Je vous ai annoncé la dernière fois qu’on trouve dès les premières pages du Zohar un apologue célèbre, repris d’un commentaire intitulé « L’alphabet de Rabbi Aquiba », Othioth chel Rabbi Aqiva, qui donne quelques précieux enseignements concernant l’inscription du Monde. Ce commentaire est introduit par les ligne suivantes :
« Rav Hamnouna-Saba a dit : Dans les quatre premiers mots de la Torah, Berechit Barah Elohim Et, les deux premiers mots commencent par la lettre bet et les deux mots suivants par la lettre aleph. Il a été dit : ‘‘Lorsque le Saint, béni soit-Il eut la pensée de créer le monde, les lettres étaient encloses <stimin>, et durant 2000 ans avant la création du monde, le Saint Béni soit-Il les contemplait <mistakèl> et jouait <icht’acha’> avec elles. »
Stimin, qui désigne la clôture des lettres de l’alphabet avant la création du monde, vient de l’araméen satam qui signifie « fermer », « arrêter », « être implicite » ; le mot satam, dont un dérivé est stoumah s’oppose à meforach qui signifie « explicite », et qui désigne par exemple le Nom complet de Dieu (chem hameforach) comparé à son Nom imprononçable (qui ne se prononce pas comme il s’écrit) qu’est le Tétragramme… En hébreu, satam signifie d’abord « obstruer », comme en II Rois 3, 19 : « vous boucherez toutes les sources d’eau »,
et en une seconde acception, « dissimuler », « cacher », comme en Daniel 8, 26 : « Pour toi, tiens secrète cette vision, car elle se rapporte à des temps éloignés. »
Ou en Daniel 12, 4 : « Toi, Daniel, tiens secrètes ces paroles, et scelle le livre jusqu’au temps de la fin. »
Le verbe satam est très proche du verbe satar, qui signifie aussi « cacher », « dissimuler », et qu’on retrouve dans le nom de la reine « Esther ».
Tout cela est important, parce qu’on va voir tout à l’heure comme, dans ce « jeu » entre Dieu et l’alphabet, se trame une relation qui a trait à la nature même du divin – « les 22 lettres de l’alphabet hébreu » explique Mopsik dans son introduction au Zohar sur le Cantique, « constituent la ‘‘chair spirituelle » de la divinité anthropocosmique » – et de la création tels que les envisage la pensée juive, et à la susbstance du questionnement dont cette pensée, qui n’est « ni métaphysique ni science » (Heidegger), se réclame.
Je reviendrai dans la prochaine séance sur la question de la « clôture » des lettres, qu’on peut mettre en rapport avec leur imprononçabilité consonantique.
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Nous reviendrons sur l’organisation séphirotique du monde divin, et l’on verra qu’un des nombreux schémas métaphoriques de cette organisation est associée de manière très fine et subtile à la naissance de la Parole.
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