandis que ce « Abu istishhad » signifie « la paternité » de l’acte du martyre, et sonne bizarrement : car que voudrait dire « père du martyre », du martyre-en-général ? il s’agit du sien propre de martyre…et de son « devenir » en tant que martyr.
Le surnom manifeste une qualité, une « propriété » de la personne, ce qu’elle est.., il n’est pas donc étonnant de voir que le nom qui désigne la personne du martyr en vienne à signifier très exactement l’acte du martyre lui-même.
Je pense en effet que les deux formules « Abou istishhad » et « Abou shahid » ne sont pas strictement équivalentes.
Ma réponse :
Je comprends mieux la distinction. D’après ce que vous m’apprenez, puisque « shahid » désigne l’humain et « istishhad » l’acte lui-même, ou son projet, pourquoi en concluez-vous que « Abu Shahid », surnom dont le martyr futur s’affuble lui-même, ne désignerait que la paternité de l’acte qui va le faire naître, lui l’homme, comme fils de son acte ?
En outre, le « istishhad » étant assimilé à un « mariage », ai-je tort de considérer que symboliquement, le martyr (l’homme ) accomplirait par son acte une liaison avec sa mère (symboliquement, au sens du fantasme universel du complexe d’Œdipe), puisque son acte va le faire naître à l’instar de sa propre mère (qui l’a fait naître au sens banal). Bref, cette double naissance ne peut-elle pas faire comprendre que le mariage est aussi celui symbolique d’une union d’un fils avec sa mère, qui elle-même, cette union, bénéficie de l’oubli dans lequel tombe le père réel (dont le martyr reprend le rôle comme « Abu ») et la « ganhyiah », la jolie fille symboliquement prostituée ?
Qu’en pensez-vous ? Cela vous semble-t-il trop tiré par les cheveux ?
Sa réponse :
Je voudrais rectifier une erreur que j’ai faite : « shahida » est aussi comme « l’infinitif » du verbe (la forme utilisée pour identifier un verbe dans le dictionnaire, sa racine la plus épurée des flexions, comme en français l’infinitif) qui signifie « témoigner, attester », dont est tiré le nom verbal « shahada » et « shahid » ( pour un homme), « shahida » pour une femme. « Shahida » le verbe, paraît, en translittération, être parfait homonyme du nom qui désigne la femme martyre, ce n’est pas le cas en arabe, où l’on distingue aisément qui est quoi.
Vous écrivez : « Pourquoi en concluez-vous que « Abu Shahid », surnom dont le martyr futur s’affuble lui-même, ne désignerait que la paternité de l’acte qui va le faire naître, lui l’homme, comme fils de son acte ? »
Si, d’après vous, il devrait s’appeler « shahida », voulez-vous dire qu’en tant qu’il se porte comme futur shahid, qu’il « s’enfante » comme tel, il devrait se renvoyer à lui-même en termes féminisés et s’identifier à sa propre mère ? (ou bien avez-vous confondu avec le nom « shahada » qui signifie, entre autres, l’acte du martyre). Mais c’est perdre de vue que c’est le premier terme « Abu » qui signifie la vertu « matricielle » ; l’expression est je le sais paradoxale : la mère occultée dans le mot pointe figurativement.
Vous avez raison sur la liaison qui unit symboliquement le shahid à celle qui l’a enfanté et l’éviction du père.
Car ce face à face entre un prétendant au martyr et sa propre mère est lui-même rapporté dans un hadith très célèbre, que nous n’avez pas cité mais qui donne à voir ce nœud « œdipien ».
Ce hadith très très très connu dit que « Le Paradis se trouve sous les pieds de la mère » et il est dit qu’un homme qui se promettait au martyr est venu demander conseil au prophète qui lui a recommandé de se « promettre » à sa mère.
Combien de fois n’ai-je pas entendu cette parole de la bouche de ma propre mère
!
<Dans un email ultérieur : Voici donc le hadith que j’ai évoqué précédemment, il ne s’agit pas d’un martyr, il ne se désigne pas comme tel, mais d’un homme « qui veut » : c’est très intéressant, mais je ne peux pas m’y arrêter : il lui dit je veux « tendre vers », (ce même mot qui signifie, « vouloir » signifie y aller : et vers quoi va-t-on « par excellence » ? à quoi « s’évertue » t-on ? à la guerre) : cet homme est donc sur « une certaine lancée » ( il est déjà conduit d’un désir d’y aller) quand il aborde le prophète et va à sa rencontre, et le prophète « coupe court » à quelque chose .
« Il a été rapporté de Mu'awiyah bin Jahimah As-Sulami, que Jéhimah est venu au Prophète et dit : "O Messager d’Allah ! Je veux sortir et combattre (dans le Jihéd) et je suis venu te demander ton conseil". Il répondit : "As-tu une mère ?" Il dit : "Oui." Il a dit : "Alors reste avec elle, car le Paradis est sous ses pieds." »
Voilà en substance ce que j’allais vous dire : je me suis aperçue qu’avant d’avoir cette formule « le Paradis est sous les pieds de ta mère », le prophète avait fait une injonction, et que cette injonction traduite ici par « rester auprès, demeurer », est encore plus « parlante » que ce que je vous avais dit la dernière fois : il s’agit de combler la mère… littéralement : de ne pas lui manquer : de ne pas lui « fausser compagnie » (comme est suspecté de le faire cet homme qu’on imagine plein d’ardeur venu « s’engager » au combat), de ne faillir à aucune obligation (car il y a aussi histoire de dette, d’obligation, de « jouissance » au sens anglais de « to enjoy », posséder, tirer un grand plaisir de quelque chose, dans le hadith que vous avez cité, c’est très clair), en un mot : il s’agit d’y pourvoir.>
Cette scène rapportée dans le hadith est évidemment la matrice, c’est le cas de le dire, du surgissement paroxystique en Palestine du phénomène de l’attentat-suicide. Le martyr est « renvoyé » à sa mère (selon ce lien symbolique) et l’acte du martyre n’est pas empêché, comme on pourrait le penser, mais différé, et menace de ressurgir selon le bon plaisir de la mère.
On comprend mieux que cette invincibilité du désir de la mère fasse contagion et se transmettant de « mère en fils » pousse de très jeunes hommes à mourir en martyr sans qu’il y ait un gain tactique (vous aviez d’ailleurs évoqué cette conversion de la défaite en victoire).
Voilà, plus récemment, ce désir morbide exprimé sans ambages ( et assez comiquement) par un rappeur français musulman et visiblement religieux
:
J’ai découvert, après une rapide recherche internet, que la mère qui est morte en accouchant est elle-même assimilable, selon une certaine tradition, à une martyre. On imagine très bien les combattants du Hamas, au stade où en est le délire « matriotique », pleurer (sans rire !) la mort d’une mère, elle-même «pondeuse de martyrs », comme si c’était une martyre elle-même.
Ma réponse :
La question porte en fait sur la paternité, de quoi le shahid est-il ou sera-t-il le père ? De l’homme qui commettra l’acte, et qui « naîtra » à la gloire et à la sainteté par cet acte ? Ou de l’acte lui-même, qu’il porte en lui comme une virtualité, et qu’il va faire naître (l’acte) en l’accomplissant.
Ce qui est surtout troublant, ce sont toutes les associations symboliques du « mariage », du mahr (de la dot de sang), du henné et des ullulations à ses funérailles… Mon interprétation est que c’est à la mère qu’il s’associe symboliquement, mais aussi à la mort (pour qui et avec qui la mère a fait cet enfant, en quelque sorte)… En tout cas l’effacement de la figure du père réel est patente dans l’idéologie du shahida. Le reste est sans doute un imbroglio névrotique où tout tourne autour de la jouissance morbide de la mère (manipulée par l’idéologie évidemment).
Ma propre mère a eu une mère-crocodile très dure, et elle-même aurait pu peut-être en être une (sur le mode de la mère juive) si mon père n’avait pas été une figure patriarcale parfaite (au bon sens du terme).
Je me souviens que ma mère, qui se désespérait que je ne sois toujours pas marié après trente ans, m’avait sorti un jour : « Quand est-ce que tu me fais un enfant ? » (sous-entendu : que tu te maries et que j’aie un petit-enfant). Je lui ai répondu du tac au tac : « Jamais ! »
Mes respects à votre mère, qui a donné naissance à une femme si intelligente et érudite !
Enfin, une nouvelle interprétation très intéressante de Marwa Ali Khaireh :
Voici d’autres choses qui me sont venues à l’esprit et que j’aurais voulu ajouter : c’est le terme de « razzia » entré dans le vocabulaire français, et qui y a une acceptation plus bornée qui apparaît dans le mot-à-mot arabe du hadith et qui signifie, entres autres, le combat, et l’expédition militaire mais aussi donc l’ardeur d’une volonté qui s’évertue, à prouver sa mâle masculinité.
Or, la razzia, ici, n’a rien à voir (à mon sens) avec la cause de Dieu ( le djihad) mais tout à voir avec la jouissance très personnelle, liée à son honneur d’homme qu’il doit garder « sain et sauf ».
Mais elle n’a aussi rien à voir avec la mort (que lui promet, très étrangement, le prophète, qui a partie liée avec le Paradis : et c’est sans doute l’apparition de ce mot qui motive une certaine lecture « djihadiste » de ce hadith) car si le combattant désire « braver » la mort, il espère secrètement ne pas y « succomber », or c’est précisément « sa tombe » que lui montrera le prophète : la mort à venir, qu’il « hâtera », et lui disant, dans le même temps, de ne pas se presser « d’y aller », d’aller se risquer à mourir, très très drôle : car le prophète lui dit, je traduis et explique à ma manière : la mort que tu veux aller chercher [sur le mode de « s’y risquer », de la « bravoure »] je te l’assure « à 100%», je te la garantis, je te l’assure, elle adviendra à coup sûr, tu la trouveras, tu y succomberas, suffit d’aller voir la mère… nul besoin d’aller voir ailleurs.
Quand on sait que le terme par lequel le prophète lui demande de « rester » signifie d’abord en arabe être « indéfectiblement » le compagnon de quelqu’un (ce n’est pas « rester » mais ne pas se séparer, se quitter) et que le terme traduit par « tenir compagnie » dans le hadith que vous avez vous-même cité recouvre un spectre large du « lien intime » qui va de la relation maître/élève jusqu’au concubinage, (vous vous ferez une idée de ce glissement en consultant par exemple la définition du verbe « sun-eimi » du Bailly, car le grec ancien raisonne ici très exactement comme l’arabe), cette expression prend une autre tournure… qui corrobore ce que vous avez vu de la relation mère-fils exhibé dans le cas symptomatique du martyr.
Bref, le prophète va « au devant » du désir « de mourir » exprimé par le jeune homme, et l’exauce à la lettre.
Le combattant tombera, mais cette fois sous les coups de la mère, il lui « succombera » et sa mort ne sera que l’autre nom du Paradis virtuellement situé au lieu d’une « pierre tombale » que la mère « foule aux pieds » tous les jours d’une existence érigée sur « un homme fini », qui a fait retraite de son ardeur.
Enfin, après que je lui ai demandé des précisions sur le mot-à-mot dans le hadith sur la « triple mère », la prodigieuse Marwa Ali Khaireh m’a donné les renseignements suivants :
Voici le hadith que vous avez cité, j’y reviendrai en expliquant pourquoi j’ai rapproché le verbe traduit par « rester auprès » du « suneimi » grec.
Dans le hadith cité par moi, le verbe qui est traduit en anglais par « stay with her » est le verbe « لَزِمَ » en translittéré, avec la vocalisation : « lazima », ce verbe figure dans le texte sous la forme d’une injonction, un impératif appuyé par un suffixe, qui est assez courant, constitué de la lettre « ف »: «فَالْزَمْهَا », en translittéré : « faālzamha », je ne pas très bien comment il faut translittérer, mais c’est une prononciation correcte, je crois.
A la première ligne : vous reconnaitrez le verbe « لَزِمَ » (lazima) donné comme un synonyme du verbe «لَذِيَ » ( laḏiyah), et qui est suivi d’un autre verbe « لَمْ يُفَارِقْهُ » (lam yūfariqhu) qui signifie « ne pas se séparer » :
A la dernière ligne : le nom verbal « لِزام »« lizām » tiré d’une certaine forme du verbe «لَزِمَ » (lazima) et qui signifie « nécessaire », « obligatoire ».
Le Hans-Wehr résume bien ce passage de : « tenir à », « s’en tenir à » à « être tenu à » ( « être sous le coup d’une impérieuse obligation »), par la suite, « être nécessaire », « avoir besoin ».
Le Kazimirski, et j’apprends, que le mot « coit » se dit en arabe «لِزَاقً » (lizaaqann) par un nom verbal tiré du verbe « coller à », « لَزِقَ » (laziqa) proche parent de celui que nous avons vu plus haut, et qui est donné comme synonyme de «لَزِمَ » : quel hasard !
Le premier sens du verbe « لَزِمَ », est comme vous le voyez « être attaché à » [étroitement, vivement, ou pour la vie], et contient ce sens qui apparaît cette fois en toutes lettres dans le hadith que vous avez rapporté. L’homme qui aborde le prophète lui pose cette question : à qui dois-je, plus que tout autre, faire bénéficier de ma compagnie ? et le terme rendu par « tenir compagnie » est «صَحَابَتِي »
Ce sens là, d’attachement, est très très ancien. Un dictionnaire arabe du XIe siècle, Maqayis al-Lugha’ de Ibn Faris, pour expliquer le verbe «لَزِمَ » , écrit ceci, avec toute la miraculeuse et incisive concision qui peut caractériser la langue arabe :
«يَدُلُّ عَلَى مُصَاحَبَةِ الشَّيْءِ بِالشَّيْءِ دَائِمًا» : « indique le fait pour une chose d’entretenir «مُصَاحَبَةِ » avec une autre une relation qui perdure à travers le temps »
La traduction est délicate. Mais je voulais ici vous montrer que le mot primordial qui explique « لَزِمَ » dans ce dictionnaire est « مُصَاحَبَةِ » mot qui figure presque tel quel ( صَحَابَتِي ) dans le hadith que vous avez évoqué.
Je crois que vous voyez maintenant quel lien unit ces deux termes.
Le rapprochement avec « suneimi » concernait le «صَحَابَتِي » ( où l’analogie avec le grec est frappante) mais il vaudra sans doute, après ce qui vient d’être dit, pour «لَزِمَ» .
Une précision ultérieure :
Un autre hadith, et une variante de celui-là montre : un jeu de mot (« résonnance » sonore, une allitération) entre le « Garde-toi » que lance le prophète au jeune homme, sous-entendu : d’aller vouloir mourir au combat, interjection qui en arabe exprime le châtiment qui guette ! il ne luit prédit rien de moins que l’Enfer s’il venait à commettre ce « pas fatidique », et le terme « en vie » quand le prophète s’enquiert de l’existence d’une mère ici-bas.
« Je suis venu voir le Messager d'Allah (ﷺ) et j'ai dit : " Ô Messager d'Allah, je veux partir au Jihad avec toi, cherchant ainsi la Face d'Allah et l'au-delà. Il dit : "Malheur à toi ! Ta mère est-elle encore en vie ? J'ai dit : "Oui". Il m'a dit : "Retourne et honore-la". Puis je me suis approché de lui de l'autre côté et j'ai dit : "Ô Messager d'Allah, je veux partir au Jihad avec toi, cherchant ainsi la Face d'Allah et l'au-delà". Il me dit : "Malheur à toi ! Ta mère est-elle encore en vie ? J'ai dit : "Oui". Il m'a dit : "Retourne l'honorer". Puis je me suis approché de lui par devant et lui ai dit : "Ô Messager d'Allah, je veux partir au Jihad avec toi, cherchant ainsi la Face d'Allah et l'au-delà". Il me dit : "Malheur à toi ! Ta mère est-elle encore en vie ? J'ai dit : "Oui". Il a dit : "Retourne la servir, car le Paradis est là". »
Il y a aussi une étrange chorégraphie : celui qui aspire au Djihad aborde le prophète, et chaque fois, il arrive, selon le hadith, d’un « côté » différent, et pour échanger à chaque fois les mêmes mots, et ce n’est qu’à la troisième fois qu’il abordera le prophète de face.
Le combattant dit son désir de gagner la vie d’au-delà, qu’il veut s’engager au combat « aux côtés » du prophète, et combattre pour le « visage d’Allah ». Le prophète l’avertit du danger qu’il court s’il venait à s’y risquer, et lui donne congé, en lui disant : retourne chez ta mère, que tu honoreras, sans quoi, c’est ainsi que je le vois, il ira périr en Enfer, et, cette fois, irrévocablement, sans retour possible.
On comprend donc qu’il s’agit ici de « faire marche arrière », de ne pas poursuivre sur la « lancée », de revenir sur ses pas, de retourner, pour se terrer chez la mère.
Il est écrit que cet homme s’était montré une fois déplaisant ( plus que ça : désobligeant) envers le prophète : il vaut donc mieux pour lui de se retirer, de ne pas se montrer au prophète ( de qui il se sait mal-vu : on comprend ses louvoiements), de ne pas se découvrir, de se faire tout petit : il a déjà perdu la face, et cette honte qui doit le faire désirer d’ « être cent pieds sous terre », il doit la couver chez la mère…il rentre au « bercail » mais singulièrement mortifié par la réponse du prophète. L’honneur (perdu) il ne peut l’espérer le regagner qu’ainsi.
Ce hadith laisserait entendre, c’est une digression que je fais : le djihad n’est « recevable » ( au sens littéral du bon accueil que lui réserve le prophète) que si l’on a un espèce d’agrément du prophète, à qui il faut plaire, et qu’on ne s’est pas déjà déconsidéré à ses yeux, au yeux de la religion, par des actes antérieurs, et qui entacheraient toute la démarche de celui qui se destine au combat.
Le prophète lui indique t-il une sorte de pis-aller, ( à sa propre compagnie qu’il refuse de lui donner) en lui montrant le chemin du « retour » vers la mère ?
(À suivre)