Évoquer rapidement la censure de la séance 39 par YouTube à cause des suicidés de Shanghaï
Répondre à une remarque judicieuse de Karen Mary Berr :
« Il y a un point sur lequel je ne suis pas tout à fait d’accord … c’est quand tu dis qu’une des différences entre l’idéologie sanitaire actuelle et l’idéologie sanitaire nazie est l’aspect financier (donc capitaliste) Car s’il n’y avait pas eu — à la clé — l’enrichissement personnel en premier lieu (lors des premiers passages à tabac des S.À contre les juifs en Allemagne, d’ailleurs même chez les enfants qui ont survécu on retrouve les mêmes témoignages, c’est aussi pour leur «faire les poches » ou les premières incarcérations dont le but final était de signer un document abandonnant toutes ses possessions au Reich) et l’enrichissement du régime lui-même une fois établis les contrôles empêchant l’enrichissement personnel de ses propres troupes ( le pillage des œuvres d’art et de tout le mobilier/bijoux/etc… par Rosenberg partout en Europe et ce que tu sais aussi bien que moi de la spoliation à grande échelle, le discours nazi n’aurait pas autant séduit. En l’étudiant, j’ai trouvé le régime nazi très capitaliste, vraiment basé sur l’enrichissement et l’esclavagisme… L’aspect financier pour moi est très similaire…
il y a une chose aussi qui m’avait sautée aux yeux, dans les discours de Goebbels, c’est l’insistance sur le fait qu’il n’y aurait plus ni communisme ni capitalisme mais seulement cette grande idée du IIIème Reich qui allait apporter le pain et la liberté à tous… Ce qu’on retrouve aujourd’hui avec cette annulation des mêmes pôles politiques dans la vidéo de Davos et aussi dans nos politiques nationales en Europe. La lutte des races (puisque nous somme à nouveau dans l’idéologie d’une race humaine supérieure et pure) qui remplace la lutte des classes… c’est assez effrayant comme tout ça se répète.
Pour la justification du nazisme, elle n’est pas seulement hygiénique non. L’extension à l’Est est un gain d’espace vital, les troupes de la Werhmacht et des S.S reçoivent des ordres très précis pour diffuser des images et des lettres appuyant sur la richesse qu’on conquiert, le gain est l’idée numéro un de la propagande (les champs de blé à perte de vue, les villes et appartements à disposition des conquérants (une fois les juifs et locaux expulsés) . En 1941. On parle autant de nettoyage que de profit et les deux sont extrêmement liés. Fusionnées oui. Ce qui est caché n’est pas l’esclavagisme des camps pour les usines allemandes d’ailleurs, Ravensbrück, Dachau, tout le monde sait ce qui s’y passe, la part de secret c’est l’extermination ( par le travail et par le gaz).
L’idée de la force économique du Reich est présente dès le début. Elle va de pair avec le corps sain, elle motive même cette idée. Sans ce versant elle est inefficace d’ailleurs…»
La Cybernétique, en tant qu’elle se consacre par destination à l’utilisation de l’humain par l’humain (The Human use of Human Beings pour reprendre le titre d’un essai de Norbert Wiener qui succéda plus explicitement à ce que laissait déjà espérer son classique Control and Communication in the Animal and the Machine), elle a toute sa place dans la gestion de la santé de populations planétaires soumises à la même affection transmissible.
L’idée contemporaine du sain et du malsain s’est imposée partout à partir de la seule misérable conception cybernétique du « corps » et de l’« esprit » – ce que les cybernéticiens qualifient d’« intelligence » – comme assemblage prothétique d’organes substituables, du plus coutumièrement visible (la peau, une main, un bras..) au plus intérieur (un rein, un poumon, un lobe de l’encéphale) et jusqu’au plus infime comme le gène.
Or cette conception du corps et de l’esprit comme assemblage d’éléments modulables et remplaçables, de la main jusqu’au gène, n’est que la projection fantasmatique en miroir de ce qu’elle-même, la Cybernétique, est un amalgame parfaitement arbitraire d’hypothèses et de théories issues de sciences et de modes de penser artificiellement regroupés et connectés (pour employer leur vocabulaire si parlant) – quel rapport objectif y a-t-il, par exemple, entre la neurologie et les mathématiques ?
Il n’y a pas de savoir cybernétique sans cette interdisciplinarité ni cette transdisciplinarité. Le trans-humanisme n’est que la traduction philosophique de la transdisciplinarité cybernétique, et l’idéologie de la bonne santé du corps contemporain l’aboutissement logique de cette philosophie qui n’est au fond qu’une grossière déviance épistémologique, évidemment incapable de se questionner comme telle, puisque selon la géniale formule heideggérienne, « la science ne pense pas. »
Dès lors, pour les ploutocratiques Cybernéticiens qui mènent le monde, de même qu’il est loisible de remplacer par sa prothèse artificielle une main humaine – voire un cœur ou un rein, et bientôt un œil ou un lobe temporal –, il est envisageable de trafiquer cet ultime et originel élément générique de chaque corps – le gène – que l’insatiable science a cru découvrir en étudiant les pois comestibles, le sperme de saumon, la mouche du vinaigre et aussi bien désormais le coronavirus dont tous les génomes traqués et répertoriés n’ont pourtant pas rendu les scientifiques plus habiles ni moins médiévaux dans leur rapport à la pandémie !
Le philosophe Ivan Illich – grand critique de la société industrielle que je découvre, et que j’ajoute sans hésiter au panthéon des auteurs à lire d’urgence en ces temps sombres –, dans un texte intitulé L’obsession de la santé parfaite1 paru en 1999 dans Le Monde diplomatique, évoque une « désincarnation de l’égo », induite par la fascination qu’entretiennent les techniques du regard médical :
« On pousse le patient à se regarder à travers la grille médicale, à se soumettre à une autopsie dans le sens littéral de ce mot : à se voir de ses propres yeux. Par cette auto-visualisation, il renonce à se sentir. Les radiographies, les tomographies et même l’échographie des années 70 l’aident à s’identifier aux planches anatomiques pendues, dans son enfance, aux murs des classes. La visite médicale sert ainsi à la désincarnation de l’ego. »
Souvenez-vous ce que j’ai dit concernant le « regard médical » dans la toute première séance de cette série sur le Sanitarisme2 ; souvenez-vous aussi, plus récemment, dans le documentaire sur l’implication des GAFAM dans la santé publique planétaire dont je vous ai livré un extrait lors de la dernière séance, du discours enthousiaste d’un Cybernéticien sur les enseignements fournis par la plongée du regard médical assistée par Google dans la rétine humaine : https://youtu.be/veVhwCF3tLI?t=54
Cette vision cybernétique se regardant regarder pour décider du destin statistique de tous les corps constitue le summum de la désacralisation du regard humain par une « autopsie » en effet qui parachève la dichotomie virtuelle entre le charnel et le spirituel.
Tautologie du Regard et Rage de la Substitution à la « belle nature vraie » (pour citer Artaud) sont les mamelles de cette profonde imposture intellectuelle qu’est la Cybernétique, dont le transhumanisme n’est que le plus récent et caricatural développement.
Et comme rien n’arrête cette morbide tautologie de la décomposition, la pensée elle-même – croient ces béjaunes – est artificiellement réductible à l’idée malingre et ridicule qu’eux-mêmes, ces maniaques du calcul, s’en font communément.
Cette nouvelle entourloupe transhumaniste (au cœur du concept même de l’IA) n’est que l’application totalitaire et despotique à l’être de l’homme d’une ambiguïté consubstantielle et insoluble, une tautologie qui ne dit pas son nom, propre à la mathématique, soit la science même à laquelle ces maniaques doivent leurs infâmes « triomphes », de la bombe atomique au robot « Atlas» de Boston Dynamics…
Henri Poincaré l’explique très nettement dans La Science et l’hypothèse3, partant de la tentative de démonstration par Leibniz de l’exactitude de l’addition 2 + 2 = 4 :
« On ne saurait nier », explique Poincaré après avoir reproduit la démonstration de Leibniz, « que ce raisonnement ne soit purement analytique. Mais interrogez un mathématicien quelconque : ‘‘Ce n'est pas une démonstration proprement dite, vous répondra-t-il, c'est une vérification’’. On s'est borné à rapprocher l'une de l'autre deux définitions purement conventionnelles <je souligne> et on a constaté leur identité, on n’a rien appris de nouveau. La vérification diffère précisément de la véritable démonstration, parce qu'elle est purement analytique et parce qu'elle est stérile. Elle est stérile parce que la conclusion n’est que la traduction des prémisses dans un autre langage <je souligne>. La démonstration véritable est féconde au contraire parce que la conclusion y est en un sens plus générale que les prémisses.
L'égalité 2 + 2 = 4 n'a été ainsi susceptible d'une vérification que parce qu'elle est particulière. Tout énoncé particulier en mathématique pourra toujours être vérifié de la sorte. Mais si la mathématique devait se réduire à une suite de pareilles vérifications, elle ne serait pas une science. Ainsi un joueur d'échecs par exemple, ne crée pas une science en gagnant une partie. Il n'y a de science que du général. On peut même dire que les sciences exactes ont précisément pour objet de nous dispenser de ces vérifications directes. »
La comparaison par Poincaré entre les sciences exactes et les échecs est d’autant plus intéressante aujourd’hui que l’IA nous force à nuancer l’assertion de La science et l’hypothèse. D’ailleurs Poincaré y insiste en achevant ce chapitre consacré à la « Nature du raisonnement mathématique », dont l’induction dit-il, seule est véritablement créatrice.
Je rappelle la définition classique de l’induction selon le TLF :
« Type de raisonnement consistant à remonter, par une suite d'opérations cognitives, de données particulières (faits, expériences, énoncés) à des propositions plus générales, de cas particuliers à la loi qui les régit, des effets à la cause, des conséquences au principe, de l'expérience à la théorie. »
Henri Poincaré :
« Nous ne pouvons nous élever que par l'induction mathématique < « Opération consistant, une fois établi qu'il est légitime d'étendre une relation d'un terme au terme suivant de la même série, à généraliser en l'étendant de proche en proche à tous les termes de la série » TLF4>, qui seule peut nous apprendre quelque chose de nouveau. Sans l'aide de cette induction différente à certains égards de l'induction physique, mais féconde comme elle, la construction serait impuissante à créer la science. Observons en terminant que cette induction n'est possible que si une même opération peut se répéter indéfiniment. C'est pour cela que la théorie du jeu d'échec ne pourra jamais devenir une science, puisque les différents coups d’une même partie ne se ressemblent pas. »5
Or précisément, il semblerait que les algorithmiciens assistés par ordinateurs quantiques soient parvenus à transmuter « l’art » des échecs en une véritable « science » – sinon « exacte » du moins triomphale –, puisque leurs machines gavées d’intelligence artificielle savent battre aujourd’hui les meilleurs humains en ce domaine – ainsi qu’au jeu de go, paraît-il.
Comment se miracle de la technique a -t-il été rendu possible ? Par l’accumulation purement quantitative (tout est là) des milliards de différents coups possibles au cours d’une même partie. La machine a simplement compilé un colossal catalogue d’équations et a battu l’humain en célérité lorsqu’il s’est agi à chaque seconde de la partie de feuilleter cet immense inventaire de coups possibles (et de toutes les variations consécutives des coups qui allaient suivre) et choisi à chaque fois la plus avantageuse pour aboutir à la victoire. Ça s’appelle peut-être de l’intelligence artificielle mais cela n’a rien à voir avec de la pensée.
L’enseignement apporté par cette humiliante défaite de l’humain par la machine est pourtant simple : c’est que ni le jeu d’échecs ni la science ne réclament véritablement de propension à la pensée ; le meilleur mathématicien du monde n’est pas pour autant, par la grâce mécanique de ses équations, un penseur aussi subtil que Henri Poincaré expliquant pourquoi les mathématiques ne sont en rien une science de la vérité ni même du réel en soi.
Le point commun entre les sciences et les échecs, ce qui les éloigne irréversiblement de la pensée, c’est que si ceux-ci comme celles-là sont des langages – des abstractions intellectuelles réductibles à des séries de symboles (équations algorithmiques ici, notation algébrique là, soit une autre forme d’équations), ce ne sont en rien des langues. La différence ultime entre un langage et une langue, c’est qu’un langage ne vaut que par les relations qu’il établit transversalement entre ses propres éléments, lesquels demeurent du coup parfaitement interchangeables. Tandis qu’une langue est irradiée par une parole, miracle « aussi patent qu’impénétrable » (Heidegger) qui éclaire de manières diverses et insubstituables les unes aux autres (on ne peut transposer sans reste ni perdition la langue française à la langue chinoise) l’irréductible diversité des mondes des uns et des autres.
C’est assez simple à comprendre. Voici quelques pensées qu’aucune machine au monde ne sera jamais en mesure de créer ni de comprendre :
« On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. »
« L’être est, le non-être n’est pas. »
« La rose est sans pourquoi. »
« Le Temps est un enfant qui joue aux dés. À l’enfant la royauté. »
« Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »
« Être ou ne pas être, telle est la question. »
« Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Je ferai pour lui une aide contre lui. »
Est-ce assez clair ?
Au fond, ce que j’exprime ici – la différence essentielle entre calculer et penser comme entre langage et langue –, n’est rien de très original. Lors de mes séances sur Badiou j’avais cité Gerald Jay Sussman, un des spécialistes contemporains en IA, qui l’exprimait d’une manière simple, dans le style fruste des geeks du MIT :
« En mathématiques, les noms sont arbitraires. Libre à chacun d'appeler un opérateur auto-adjoint un "éléphant" et une décomposition spectrale une "trompe". On peut alors démontrer un théorème suivant lequel "tout éléphant a une trompe". Mais on n'a pas le droit de laisser croire que ce résultat a quelque chose à voir avec de gros animaux gris. »
Il y a un film intéressant qui met en scène la différence subtile entre langue et langage, et en quoi le langage manque le monde. Ce film n’en passe pas par l’outillage conceptuel de la linguistique, lequel, si l’on y songe, tâche de penser la langue en en évacuant ce qu’elle-même, la linguistique, qualifie de référent, à savoir le monde dissocié par cette dichotomie artificielle de la langue, ce qu’il n’est en réalité jamais.
Ce film est Persian Lessons de Vadim Perelman.
Bande-annonce :
Raconter brièvement le film : Dans un camion allemand qui déporte des Juifs à Buchenwald (on voit subrepticement le portail surmonté de « Jedem das seine » au début du film), soit un camp de transit vers la Pologne où ils doivent être exterminés, un jeune fils de rabbin belge, francophone et germanophone, échange son sandwich contre l’édition précieuse d’un livre en français, Mythes de la Perse, avec une dédicace en farsi translittéré (on a donc déjà quitté doublement le sol spirituel persan). Le mot « baba » de la dédicace est le seul qu’il comprenne, et cela va le sauver.
On peut faire plusieurs remarques concernant les éléments de base du film. Le livre qui sauve la vie du jeune Juif est manifestement une édition de vulgarisation de la mythologie issue de l’Avesta mazdéen (zoroastrien), dont l’une des nombreuses caractéristiques est le partage absolu entre le dieu du Bien et de la Lumière, Omzad, et Ahriman le dieu de la Ténèbre et du Mal. Une interprétation superficielle pourrait affirmer que ce manichéisme persan (le manichéisme n’est pas strictement lié au zoroastrisme mais il est également apparu en Perse au début du IIIème siècle) a sa maxime idéale dans celle de Buchenwald : Jedem da seine (qui serait platonicienne et cicéronienne à l’origine).
Mais on peut aussi l’entendre au sens où les langues sont entre elles si incommunicables, que le nazi qui croit apprendre le farsi n’ingurgite par accumulation en réalité (il se vante au cours du film des centaines de mots appris par cœur ; jamais aucune réflexion sur la grammaire, la syntaxe, les temps, les déclinaisons, etc.), d’une part que des sonorités déformées du vocabulaire allemand qu’il intime de traduire en farsi au faux persan secrètement juif (c’est un avatar masculin d’Esther), et d’autre part des lambeaux des noms des déportés qui arrivent dans le camp, dont le héros apprend par cœur la liste pour nourrir son vocabulaire imaginaire, fait de bribes de ces noms et prénoms juifs voués à l’extermination.
Pour le condenser en une phrase :
Là où les corps dotés de noms sont annihilés, les langues qui portent ces noms se brisent en éléments insignifiants d’un langage auto-référentiel qui n’a plus prise sur le monde réel ni n’est inspiré par lui. Le nazi veut ainsi ouvrir un restaurant allemand à Téhéran, degré zéro de la curiosité je n’ose pas dire spirituelle mais simplement culturelle.
Ce n’était qu’une illustration de la stérilité propre à un langage abstrait comme l’est celui de la science, stérilité dont les conséquences sur la réalité ne sont que le contrecoup dialectique de l’impossibilité de créer réellement quoi que ce soit. Entre le cheval vivant et le cheval-vapeur, quelque chose a été non pas créé mais détruit – qui permet certes au second de « surpasser » quantitativement le premier (en vitesse, en robustesse, en persévérance), mais selon certains critères exclusivement, ceux-là même dont la science a décidé a priori qu’ils étaient décisifs.
Ce n’était qu’une illustration de la stérilité propre à un langage abstrait comme l’est celui de la science, stérilité dont les conséquences sur la réalité ne sont que le contrecoup dialectique de l’impossibilité de créer réellement quoi que ce soit. Entre le cheval vivant et le cheval-vapeur, quelque chose a été non pas créé mais détruit – qui permet certes au second de « surpasser » quantitativement le premier (en vitesse, en robustesse, en persévérance), mais selon certains critères exclusivement, ceux-là même dont la science a décidé a priori qu’ils étaient décisifs.
Rappelez-vous ce que j’ai dit l’année dernière concernant le cœur de l’imposture de la sous-pensée de Badiou, qui fructifie précisément sur cette inaptitude des mathématiciens à la pensée (hormis les génies parmi eux, les Wittgenstein, les Russel, les Gödel, les Perelman, les Poincaré, les Grothendieck, qui tous contredisent fermement les ukases ontologiques lapidaires de Badiou…), pour faire passer en contrebande sa propre camelote formaliste du multiple, du générique et du prédicat, jouant sur les deux tableaux de l’incompétence des philosophes en mathématiques et des mathématiciens en philosophie (à la notable exception d’un Guillaume Destivère, qui n’eut dès lors aucune peine à révéler le canular badiousien).
J’ai assez parlé de tout ça lors des deux séances consacrées à Badiou. Je voudrais juste citer un email de Guillaume Destivère reçu cet hiver lorsque nous sommes entrés en contact et avant que je ne diffuse sa lecture de Badiou sur Paroles des Jours6. Guillaume Destivère est beaucoup plus indulgent que moi à l’égard de Badiou, pour la raison simple, dit-il, que Badiou le fait rire. Voilà comment il décortique le canular badousien; je le cite car il met à nu la méthode structurante de l’analogie arbitraire de Badiou ; or l’analogie arbitraire est aussi typiquement ce qui structure dès son origine toute l’entreprise cybernétique :
« Tout l’ensemble est au bord d’un gigantesque canular normalien. ‘Et si l’être, c’était l’appartenance ensembliste ? Et si le générique de Marx, c’était le générique de Cohen en théorie des modèles et du forcing ? Etc.’ La veine est inépuisable, ce n’est plus le ‘démon de l’analogie’ (Bouveresse dégage déjà dans ce livre le Badiou comique, animal sorti de Münchhausen), c’est la Mère Ubu visitée jusqu’au génie par un tel démon, mathème et poème entièrement reversés aux délices du maquerellage.
- Ce qui est ainsi monté au pinacle ? Quatre grands domaines de rencontres avec des vérités, d’exaltation dans la ‘vraie vie’ : militance politique, vie amoureuse, recherche scientifique, création artistique…
- Ce canular me met réellement en joie. C’est brillant. C’est stimulant pour ma propre vie subjective. J’aime lire des mathématiques difficiles. Je ne vois que Badiou qui les reverse d’une façon aussi amusante sur une recherche au bout du compte personnelle de séquences de vie authentique, amoureuse par exemple. Il faut oser un tel grand-écart. On donne comme on peut du sens à son existence, on fixe en auto-fictions les valeurs, les rencontres, les événements qui comptent. Badiou parvient à construire, pour son idiosyncrasie, une triple demeure poético-mathématique (ou seulement rhétorique, mais s’il en est satisfait, ça ira bien), ce fameux Château de la pureté, qui se décline pour finir en L’être et l’événement, ou comment s’exalter dans le forcing ensembliste, en Logiques des mondes, ou comment tout redire en mode théorie des faisceaux, et en L’immanence des vérités, ou je remets ça avec ultra-filtres et cardinaux infinis… C’est absurde, mais il l’aura fait. Accrocher à la moins partageable de ses passions (la lecture mathématique, section logique ensembliste), vertébrée par une espèce de dialectique interne (les ensembles sont l’être-multiple, les faisceaux sont des corps organisés militants, ou ‘ce qui apparaît’ (tant pis si ça ne veut rien dire), les grands cardinaux sont les marques d’un Absolu), tout ce qui compte dans son existence (militances politiques surtout, dans son cas, mais tout le reste aussi), comme des boules de noël au sapin. »
( À suivre)
Séance 31 : « ON S’EN SOUVIENDRA DE CETTE PLANÈTE » (VILLIERS DE L’ISLE-ADAM), Sur le sanitarisme 1, 29 septembre 2021
Op. cit., p.33-34, collection Champs sciences, Flammarion
Op. cit. p.45