"D'où parles-tu ?" ou l'impossible neutralité (De l'antisionisme 2) (6)
42ème séance, 28 juin 2022
C’est la dernière séance que je consacre un peu longuement aux personnalités de quelques individus, parce que l’aspect comique de ce genre de portraits ne compense pas leur ennui répétitif. La prochaine fois, je commencerai de traiter de quelques questions de fond, comme le rapport à la mort donnée et reçue dans l’Islam (le massacre, le martyre, l’attentat-suicide, etc.) ; la question de la fréquence étonnante de Juifs parmi les antisionistes (l’UJFP, Noam Chomsky, Shlomo Sand, Alain Gresh, Dominique Vidal, Eric Hazan, Maxime Rodinson, etc.); la question de la Jordanie ; la déclaration Balfour ; les plans de partage successifs ; la bande de Gaza ; la question des « transferts de population » ; la guerre de 1948, etc.
Tout a commencé lors de ma dernière séance, où je disais ceci :
JUSQU’À « DE COMPRENDRE CES CHOSES-LÀ »
Quelques jours plus tard, un article paraît sur le site lundimatin1 qui me prend à partie sur un mode assez vulgaire – « prose pourrie », « ce torchon » « Zagdanski et ses semblables », « cette clique » –, invoquant non pas mon séminaire (qui l’a très vraisemblablement déclenché), mais le texte Penser la Palestine2 que j’avais envoyé à lundimatin il y a un an (et que j’ai aussi évoqué la dernière fois),. Ce nouveau texte signé d’un pseudonyme (sous lequel je soupçonne fortement Julien Salingue), s’intitule en réponse Haïr la Palestine.
Il faut commencer par savoir que lundimatin, qui a publié plusieurs de mes textes ces dernières années, est un site qui se démarque précisément parce qu’il met en ligne de bons textes signés par des auteurs qui savent de quoi ils parlent. J’ai déjà évoqué Giorgio Agamben, Olivier Cheval, Ivan Segré ou Quentin Ravelli dans ce Séminaire, et il y en a bien d’autres – dont les miens – parus depuis l’hiver 2018.
J’avais découvert lundimatin en remarquant les entretiens d’Ivan Segré sur le Talmud3, ce qui est assez incongru de la part d’un site d’extrême-gauche. Cette incongruité est la seule raison pour laquelle je leur avais envoyé un premier texte consacré aux Gilets Jaunes. Par ailleurs Lundimatin est un collectif d’anonymes, dont les publications concernant le conflit israélo-palestinien sont majoritairement antisionistes. Les textes d’Ivan Segré, qui y écrit régulièrement, et le mien de l’année dernière sont les seules exceptions. Le déséquilibre est d’autant plus patent que ces courageux anonymes ne publient jamais un texte qui ne soit pas antisioniste sans aussitôt lui opposer une floppée de publications contraires et, parfois, comme dans le cas qui m’intéresse, insultante (« prose pourrie », etc.).
Ainsi dès sa parution mon texte de l’année dernière avait été noyé sous une floppée de publications pro-palestiniennes sur lundimatin, dont un texte signé Vincent Petit dans lequel j’étais pris à partie – avec Ivan Segré –, auquel je n’avais pas pris la peine de re-répondre, considérant pour ce qui me concernait l’affaire conclue.
Ils ont ainsi une conception du débat démocratique qui dissimule leur parti-pris, ce qui est leur droit bien sûr, mais les rend du coup beaucoup moins originaux dans la sphère de l’extrême-gauche internationale que je n’avais pu le penser au départ. Je ne veux pas perdre de temps sur cette idée pseudo-démocratique de l’anonymat collectif qui leur vient de leur accointance avec le Comité Invisible (dont ils se sont depuis séparés : ces brouilles intra-groupusculaires sont de peu d’intérêt) et, en amont, avec les pratiques des Situationnistes.
Pour autant, ce n’est pas la même chose de publier collectivement et anonymement, et de répondre à des emails privés sans jamais se démasquer, alors qu’ils ne se sont pas empêchés de transmettre mon adresse email privée au courageux anonyme qui me prit à partie afin qu’il me réponde par email à ma réponse…
Tout cela est à la fois couard et puéril, et la conclusion c’est que les courageux anonymes de lundimatin qui se piquent de polémique démocratique (mais ont livré mon adresse email personnelle à leur ami anonyme), n’ont pas eu la probité intellectuelle de signaler à leur lecteurs ma réponse à l’attaque de leur même ami anonyme.
Je ne m’y arrêterais pas si tout cela n’était pas, au fond, profondément intriqué à la querelle sur les noms propres et sur leur effacement ou leur recouvrement qui bouillonne dans le conflit israélo-palestinien.
C’est d’ailleurs le sous-titre du texte qui m’attaque : « Sionisme et effacement », et c’est sous cet angle, celui de l’effacement et de l’accusation d’effacement – et de la construction identitaire en miroir, sur quoi j’ai achevé la séance précédente, que je vais maintenant aborder les choses.
Appelons donc cette dernière partie de la séance d’aujourd’hui « Le miroir troué de l’antisionisme ».
Pour ceux que cela intéresse, j’ai mis en ligne ma très longue réponse circonstanciée à « Mabny Lil-Majhoul », et tout ce que je vais dire maintenant, en conclusion de notre séance, en est tiré4.
On remarquera que si mon texte d’il y a un an, Penser la Palestine, était illustré par mes soins par une photo de jeunes gazaouites arborant un cerf-volant enflammé décoré d’une croix gammée – ce qui revenait à sous-titrer mon texte « Haïr Israël », ou « La rage antisémite au cœur du combat palestinien » –, celui de « Mabny » transforme spéculairement mon « Penser… » en « Haïr… », montrant à quel point l’auteur non seulement me connaît mal, mais n’a pas le moindre expérience de ce que penser signifie, et comme la haine ne saurait jamais y mêler ne fût-ce qu’un iota de son poison.
Heideggger, que j’avais déjà cité au début du Séminaire, écrit dans ses Esquisses tirées de l’atelier (1959) :
« Le sentiment le plus bas parce qu'il se rabaisse lui-même est la haine : la parfaite non-liberté qui se hausse à une supériorité vide ».
« Haïr la Palestine » serait ce qui caractérise mon argumentation, haine assez démontrée, prétend-il, par l’effacement que je fais de la Palestine et de l’ensemble de la civilisation musulmane dans mon texte :
On s’aperçoit que pour mon contradicteur, « penser » équivaut à « oblitérer », et « ignorer » – ou « cacher son ignorance » (laissant penser du coup que l’on sait ce que l’on ignore), à « impenser »…
On remarquera que mon contradicteur a ainsi décidé d’illustrer son texte par une pièce vide, laquelle pourrait être située n’importe où, mais qui, étant donné son sous-titre « Sionisme et effacement » laisse entendre que le sionisme a « effacé » la Palestine en la vidant de ses êtres humains.
C’est important de détailler ce qui se passe dans la caboche d’un propagandiste antisioniste, parce que tout son texte est hanté par le complexe du miroir troué, c’est-à-dire d’argumentation spéculaire entièrement stucturée sur une symétrie fantasmée entre « vous autres sionistes » et « nous autres antisionistes », mais une symétrie hantée par le scotome, tournoyant autour du trou, du vide, de l’effacement sans jamais s’apercevoir (c’est un trou au carré) que cette accusation d’effacement est la surcompensation d’une trouée propre dans sa représentation de la réalité à laquelle, selon l’usuel processus psychologique de la scotomisation, il demeure parfaitement aveugle.
Voilà ce que j’écris à la fin de ma réponse :
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