Dialogue sur Twitter à 21h, et un texte inédit : "La Palestine enchaînée"
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Le dialogue sur Twitter, sur le compte @parolesdesjours, consacré à la recrudescence de l’antisémitisme et de l’antisionisme en temps de guerre à Gaza commence maintenant.
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Voici aussi, en guise de préambule, un texte intitulé La Palestine enchaînée (retrouvé dans mes archives en faisant du classement), qui date du début de la première guerre du Golfe, en 1990 (avec une note qui date de 2001).
Trente-trois ans plus tard, il n’a pas pris une ride.
Qu’on en juge:
La Palestine enchaînée
Les Palestiniens ressassent qu’il faut libérer la Palestine. Ils n’ont pas tort, seulement ils se trompent d’ennemis, et portent ainsi une lourde responsabilité dans le cours de leur malheureux destin.
C’est d’eux-mêmes, à savoir de leurs options et de leurs valeurs mortifères qu’ils doivent se dégager, s’ils veulent posséder un jour leur État, en droit.
Je suis toujours très étonné de constater l’admiration portée au Mahâtma Gandhi. Le saint homme aurait donc trouvé la solution universelle aux problèmes des opprimés ! Il suffisait d’un peu de philosophie, de beaucoup de calme, et d’une foi inébranlable ?! Quelle crédulité ! Si l’Inde a gagné son indépendance, ce n’est pas tant à Gandhi qu’elle le doit, qu’au fait que sa grande et belle doctrine de l’Ahimsa (non-violence active) ne s’est heurtée qu’au colonialisme anglais, c’est-à-dire à l’injustice indéniable de la plus ancienne et de la plus noble des démocraties modernes. Imagine-t-on Gandhi prêchant la non-violence aux Kurdes, exigeant qu’ils toussotent moins fort pour l’emporter sur Saddam Hussein ? Voit-on Gandhi à Auschwitz, essayant de persuader les Juifs d’être encore un peu plus passifs, plus soumis si possible, et tâchant de chercher en quoi ils se débattent encore trop vigoureusement pour que les nazis les gazent avec tant d’aisance ?
Soyons sérieux. La non-violence n’est efficace qu’à s’opposer à des êtres qui, par tradition, culture, éthique, ou simplement parce que leurs lois le leur interdisent, répugnent au massacre de leurs ennemis, aussi haïssables soient-ils à leurs yeux.
Les Palestiniens font ainsi partie, dans l’immense liste des peuples malchanceux, de l’extrême minorité heureuse, dans son malheur, d’avoir pour adversaires des hommes valeureux, au sens où ils possèdent certaines valeurs qui les distinguent des bêtes. Cela n’est évidemment pas l’avis d’un Palestinien. La grande majorité d’entre eux et de ceux qui soutiennent leur « cause » (on n’eût pu choisir terme plus explicite pour désigner d’où le problème vient...) réfutent en bloc l’idée qu’Israël est une démocratie ; que les Palestiniens ne sont pas « persécutés » ; qu’ils ne sont pas à leurs vainqueurs juifs comme les Juifs furent aux nazis.
N’est-il pas flagrant, pourtant, que si les Israéliens étaient véritablement des nazis et les Palestiniens des Juifs, les Palestiniens ne seraient tout bonnement plus là pour faire le parallèle ?
Lecteur qui pénètre en ce délicat marécage, renonce d’abord au fantasme de convertir ton contradicteur. Abandonne toute chimère d’un dialogue qui ne soit pas de sourds :
« Vous êtes des nazis !
- Non, nous n’en sommes pas !
- Mais si !
- Mais non !
- Nazis !
- Vous-mêmes !... »
J’ai connu un Palestinien naguère, qui étudiait à l’Université de Tel-Aviv. Il ne m’était ni sympathique ni antipathique, pas indifférent non plus. J’étais assez curieux de voir ce que c’était, un Palestinien en chair et keffieh, moi qui ne les avais jamais contemplés qu’à la télévision. Il comprit bien vite que je ne partageais pas à son égard la sourde méfiance des étudiants israéliens, et il accepta ma proposition de nous réunir dans une chambre du campus pour échanger nos points de vue. À la lettre, puisqu’il était hors de question de se convaincre mutuellement. Nous étions radicalement en désaccord, nous le savions, et nous savions d’avance qu’aucun de nous ne changerait d’avis. C’était une raison suffisante pour écouter chacun son tour les arguments de l’autre, sans animosité ni niaise illusion et, en ce qui me concernait, avec le plus désinvolte pessimisme. Le geste surtout me séduisait. Le panache, à dix-huit ans, d’inviter mon « ennemi » à prendre un café et de lui proposer courtoisement : « Monsieur le Palestinien, parlez le premier ! »
Je ne me souviens guère, pour être franc, des détails de notre conversation. Sinon qu’il en revenait sans cesse, dans un anglais sommaire qui rendait d’autant plus rugueuse sa langue de bois, à son désir de détruire ce qu’il nommait the zionist body, le « corps sioniste ».
Je n’ai jamais bien compris ce qu’il entendait exactement par là, mais j’ai saisi alors ce qui nous séparait sans doute irrémédiablement, dans le martèlement de ce «corps » qu’il semblait haïr comme un totem maléfique, qu’il projetait d’abattre avec ses frères lilliputiens, ardente troupe de jeunes David lapidant la géante étoile de Goliath.
Car Israël n’est précisément pas un « corps », dépourvu d’âme et soudé comme un seul homme derrière ses chefs et son armée, à l’instar des tristes héros palestiniens, mais le plus traditionnellement polémiste des peuples, et la première démocratie (toute littéraire et abstraite) qui fut jamais.
Les Juifs sont comme les papillons, il y en a de toutes les couleurs.
Des racistes ? Mais bien sûr. Et des idiots, des cruels, des honteux, des pro-palestiniens, et même des antisémites (je laisse de côté les Juifs grandioses, et les insipides). On aimerait constater une telle disparité dans le camp adverse.
« Deux juifs, trois opinions » dit un adage talmudique (si les Palestiniens lisaient le Talmud !). C’est assez réaliste. D’ailleurs, écrivant ces lignes, je ne suis moi-même plus très sûr d’être d’accord.
Il me semble en tout cas que les Palestiniens ont depuis cinquante ans fait opiniâtrement le mauvais choix. Qu’ils se sont toujours alliés à des régimes pourris et ont encensé les pires despotes, y compris lorsqu’ils les massacraient, dans la douce ferveur de la fraternité arabe. Que si les Israéliens n’ont pas toujours réussi à respecter cette fameuse « pureté des armes » qui leur vient d’outre-millénaires (ils l’ont fait le plus souvent, quoi qu’on en dise), au moins ont-ils le mérite de l’avoir promue, quand les Palestiniens ont toujours choisi, eux, de deux méthodes, la plus indigne. Qu’aujourd’hui encore leur leader favori s’est trompé de carte, en optant pour l’Irak, préférant l’accolade à l’ordure plutôt qu’une modération réfléchie dont en outre on le disait la figure.
Nul n’exige des Palestiniens qu’ils aiment les Israéliens, ni qu’ils renoncent à leurs revendications. Qu’ils apprennent cependant qu’en démocratie c’est avec les armes de la démocratie, et avec elles seulement, qu’on peut honorablement se battre, y compris contre elle. Les Arabes israéliens, ces Palestiniens qui ont préféré la citoyenneté au fanatisme l’ont bien compris. Ils ont leur parti, leurs élus, ils se font entendre et vivent le prodige de pouvoir, à la Knesset, défendre le plus librement du monde leur idéologie anti-sioniste.
Voilà l’essence d’une grande démocratie, l’aptitude à accueillir en son sein ceux qui n’en veulent pas. Le problème, c’est qu’après y avoir goûté, ils n’ont plus tant envie, rapportent les sondages, de cet État palestinien dont leurs frères excités leur fournissent l’image cauchemardesque, celle de la terreur qu’ils infligent aux plus modérés dans les Territoires.
Le cercle est bien vicié, on le voit. Aussi ne suis-je pour ma part pas moins pessimiste qu’à dix-huit ans.
Ni moins désinvolte.
Stéphane Zagdanski