"D'où parles-tu ?" ou l'impossible neutralité (De l'antisionisme 2) (7)
42ème séance, 28 juin 2022
Autre aspect du miroir troué, la référence à l’évidence ophtalmique comme argument d’autorité. Ainsi évoque-t-il avec ironie les Blancs, et même la « petite vie de Blanc du capitalisme tardif », tandis qu’il considère les images CNNisées du conflti israélo-palestinien comme des preuves d’évidence de la malfaisance sioniste : « le monde entier a pu voir la police israélienne… » et pire encore : « Est Palestinien·ne toute personne que l’État d’Israël nomme ‘‘Arabe’’ pour effacer le nom que porte son crime aux yeux du monde. »
Il y a donc un « crime de l’État d’Israël » manifeste « aux yeux du monde », crime d’effacement qui consiste à substituer un nom (« arabe ») à un autre (« palestinien), parce que le nom « palestinien » désignerait à l’évidence l’essence du crime israélien consistant à avoir oblitéré la Palestine par la création d’Israël.
Et l’on remarque que dans la liste des impétrants à la qualification de « Palestinien », on trouve de tout sauf des Juifs :
Or, comme je le rappelle dans mon texte, pendant toute la première moitié du XXème siècle, les mots « Palestine » et « Palestiniens » étaient réservés aux Juifs du Yichouv (Cf. Larousse de 1939):
Mais surtout, s’il y a bien eu un processus d’effacement lié au mot « Palestine », c’est précisément le mot latin Palestina inventé par les Romains pour oblitérer la Judée juive après la victoire de Hadrien sur Judah Maccabée en 135 :
Bernard Lewis1 :
« Il semblerait que le nom Judée ait été aboli [sous l’empereur Hadrien en 135] en même temps que celui de Jérusalem, et que le pays ait été rebaptisé Palestina ou Syrie-Palestine, dans la même intention d’oblitérer son identité juive historique. »
Toute l’argumentation de Juju Lourdingue consiste à pratiquer un tour de prestidigitation par lequel l’évidence occultée devient par sa trouée même la preuve oculaire d’un effacement en miroir. C’est un processus aussi grossier que celui consistant à croire gommer la différenciation sexuelle par l’exhibition typographique - soit exclusivement oculaire (« aux yeux du monde »), car imprononçable et insignifiante en pensée comme à voix haute – d’un refus de distinguer entre les sexes, leur mise en rapport à même la langue ayant sombré dans ce trou qui ne se montre que comme plénitude : « iels », « celleux », accompagné de tout le saupoudrage ridicule des points, des tirets et des consonnes redoublées qui compose l’affreuse écriture inclusive.
Il y a bien un parallèle à faire entre le minable antisionisme militant qui relève du mot d’ordre spectaculaire, au sens où, ne supportant pas l’ambiguïté existentielle qui définit tout groupe d’humains, il décide de ré-étiqueter tout-un-chacun (« Qui sont les sionistes ? », « Qui sont les Palestiniens ? » « Qui sont les Juifs, réels ou supposés? » « celleux qu’on appelle communément les Juif·ve·s », etc.) selon des critères dont la valeur ne tient qu’à se donner à voir, exactement comme la pratique maniaque de l’écriture inclusive s’imagine qu’on règle toutes les tares du patriarcat et de la phallocratie en donnant à voir une orthographe imprononçable, littéralement débile de confusionnisme insignifiant, excluant toute possibilité d’altérité et de jeu entre les mots, les phrases, les lignes et les êtres auxquels ils se rapportent, par un subterfuge extirpé de quelque cervelle du M.I.T. gavée de néo-linguisticaillerie nord-américaine.
Ce travers puéril ressemble à un morbide jeu d’enfant où l’on s’imagine devenir invisible au regard en cachant ses yeux derrière sa main ; c’est d’ailleurs un classique de l’argumentation antisioniste faite d’évidences inversées. L’État d’Israël est le seul endroit au Moyen-Orient où des Juifs, des Chrétiens et des Musulmans peuvent coexister pacifiquement et prier chacun selon sa foi ? Cela en fait à l’évidence un État d’apartheid. La bande de Gaza a été vidée de ses colonies juives et rendues intégralement à l’autorité palestinienne qui en a aussitôt perdu la mainmise au profit du seul Hamas ? Cela en fait à l’évidence une prison à ciel ouvert. Etc.
Henry Laurens tombe dans ce même travers de l’évidence inversive lorsqu’il évoque ce qu’il appelle des « logiques sous-jacentes », autrement dit des déterminations invisibles qui conduiraient « l’écume » des événements de la guerre d’indépendance d’Israël ; de sorte que lorsqu’il parle de l’exil des Palestiniens en 1948-1949, reconnaissant qu’on ne trouve nulle part dans les archives de Tsahal d’ordre formel d’expulsion – il en semble presque marri : « On va chercher désespérément (je souligne) des ordres d’expulsion…» –, il ajoute qu’on n’en a nul besoin parce que tout le monde en Israël fomente et désire cette expulsion des Arabes étrangers sur cette terre, et sans laquelle il n’y a pas d’État d’Israël.
JUSQU’À « IL FAUT INVERSER LES TERMES DU DISCOURS »
On conçoit que ce n’est plus là un propos objectif d’historien, mais d’idéologue qui a d’emblée choisi son camp et ses biais d’interprétation (il ne les cache d’ailleurs pas).
La dernière spéculation inversive en date, que reprend allégrement Juju Lourdingue dans son texte, c’est l’hypothèse de l’assassinat de Shireen Abu-Aqleh par les Israéliens, lequel ne fait plus aucun doute « aux yeux du monde », puisque les preuves de cet assassinat sont assez fournies par l’occultation de la balle accusatrice demeurée entre les mains de l’Autorité Palestinienne qui refuse de la montrer, d’en fournir des photos et bien sûr de la laisser examiner par des experts indépendants. Les Israéliens ne nient pas qu’il s’agisse peut-être d’une balle perdue tirée depuis un fusil israélien, mais pour en être sûr il suffirait d’examiner la balle. Traitant les Israéliens de truqueurs, les Palestiniens accoutumés à toutes les impostures idéologiques et communicationnelles depuis des décennies, demandent à examiner, eux, le fusil qui aurait tiré la balle invisibilisée puisqu’ils refusent de la laisser voir.
Mais le summum de l’argumentation délirante en miroir troué est livrée en conclusion de son texte par une anecdote amoureuse que nous livre Juju Lourdingue, et ce sera aussi la conclusion de cette séance :
Je commence par vous lire l’histoire narrée par Juju Lourdingue, puis nous allons en faire une explication de texte (laquelle ne fait que reprendre la version détaillée de mon texte mis en ligne) :
LIRE LE PASSAGE
« Un couple d’arabo-européens, elle Palestinienne, lui non, se rendent à Akka. » Les humains n’ont pas de noms propres, ici ; on n’a à disposition seulement celui un peu énigmatique, pour qui ne connaît pas la région d’« Akka », qui est un nom arabe. Autre remarque, la femme du couple est « Palestinienne », « lui non ». L’origine de l’homme consiste à être « non palestinien ». Ce n’est pas une origine, c’est encore un trou, un non-nom inclusif dans lequel peuvent sombrer des milliards d’individus.
« Officiellement nous sommes en Israël », écrit-il plus bas, laissant entendre qu’officieusement il se sent en Palestine : « Voici une soirée palestinienne. » Puis, un aveu halluciné : « Ce soir à Akka c’est Israël qui n’existe pas. »
De quel endroit étrange parle donc Juju Lourdingue ? De quel lieu troué, qui est « officiellement » en Israël tout en n’y étant pas mais en rendant Israël inexistant ? On va vite comprendre qu’il ne parle pas tant d’un lieu que d’une parenthèse dans le temps aigri du militant d’extrême-gauche antisioniste que le ravage néo-libéral épargne peu (il suffit de faire défiler le compte Twitter de Julien Salingue pour comprendre comme l’existence de l’idéologue d’opposition est une sempiternelle mélopée de frustrations, de rages, d’indignations et de revendications…).
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