Histoire secrète des USA & Günther Anders
Comprendre le monde contemporain, son histoire moderne et sa métaphysique
Sommaire :
Oliver Stone et les USA
Notes sur L’obsolescence de l’homme
Aude Lancelin et Stéphane Zagdanski
La calamité cybernétique & Heidegger et l’Extermination
Bonjour à toutes et à tous,
Je signale pour commencer un documentaire intéressant d’Oliver Stone, en anglais sous-titré, The Untold History of the United States.
Vous le trouverez sur la page de la GGG du site Crowdbunker.
Les 10 chapitres (vo sous-titrée) sont en ligne (cliquer sur chaque lien):
Nouvelles notes de lecture, tirées de L’obsolescence de l’homme de Günther Anders:
«L'essentiel, aujourd'hui, ce n'est pas qui produit, ni comment on produit, ni combien on produit, mais bien plutôt - autre différence fondamentale entre l'ancienne menace et la nouvelle - ce qu'on produit. Alors qu'autrefois les produits n'étaient pas critiqués en tant que produits, jamais en tout cas au premier chef - le combat visait presque exclusivement le monopole de la production industrielle, qui ruinait la petite entreprise ou le travail à domicile, désormais c'est le produit lui-même qui est en cause, comme, par exemple, la bombe, ou bien encore l'homme d'aujourd'hui, puisqu'il est lui aussi un produit (dans la mesure où il est au moins le produit de sa propre production, une production qui l'altère totalement et imprime en lui, en tant que consommateur, l'image du monde produit industriellement et la vision du monde qui lui correspond). »
«Rien ne nous caractérise davantage, nous, les hommes d'aujourd'hui, que notre incapacité à rester spirituellement ‘‘up to date’’ par rapport au progrès de notre production, c'est-à-dire à changer au même rythme que nos propres produits, et à rattraper dans le futur (que nous appelons notre ‘‘présent’’) les instruments qui ont pris de l'avance sur nous. Par notre liberté prométhéenne illimitée de produire toujours du nouveau, liberté à laquelle nous payons le tribut d'une pression qui ne se relâche jamais, nous avons en tant qu'êtres temporels procédé en dépit du bon sens, si bien que, maintenant, nous sommes en retard sur ce que nous avons nous-mêmes projeté et produit, nous progressons lentement, avec la mauvaise conscience que nous inspire l'ancienneté du chemin que nous suivons, quand nous ne nous contentons pas de traîner comme des sauriens hagards au milieu de nos instruments.»
«L'a-synchronicité chaque jour croissante entre l'homme et le monde qu'il a produit, l'écart chaque jour plus grand qui les sépare, nous l'appelons le ‘‘décalage prométhéen’’ Ce ‘‘décalage’’ n'est naturellement pas resté inconnu. Il a été envisagé, par exemple, dans la doctrine marxiste de la ‘‘super- structure’’, et en particulier dans la discussion sur la différence de rythme entre la ‘‘superstructure’’ et l'‘‘infrastructure’’. Mais seulement envisagé. Car le ‘‘décalage’’ auquel le marxisme s'est intéressé n'est qu'un cas parmi d'autres; il n'est qu'un élément d'un ensemble beaucoup plus vaste, au sein duquel on peut distinguer des phénomènes de décalage extrêmement diversifiés. À côté de la différence traitée par le marxisme entre, d'un côté, les rapports de production et, de l'autre, les théories (‘‘idéologiques’’), il y a, par exemple, les décalages entre l'action et la représentation, entre l'acte et le sentiment, entre la science et la conscience, et enfin - surtout – entre l'instrument et le corps de l'homme (qui n'est pas fait sur mesure pour le ‘‘corps’’ de l'instrument). Tous ces ‘‘décalages’’, dont chacun jouera son rôle au cours de la présente recherche, correspondent à une même structure: celle de l'‘‘avance’’ ou du ‘‘retard’’ de l'une de nos facultés sur une autre; tout comme la théorie idéologique est en retard sur les rapports effectifs, la représentation est en retard sur l'action: nous sommes capables de fabriquer la bombe à hydrogène, mais nous n'arrivons pas à nous figurer les conséquences de ce que nous avons nous-mêmes fabriqué. De la même manière, nos sentiments sont en retard sur nos actes : nous sommes capables de détruire à coups de bombes des centaines de milliers d'hommes, mais nous ne savons ni les pleurer ni nous repentir. C'est ainsi que, dans un écart maximal, le corps humain reste finalement à la traîne, bon dernier, retardataire honteux, encore drapé aujourd'hui dans ses haillons folkloriques et mal synchronisé avec ceux qui marchent en tête.»
«Il n'est pas complètement impossible que nous, qui fabriquons ces produits, soyons sur le point de construire un monde au pas duquel nous serions incapables de marcher et qu'il serait absolument au-dessus de nos forces de ‘‘comprendre’’, un monde qui excéderait absolument notre force de compréhension, la capacité de notre imagination et de nos émotions, tout comme notre responsabilité. Qui sait, peut-être avons-nous déjà construit ce monde-là? Finalement, bien que sa capacité de produire ne connaisse aucune limite formelle, l'homme est aussi un type morphologique plus ou moins fixé, c'est-à-dire plus ou moins limité dans sa capacité d'adaptation; un être qui ne peut, par conséquent, être remodelé à volonté ni par d'autres puissances ni par lui-même; un être dont l'élasticité ne peut pas être éprouvée ad libitum. Il est déjà évident qu'en tant qu'acteur, il jouit d'incomparablement moins de liberté et se heurte bien plus vite à des limites inflexibles qu'en tant que concepteur de décors ou fabricant d'accessoires ‘‘créant librement’’ son monde historique.»
«Une critique des limites de l'homme, et pas seulement des limites de sa raison mais de toutes ses facultés (de son imagination, de ses sentiments, de sa responsabilité, etc.), me semble être ce qui manque vraiment aujourd'hui à la philosophie, puisque la façon de produire propre à l'homme semble avoir pulvérisé toute limite, et puisque cette pulvérisation spécifique des limites a rendu d'autant plus visibles les limites que rencontraient encore les autres facultés. Les spéculations vagues sur notre finitude qui ne prennent pas pour point de départ notre dénuement mais exclusivement notre mort (laquelle, bizarrement, paraît métaphysiquement plus présentable que notre faim) ne suffisent plus aujourd'hui. Les limites de l'homme exigent d'être vraiment tracées à partir de l'homme tel qu'il est.»
À suivre
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