Bonjour à toutes et tous,
Pour changer un peu des thèmes juifs (ça fait du bien), je vous livre ci-dessous la plus claire introduction à la pensée de Kant dont on puisse rêver.
Je lisais hier dans Les Mots et les Choses de Michel Foucault de remarquables pages consacrées à Kant (il s’agit des chapitre V et VI de la IIème partie : “Idéologie et Critique” et “Les synthèses objectives”), et je me suis souvenu de mes cours de philosophie de Terminale, en 1981, délivrés à Meudon par un excellent professeur nommé Gérard Fabre.
Ce sont ces cours, en particulier, qui m’ont décidé à étudier la philosophie à la Sorbonne ensuite - comme ce sont les cours soporifiques (sorbonnifiques) sur Sade et Sartre qui m’ont décidé à ne pas poursuivre mes études, après ma maîtrise de philosophie, pour devenir un écrivain solitaire…
Voici, donc, ces cours, pour celles et ceux que cela intéresse de s’initier à Kant (les pages de Foucault sur Kant - comme celles du Kant avec Sade de Lacan - sont peu compréhensibles, sinon).
L'ANTINOMIE DE LA LIBERTE SELON KANT
Emmanuel Kant est un philosophe allemand du 18è s. Sa philosophie se propose de répondre à deux grandes questions: "Que puis-je savoir?" qui concerne la connaissance, et "Que dois-je faire?", qui concerne la morale.
C'est l'occasion pour Kant de distinguer deux aspects de la Raison, en tant que faculté de connaître (Raison théorique), et en tant que faculté d'agir (Raison pratique).
A chacune de ces questions, Kant va consacrer un certain nombre d'ouvrages:
Critique de la raison pure (1781),Prolégomènes à toute métaphysique future (1783), en réponse à la première question.
Critique de la raison pratique (1788) et Fondement de la métaphysique des mœurs (1797) en réponse à la seconde.
Kant montre que lorsque notre raison théorique se penche sur le problème de la liberté, elle aboutit à une impasse, une antinomie, c'est-à-dire l'affirmation simultanée de deux propositions contradictoires, au mépris des normes de notre raisonnement, dont le principe de non-contradiction qui veut que de deux propositions contradictoires, l'une doit être vraie et l'autre fausse.
a) La raison théorique a pour fonction d'expliquer les phénomènes. Expliquer un phénomène, c'est en donner la cause; mais lorsqu'on cherche la cause d'un phénomène, on ne peut se contenter de l'antécédent immédiat qui le détermine, il faut encore savoir d'où cet antécédent provient, et ainsi de proche en proche remonter jusqu'à la cause première qui est à l'origine de cette série causale.
On peut donc dire que pour qu'une explication soit véritablement possible, il faut qu'il y ait des causes premières (sinon cette explication n'est pas achevée), c'est-à-dire des causes sans cause, non-déterminées, libres. En bref, pour que l'explication soit, il faut que la liberté soit (qu'il y ait une cause première). Telle est la thèse de l'antinomie.
b) Mais si nous poursuivons le raisonnement, nous parvenons avec la même nécessité à la conclusion contraire:
En effet, la cause première n'ayant pas d'antécédent est au sens propre inexplicable (puisqu'expliquer c'est donner la cause, or cette cause première n'a elle-même pas de cause); mais un phénomène ne peut pas être considéré comme expliqué si on le fait découler d'un antécédent lui-même inexplicable. Dans ces conditions, pour qu'une explication soit possible, il ne faut pas de cause première (il ne faut qu'aucun maillon de la chaîne causale reste inexpliqué).
Et ainsi, pour qu'une explication soit possible, il ne faut pas que la liberté existe. Telle est l'antithèse de l'antinomie.
Que conclure, sinon à une inaptitude de la Raison théorique à résoudre le problème de la liberté.
c) D'où un déplacement de l'analyse chez Kant qui examine le contenu de la conscience morale (la raison pratique). Dans toute conscience morale, on constate la présence d'impératifs; notre conscience nous prescrit certains actes tandis qu'elle nous en interdit d'autres.
Or ces impératifs seraient incompréhensibles, et pour tout dire absurdes, si l'homme n'avait pas le pouvoir de les respecter (cf. le problème de la liberté et du déterminisme des lois sociales).
Il faut donc bien pour parvenir à comprendre le contenu de la conscience morale postuler cette liberté (c'est-à-dire la présupposer).
C'est en ce sens que la liberté est dite un postulat de la raison pratique, qui se résume sous la forme:
Tu dois donc tu peux.
LES TROIS FORMULES DE LA MORALE DE KANT
On peut résumer la morale de Kant en trois grandes formules:
A) "Agis toujours de telle sorte que tu puisses vouloir que la maxime de ton action puisse être érigée en loi universelle."
B) "Agis toujours de telle sorte que tu traites l'humanité en ta personne comme en celle d'autrui toujours en même temps comme une fin et jamais seulement comme un moyen."
C) "Agis toujours de telle sorte que tu puisses te considérer toi-même comme l'auteur spontané d'une législation universelle."
1/Justification de la première formule:
Nous savons que l'objectif de Kant est ici de répondre à la question: "Que dois-je faire?", c'est-à-dire de définir le Bien. En partant d'une étude de la conscience morale populaire, il fait remarquer que la seule chose qu'on reconnaisse comme bonne absolument, c'est la bonne volonté.
En effet, tous les autres biens, le courage, l'intelligence, la fortune, peuvent être considérés comme des mots s'ils sont mis au service du mal. L'intelligence d'un scélérat ne peut pas être considérée comme un bien tandis qu'elle lui permet précisément de réussir dans son entreprise criminelle. Si donc la seule valeur absolue est la bonne volonté, définir le bien exige une analyse de la bonne volonté.
a) La bonne volonté doit d'abord être une volonté véritable, et Kant nous invite à nous méfier de toutes les contrefaçons, comme le désir, le souhait (différence entre "je veux" et "je voudrais"). La volonté véritable est celle qui met tout en œuvre pour parvenir à ses fins. On pourrait penser du même coup que le propre de la bonne volonté c'est de réussir dans son entreprise, mais il n'en est rien: il suffit que le sujet fasse tout pour réussir, mais si un obstacle quelconque imprévisible l'empêche de réussir, sa bonne volonté n'est pas remise en doute.
La bonté de la bonne volonté se détermine par rapport au devoir; la bonne volonté est la volonté de faire son devoir. Mais Kant introduit ici une nuance pour différencier les actions qui sont simplement conformes au bien et les actions véritablement morales. Il donne l'exemple de deux commerçants, dont l'un est honnête pour garder sa clientèle et l'autre par devoir moral: identiques dans leur matière (être honnête), ces deux actions se distinguent par leur forme (la raison de l'honnêteté) et ont des valeurs différentes. Seul l'acte du second commerçant est un acte moral. Nous voyons donc que la bonne volonté tient sa bonté de la nature du rapport à la morale.
b) Dans toute loi, on peut distinguer une matière et une forme:
La matière d'une loi désigne ce qu'elle ordonne, son contenu (être honnête, ne pas tuer, etc.). Sa forme est le fait qu'elle ordonne (toutes les lois ont donc la même forme, elles sont impératives).
C'est évidemment toujours la matière de la loi qui peut nous valoir dans certaines circonstances certains avantages lorsqu'on se soumet à sa prescription (c'est le fait d'être honnête qui peut augmenter la clientèle, pas le fait que la loi l'ordonne).
Si la bonne volonté est la volonté d'agir d'après la loi sans se préoccuper des avantages que pourrait entraîner cette obéissance, alors la bonne volonté est volonté de respecter la forme de la loi, en tenant compte de son aspect formel. En d'autres mots, la bonne volonté est volonté d'obéir à la loi parce que c'est la loi. Or la forme de toute loi, c'est d'être universelle, donc la bonne volonté est la volonté d'agir d'après des maximes (une maxime est un principe pratique déterminant une volonté particulière, tandis qu'une loi est un principe pratique déterminant la volonté de tout être raisonnable) dignes de devenir universelles, c'est-à-dire universalisables, et ainsi de devenir des lois.
Ainsi se trouve justifiée la première formule du devoir, qui nous recommande d'agir d'après des maximes qui méritent d'être des lois, donc pouvant valoir pour tous. Kant s'empresse de vérifier sur des exemples la valeur de cette formule:
Imaginons un être qui s'interroge pour savoir s'il a ou non le droit de faire une fausse promesse. S'il universalise sa maxime, cela signifie que la règle désormais c'est de faire des fausses promesses. S'il en était ainsi, plus personne ne croirait aux promesses, et donc il ne pourrait pas faire la sienne: celui qui ment ne peut vouloir que la règle soit de mentir (sinon personne ne croirait plus personne et lui-même ne serait pas cru). Autant dire qu'il désire une règle pour les autres qu'il transgresse pour lui-même. Ce qui revient à dire qu'être immoral, c'est s'octroyer des privilèges moraux.
Nous avons vu que l'action morale était une action accomplie par pur respect du devoir. Mais Kant reconnaît qu'il est impossible de citer un exemple certain d'action qui corresponde à cette définition. En effet, nous ne pouvons jamais assurer, ni pour les actions d'autrui ni pour les nôtres, qu'il n'y a pas eu à la base un calcul égoïste. Kant reconnaît qu'il est impossible de réfuter la thèse de La Rochefoucauld selon laquelle l'amour-propre constitue la motivation de tous les actes. Mais Kant fait remarquer que cette impossibilité de citer des exemples, d'abord n'est pas gênante, mais de plus s'explique parfaitement en fonction de la nature même de la moralité. Elle n'est pas gênante dans la mesure où la valeur d'une conception morale ne dépend pas des actes au travers desquels elle se réalise; c'est dire qu'il est absurde de critiquer une morale en la qualifiant d'utopique; ce serait croire que la moralité peut se déduire de l'expérience; or l'expérience et l'exemple sont toujours particuliers, ils ne peuvent fonder l'universalité des principes de la morale (problème des rapports entre l'histoire et la morale).
2/ Justification de la deuxième formule:
Kant fait remarquer que toute chose dans la nature agit selon des lois, mais que l'homme est le seul être capable "d'agir d'après une simple représentation de la loi, parce qu'il dispose d'une volonté".
La représentation d'une loi, en tant qu'elle détermine une volonté, c'est un devoir, et il s'exprime à l'impératif, ce qui suppose la contrainte. Kant essaye de comprendre ce qui fait le caractère contraignant de l'impératif; il l'explique par la double nature de l'homme, qui est à la fois un être de raison et un être de sensibilité.
a) Pure raison, l'homme n'aurait aucun effort à faire pour se plier à une loi qui est l'émanation de la raison. Il n'y aurait jamais ni impératif ni contrainte.
b) Pure sensibilité, l'homme serait déterminé par les impulsions de celle-ci, et il n'y aurait là non plus ni contrainte ni impératif possible. La contrainte qu'impose un impératif vient des efforts qu'on a à faire pour résister aux appels de la sensibilité et répondre aux préoccupations de la raison.
Nous pouvons distinguer les "impératifs hypothétiques", lorsque l'obéissance à l'ordre est soumise à une condition (Tu dois être honnête si tu veux garder ta clientèle), et les "impératifs catégoriques", lorsque l'ordre est donné inconditionnellement (Tu dois être honnête, c'est ton devoir).
Il reste à comprendre comment ces impératifs sont possibles. Dans le cas des impératifs hypothétiques, obéir à l'ordre n'est que le moyen d'aboutir à une fin, cela ne pose pas de problème, c'est un jugement analytique (qui fait suivre la cause d'un effet: si je suis honnête, je garderai ma clientèle...).
En revanche nous ne voyons pas comment les impératifs catégoriques peuvent exister, et nous le voyons d'autant moins que nous ne pouvons pas en donner d'exemple. Or c'est toute la moralité qui est en cause, puisque seuls les impératifs catégoriques sont les impératifs de la moralité. Mais le propre de la volonté est de ne pouvoir agir qu'en fonction d'une fin. Cela pose le problème de savoir si les impératifs catégoriques sont possibles, ou en tout cas si la volonté peut les respecter.
Si la volonté doit viser une fin pour agir, cela signifie peut-être que tous les impératifs sont hypothétiques, à moins de pouvoir définir une fin singulière, radicalement différente de celles que notre volonté use dans les impératifs hypothétiques. Dans ces derniers, les fins ne valent que pour le sujet, elles sont relatives et subjectives. Pour être totalement différente, il faudrait une fin objective et absolue. Mais s'il existe des fins à valeur relative, ce de quoi elles tiennent leur valeur, c'est-à-dire leur fondement, est une valeur en soi, objective et absolue. Or les fins n'ont de valeur relative que par rapport aux hommes. L'homme est donc une valeur en soi, il pourra par conséquent être la fin visée par la volonté dans les impératifs catégoriques.
Tel est ce que préconise la seconde formule de Kant.
3/ Justification de la troisième formule:
Elle porte surtout sur l'état d'esprit dans lequel nous devons agir si nous nous soucions d'agir moralement. Cette formule résulte d'un désir de concilier les deux premières formules, qui a priori pourraient paraître contradictoires. La première formule du devoir, qui oblige l'homme à n'agir que d'après des maximes universalisables, situe l'homme comme le serviteur d'une autorité qui le dépasse, et en ce sens il fait figure de moyen de la loi. La deuxième formule du devoir recommande au contraire que l'homme soit toujours considéré comme une fin.
Ainsi alternativement l'homme semble être rabaissé au rang de moyen par la loi morale et élevé ensuite au niveau d'une fin par cette même loi. D'où la question: comment peut-il être en même temps moyen et fin de la même loi?
La seule possibilité, c'est qu'il en soit lui-même l'auteur. On comprendrait alors qu'en tant qu'il est le législateur, il en est le bénéficiaire (la fin), mais parce qu'il doit s'y soumettre, il en est le serviteur (le moyen). C'est ce qui caractérise selon Kant le statut particulier de l'homme, en tant que sujet moral, et ce qui définit au sens propre l'autonomie.
La véritable autonomie ne consiste pas à agir comme on le désire au gré de ses caprices; il s'agit de reconnaître que nous sommes le véritable fondement des lois que nous respectons (en grec: auto = soi-même; nomos = loi).
Dans une société où tous les membres agiraient conformément à ces formules du devoir, il n'y aurait ni maître ni esclave, mais simplement une utile répartition des fonctions. L'ordre que j'y recevrais serait très exactement celui que j'aurais donné moi-même, d'où une convergence de la volonté de tous les participants réalisant une parfaite harmonie que Kant appelle le "règne des fins". On voit ainsi que d'une conception morale dérive une vision politique.
LA VERITE ET LES THEORIES DE LA CONNAISSANCE
1/ Pourquoi le problème de la vérité se pose:
a) Qu'est-ce que la vérité?:
La notion de Vérité s'oppose à celle de l'Erreur, et non pas au Mensonge (qui s'oppose plus exactement à la Sincérité). La philosophie s'est elle-même souvent définie comme une recherche de la vérité.
Tel est l'objectif de Descartes dans les Méditations métaphysiques, où Descartes veut "établir quelque chose de ferme et de constant dans les sciences".
Cela est vrai pour toutes les disciplines, l'ambition de chacune est d'atteindre la vérité dans le domaine qui lui est particulier. C'est aussi vrai dans la vie quotidienne; lorsqu'on s'autorise à énoncer un jugement, c'est soit parce qu'on le juge vrai, soit parce qu'on le soumet à la critique d'autrui pour en éprouver la vérité.
Enfin la vérité garde toute son importance au niveau de nos actes: nos échecs sont toujours rattachés à des erreurs dans l'analyse que nous faisons des situations.
Malgré cette importance, il faut convenir que nous ne nous posons pas spontanément la question "Qu'est-ce que la vérité?". En revanche nous nous demandons couramment si telle opinion, telle théorie, tel jugement est vrai. Tout se passe comme si nous étions à la recherche d'une valeur sans avoir pris le soin au préalable d'en définir les critères qui peuvent précisément nous permettre de la reconnaître. D'où la question légitime: pourquoi un problème de cette importance n'est-il pratiquement jamais posé?
La vérité étant une valeur, on pourrait reprendre à cet égard tout ce qui a été dit du problème des valeurs pour expliquer pourquoi il n'est pas posé (cf. le cours sur les valeurs). Mais il y a peut-être des explications spécifiques à la vérité. En effet, chacune de nos erreurs aurait pu être une occasion de se poser ce problème ("Qu'est-ce que la vérité?"). Si cela n'a pas été le cas, c'est probablement à cause de notre façon de concevoir l'erreur.
b) Qu'est-ce que l'erreur?:
L'erreur est le plus souvent considérée comme un accident (au sens où elle est involontaire); or la notion d'accident est ambiguë, elle implique deux idées contradictoires:
- L'accident est facilement évitable, il suffit d'être prudent;
- l'accident est inévitable parce qu'il est toujours imprévisible.
Pour certaines de nos erreurs, au moment même où nous en prenons conscience, nous en comprenons les causes immédiatement; il est clair alors que tout en déplorant qu'elles aient eu lieu, nous sommes comme rassurés parce que nous nous pensons à l'abri de la récidive. Ce n'est évidemment pas cette sorte d'erreur qui peut déclencher chez nous l'interrogation sur la vérité.
A l'opposé, certaines erreurs ont un caractère fatal, comme si faute de certaines connaissances, nous ne pouvions pas les éviter. Là encore on voit mal qu'elles puissent nous conduire à nous interroger sur le problème de la vérité; dans les meilleurs des cas, elle nous portera à acquérir les connaissances qui nous manquent.
c) La philosophie, entre scepticisme et dogmatisme:
En réalité, c'est à l'intérieur de ces deux extrêmes que le problème de la vérité peut se poser:
Il faut penser que l'erreur n'est jamais nécessaire, mais qu'elle n'est pas non plus facile à éviter, c'est-à-dire qu'elle est toujours possible. C'est par rapport à ce problème que se situe le mieux la conscience philosophique, qui n'est ni celle du sceptique désabusé, lequel semble avoir renoncé à la vérité, ni celle du dogmatique confiant qui est persuadé qu'il détient la vérité une fois pour toutes. Le dogmatique croit qu'il possède toute la vérité, son unique préoccupation est de l'imposer aux autres par tous les moyens, et dans ce sens on peut dire que le dogmatisme est le fondement du fanatisme.
A mi-chemin entre scepticisme et dogmatisme, la philosophie peut se définir comme une conscience inquiète en marche vers la vérité, à laquelle elle aspire en restant vigilante parce qu'elle pressent toutes les embûches de l'itinéraire, et en ce sens la philosophie est le véritable fondement de la tolérance.
On comprend mieux pourquoi Pythagore a pu proposer le terme de philo-sophos ("philosophe"), désignant celui qui aime (philo) le savoir, la sagesse (sophia), se distinguant ainsi du savant (sophos) qui croit la détenir.
d) Vérité et réalité:
Si le problème de la vérité ne se pose pas habituellement, c'est aussi peut-être parce que les conditions ne sont pas réalisées qui lui permettent de se poser.
En effet le sens commun confond couramment vérité et réalité. Lorsqu'on lui demande d'énoncer une vérité, il désignera tel objet immédiatement perceptible; or de cet objet on peut dire qu'il est réel ou imaginaire, mais non qu'il est vrai. Ce qui peut être vrai pou faux, c'est la représentation que j'ai de cet objet, le jugement que je porte sur lui.
C'est-à-dire que la vérité est en jeu à chaque fois qu'il y a une relation entre l'esprit et le réel, entre la conscience et le monde. Pour étudier cette relation, il faut avoir une connaissance de chacun de ces éléments (l'esprit d'une part, le réel d'autre part), ce qui ne semble pas être le cas du sens commun.
Le sens commun est ouvert au monde, il cherche à le découvrir, à le soumettre à ses besoins, mais dans ce mouvement vers le monde il s'ignore lui-même comme conscience devant le monde, car il ne se pose pas spontanément la question de savoir comment son esprit prend conscience de la réalité extérieure qui nous entoure.
Il faut en quelque sorte tourner le dos au monde et revenir sur soi-même, c'est-à-dire, au sens étymologique, il faut réfléchir, pour que puisse se poser ce problème du rapport entre la conscience et le monde. C'est en ce sens qu'on peut comprendre le conseil que nous donne Socrate: Gnôthi seauton (en grec), "Connais-toi toi-même!", dont on fait le premier mot de la philosophie en l'interprétant comme une invitation à adopter l'attitude réflexive.
2/ Doute sceptique et doute philosophique:
On peut dire que la philosophie naissante a eu d'abord à fonder cette dualité, à imposer la distinction entre l'objet et sa représentation, conduisant à un ensemble d'arguments qui servent aussi à caractériser la position des Sceptiques (dont les plus connus furent Aulu-Gelle, Sextus Empiricus et Diogène Laërce).
a) La philosophie faisait remarquer que d'un même objet deux sujets pouvaient avoir des représentations différentes, ce qui établissait la différence entre objet et représentation; ou encore que d'un même objet un même sujet pouvait avoir des représentations différentes à des moments différents (exemple d'un bâton plongé dans l'eau et qui semble brisé en deux, puis de nouveau droit quand on le sort de l'eau).
Les arguments portaient sur la connaissance sensible que nous avons du monde, mais la critique s'élargissait et atteignait la connaissance rationnelle. Ainsi l'on voyait les Sceptiques prétendre qu'il était impossible de prouver quoi que ce soit, puisque prouver une proposition c'est toujours la déduire d'une autre, et que comme la régression à l'infini est impossible, il faudra toujours prouver la preuve elle-même, etc. C'est ainsi en se proposant d'établir cette distinction entre l'esprit et le réel que les Sceptiques, multipliant les arguments, ont creusé un véritable abîme entre la représentation et l'objet, au point qu'il semblait impossible pour l'esprit d'atteindre le réel (de savoir ce qu'il est concrètement). C'est très exactement le sens qu'il faut donner au Scepticisme. S'il rejette l'idée de vérité, c'est d'abortd parce qu'il croit que le réel est inaccessible à l'esprit. On voit pourquoi l'on associe souvent philosophe et sceptique (un homme "philosophe" serait quelqu'un "qui ne croit à rien"); la confusion est d'autant plus facile que l'esprit de l'un et de l'autre se réclament du doute. Mais il est important de distinguer le doute sceptique de Montaigne par exemple, et le doute méthodique de Descartes. Chez le sceptique, le doute achève la réflexion philosophique; chez Descartes, au contraire, il l'annonce (la première des Méditations métaphysiques a pour titre: "Des choses que l'on peut révoquer en doute.").
Le doute est une fin en soi chez le sceptique, tandis qu'il est un moyen lorsqu'il est méthodique. C'est d'ailleurs la signification même de la méthode, qui désigne la route que l'on doit suivre pour ne pas s'égarer. La méthode n'est jamais qu'un instrument de travail. Le doute sceptique se donne pour définitif, le doute méthodique se veut provisoire, l'objectif étant de parvenir à de l'indubitable (ce dont on ne peut douter).
Le doute sceptique s'impose, semble-t-il au sujet qui en est la proie. Descartes au contraire doit réagir contre une tendance naturelle à croire; il prend le parti de douter.
En fait le doute méthodique n'est finalement que l'ensemble des précautions qu'on prend dans n'importe quelle discipline lorsqu'on est en quête de vérité. C'est l'essentiel de ce qu'il est convenu d'appeler l'esprit critique.
b) Critique du Scepticisme:
Le scepticisme n'est pas à proprement parler une théorie de la connaissance; il exprime plutôt la position de ceux qui prétendent que la connaissance est impossible. Il trouve des formulations très diverses: "Rien n'est certain", "A chacun sa vérité", "Que sais-je?" (Montaigne).
Toutes ces propositions cherchent à exprimer l'idée que la vérité est impossible. La réflexion philosophique s'appliquant au scepticisme lui-même eut tôt fait de remarquer les contradictions de la position sceptique.
En effet, on ne peut sans contradiction déclarer que rien n'est certain, puisque cela se donne pour une certitude, ni affirmer à chacun sa vérité, puisque cette proposition est présentée comme valable pour tous. Et même le "Que sais-je?" de Montaigne n'échappe qu'en apparence à la contradiction; pour donner son véritable sens à cette question, il faut la replacer dans le contexte d'une critique de la raison dans laquelle Montaigne cherche à établir que les démarches de la raison sont perturbées par l'imagination (il donne l'exemple du vertige). C'est simplement pour ne pas s'exposer aux mêmes critiques que le scepticisme antique que Montaigne formule son "Que sais-je?" qui signifie en fait que la seule façon d'énoncer le scepticisme sans se contredire, c'est de poser la question "Que sais-je?", laquelle en réalité n'est pas synonyme d'un simple questionnement: que sais-je?
Le scepticisme débouche ainsi sur les théories de la connaissance, lesquelles se proposeront donc de déterminer une différence entre l'esprit et le réel.
3/ Les théories de la connaissance avant Kant:
a) L'innéisme:
Théorie de la connaissance selon laquelle les idées sont en nous dès la naissance, même si nous n'en prenons conscience que plus tard. C'est un point de vue développé par Platon dans un dialogue intitulé Ménon, et par Descartes également qui distingue trois types d'idées:
Celles qui nous viennent de l'expérience (les idées advantis), celles produites par l'imagination (les idées factis), et celles enfin qui sont innées.
b) L'empirisme:
C'est une théorie de la connaissance qui affirme au contraire de l'innéisme que rien dans l'esprit ne peut préexister à l'expérience. Notre esprit serait comme vierge à l'origine, et c'est la trace laissée en nous par les différentes impressions qui constitueraient nos idées. C''est donc dire que directement ou indirectement, toutes nos idées parviennent à nous par nos sens.
David Hume expose cette théorie au milieu du 18è s. et résume sa conception par la formule: "Il n'y a rien dans l'esprit qui n'ait été auparavant dans les sens."
Hume sera confronté à un certain nombre de problèmes et en particulier à celui de l'origine de notre idée de causalité, ce qui va le conduire à faire une critique de la causalité qui est déterminante dans l'histoire de la philosophie.
Si toutes nos idées nous viennent de l'expérience, on doit pouvoir trouver en elles l'origine de notre idée causale (selon laquelle toute cause est suivie d'effet et tout effet est précédé d'une cause). Or, si on examine la relation causale, on remarque qu'elle implique un double rapport chronologique et logique. En effet, si nous disons que A est cause de B, nous affirmons par là même que A est antérieur à B, c'est-à-dire un rapport de succession chronologique, mais nous disons aussi que si A est donné, B ne peut pas ne pas se produire; l'effet est rattaché à la cause par une relation nécessaire (rapport logique).
Il reste à savoir ce qui dans l'expérience a pu donner naissance à cette idée. Pour Hume, l'expérience fait apparaître le rapport chronologique entre un antécédent et un conséquent, mais ne révèle pas la nécessité de leur rapport. Cette critique de la causalité met en cause toute la science dans la mesure où on ne voit plus ce qui pourrait légitimer l'énoncé des lois.
C'est bien l'objectif de la science que de découvrir les lois qui régissent les phénomènes, et la loi est toujours envisagée comme une relation nécessaire et universelle. Or par définition l'universalité est invérifiable puisqu'on ne peut matériellement pas refaire la même expérience à l'infini. L'expérience n'atteste que d'une généralité, pas d'une universalité.
Il ne reste donc que la nécessité pour justifier l'énoncé des lois. Le savant passerait logiquement de la nécessité constatée à l'universalité prévisible. Mais faute d'avoir constaté cette nécessité, on ne peut plus s'autoriser à énoncer des lois. C'est ainsi la science elle-même qui devient douteuse, et pour Hume à proprement parler impossible. Certes elle peut présenter des avantages, des recettes pratiques, c'est un "ensemble d'opinions utiles", mais elle n'est en aucun cas ce qu'elle se prétend, à savoir une représentation exacte de la nature profonde du réel.
En décrétant l'impossibilité de la science, on voit comment l'empirisme conduit au scepticisme.
Hume conclura qu'il n'y a pas d'idée causale, que c'est un "bâtard de l'imagination", qu'il existe une simple croyance en la causalité, croyance qui s'explique par la loi d'association par continuité:
Selon lui, lorsque deux représentations se sont succédées dans l'expérience, la présence de l'une engendre l'image de l'autre: la dilatation ayant régulièrement suivi l'échauffement, il me suffit maintenant de voir celle-ci pour penser à celui-là, d'où une sorte d'anticipation qui me fait croire que la relation est nécessaire.
c) Critique de l'empirisme:
On a vu que le scepticisme était contradictoire. L'empirisme qui y aboutit doit être contradictoire également. En effet, la conclusion de Hume est d'affirmer que l'emploi du principe de causalité est illégitime. Or tout au long de sa démarche, on peut constater qu'il y a lui-même eu recours; par exemple dire que les idées sont la trace laissée en nous par les impressions, c'est dire que les impressions causent les idées.
En outre expliquer notre croyance en la causalité ne peut pas se faire en rejetant le principe de causalité, puisque expliquer c'est toujours donner la cause. Et dans son explication Hume se réfère à des lois d'association des idées qui régissent la vie de l'esprit; comment en même temps nier l'existence des lois de l'expérience quand on affirme par ailleurs que tout ce qu'il y a dans l'esprit vient de l'expérience...
LE RELATIVISME, THEORIE KANTIENNE DE LA CONNAISSANCE
1/ "A quelle condition la science est-elle possible?":
D'une certaine façon, on peut dire que Kant propose une théorie qui est comme la synthèse de l'innéisme et de l'empirisme. Comme les empiristes, Kant pense qu'il ne peut y avoir de connaissance qui soit sans rapport avec l'expérience, et comme les innéistes il pense que quelque chose dans la connaissance ne vient pas de l'expérience. Il n'affirme pas qu'il y a des idées innées mais une structure de l'esprit qui est "a priori", antérieure donc à l'expérience, et qui détermine le contenu de la connaissance. C'est précisément la critique de la causalité développée par Hume qui est à l'origine des recherches de Kant; de son propre aveu il a été "tiré de son sommeil dogmatique" par la critique de Hume. Il est d'accord avec ce dernier pour reconnaître que la nécessité ne se voit pas dans l'expérience, mais nous savons ce que Hume avait conclu de cette analyse: la science est impossible.
Or cette conclusion qui devrait logiquement s'imposer est contredite par les faits puisque la science de Newton semble parfaitement fondée, et qu'elle réussit. Comment donc affirmer d'une chose réelle qu'elle est impossible. Et c'est pour vouloir concilier la critique de Hume et la réalité de la science que Kant sera amené à développer sa théorie de la connaissance.
On comprend pourquoi la grande question de Kant: "Que puis-je savoir?" va très rapidement laisser la place à la question: "A quelle condition la science est-elle possible?"
a) Il faut qu'elle porte sur un objet réel, c'est-à-dire pas seulement un produit de l'imagination; en d'autres termes la science doit avoir une matière.
b) Elle doit énoncer des lois (= jugements nécessaires et universels), ce qui constituera la forme de la connaissance scientifique. On peut dire que la théorie de Kant va consister à déterminer deux origines différentes pour la matière et pour la forme: la matière viendra de l'expérience, la forme viendra de l'esprit. Ainsi toute la démarche de Kant consiste à essayer de repérer à tous les niveaux de la connaissance ce qui ne vient pas de l'expérience mais qui la précède, en d'autres termes ce qui est au-dessus de l'expérience; voilà pourquoi sa philosophie est qualifiée de transcendantale.
C'est ce qu'il entreprend de faire dans sa Critique de la raison pure théorique, qu'on peut diviser en trois grandes parties: a) L'esthétique transcendantale, qui est une théorie de la perception, où Kant essaye de faire apparaître ce qui dès la perception (premier stade de la connaissance) est "a priori", ce qui ne vient pas de l'expérience.
b)L'analytique transcendantale: Il procède à la même étude mais pour l'entendement, c'est-à-dire la faculté de juger.
c) La dialectique transcendantale: Etude de la raison, celle-ci étant définie comme l'entendement dans l'usage abusif qu'il peut faire des catégories logiques.
2/ L'esthétique transcendantale:
Esthétique est pris ici au sens étymologique comme une "théorie de la sensibilité", ce qui désigne chez Kant la faculté de percevoir. Pour Kant, toute connaissance commence par un rapport entre le sujet et l'objet, entre l'esprit et le réel, qui donne lieu à une perception par le sujet de l'objet. Aussi une théorie de la connaissance doit-elle commencer par une analyse de la perception. Au terme de cette étude, Kant va établir que notre sensibilité présente des formes a priori à travers lesquelles elle perçoit le réel; ces formes sont le Temps et l'Espace.
Kant fait d'abord remarquer qu'à chaque fois que nous percevons une chose, elle occupe un certain espace et notre perception s'effectue à un certain moment du temps. Toute perception donc a une forme spatio-temporelle.
a) L'espace: Si nous considérons un certain espace, il a un certain contenu duquel nous pouvons mentalement faire abstraction. Mais au terme de cette élimination, l'espace persiste comme un cadre vide duquel je ne peux pas faire abstraction.
b) Le Temps: On peut faire la même constatation pour le temps. Soit un certain laps de temps, il est jalonné par un certain nombre d'événements qui y sont introduits, si nous pouvons facilement faire abstraction du contenu du temps, nous ne parvenons pas à faire abstraction du temps lui-même.
Chaque fois que quelque chose vient de l'expérience (c'est-à-dire est "a posteriori"), on peut en faire mentalement abstraction. Inversement, si nous ne pouvons pas faire abstraction d'une chose, c'est qu'elle ne vient pas de l'expérience, elle est donc "a priori". Il faut bien conclure que ce sont là des formes a priori de notre sensibilité, que notre sensibilité impose à tout ce qu'elle s'applique à percevoir.
En d'autres termes, le réel ne nous est pas vraiment donné, il est simplement "offert", et lorsque ma sensibilité l'appréhende, elle lui impose ses propres formes, au sens propre elle l'informe, et par conséquent le déforme par rapport à ce qu'il est lui-même. Cela permet de comprendre qu'il n'y ait pas de perception en dehors de l'espace et du temps, ainsi que la distinction faite par Kant entre le monde des phénomènes, c'est-à-dire des choses telles qu'elles nous apparaissent à travers l'espace et le temps, et le monde des noumènes, des choses en soi, en dehors de notre perception.
Pour Kant, nous ne pouvons connaître que les phénomènes, une réalité déformée à travers l'espace et le temps. Notre connaissance est relative à la structure de notre esprit, relative par rapport à l'absolu des choses du monde en soi qui est inaccessible, d'où le terme de relativisme pour désigner le kantisme.
Kant montre qu'il y a une connaissance possible des phénomènes, c'est la science, mais que cette connaissance est relative, non pas parce qu'elle varie selon les caractéristiques individuelles des sujets, mais parce que l'esprit humain a une forme qui lui est propre et qui détermine en partie le contenu de tout ce qu'il cherche à connaître.
Cette analyse marque un véritable tournant dans l'histoire de la philosophie. On a parlé de "révolution copernicienne, car pour le rationalisme traditionnel, il s'agissait pour le sujet de se soumettre aux lois de l'objet, l'esprit devait se calquer sur le réel. Chez Kant, c'est l'esprit qui soumet (qui déforme) le réel.
c) Le temps avant Kant:
L'importance de cette conception tient tout particulièrement au rôle que Kant fait jouer au temps:
Jusqu'à lui, le temps était considéré comme l'obstacle majeur à la connaissance. Chez Platon, par exemple, s'il est impossible de connaître le monde sensible, c'est parce qu'il est soumis à un changement perpétuel, celui du temps qui est défini comme une « image mobile de l'éternité ». Aussi pour Platon la connaissance ne peut s'organiser que si elle tourne le dos au monde sensible pour se porter vers le monde intelligible, celui des idées éternelles. On constate la même chose chez Descartes: toutes les grandes vérités du système cartésien sont, comme le cogito, des vérités intuitivement saisies, c'est-à-dire qui n'exigent pas la médiation d'un raisonnement s'étalant dans le temps; on a pu montrer même que le "malin génie" de Descartes, qui serait susceptible de nous tromper dans les opérations mathématiques les plus simples, est une représentation du temps.
Avec Kant, le temps n'étant pas une caractéristique de l'objet mais une forme a priori de notre faculté de percevoir, il paraît impossible de connaître quoi que ce soit en dehors du temps.
C'est ce changement que Schopenhauer exprime en écrivant: "Avant Kant nous étions dans le temps, depuis Kant le temps est en nous."
Les modifications exprimées par l'application du temps et de l'espace à cette matière qui est fournie par l'expérience ne remettent pas en question l'objectivité scientifique; cette transformation s'opère chez tous les sujets de la même façon. En revanche il semble désormais impossible pour la métaphysique, (définie par Aristote comme "la connaissance de l'être en tant qu'être", indépendamment des manières d'être au travers desquelles il paraît) de devenir une science puisque il est impossible de connaître le monde des choses en soi. C'est ce que développe Kant dans ses Prolégomènes à toute métaphysique future qui voudrait se constituer comme science.
C'est aussi ce qui explique en partie le rôle que la philosophie attribue à la science au 19è siècle (puisqu'on ne peut rien connaître en dehors d'elle, ou plus exactement tout ce qui est en dehors de la science n'est pas accessible à notre connaissance), en particulier chez Auguste Comte, de même que le rôle de l'histoire à la même époque.
3/ L'analytique transcendantale:
Kant étudie ici l'entendement qui est la faculté de juger, de penser, de la même manière qu'il avait étudié la faculté de percevoir. La perception nous a permis de comprendre comment l'esprit prenait contact avec le réel, comment il accédait à ce monde des phénomènes. Mais nous ne voyons pas encore comment s'organise le monde des phénomènes, comment nous passons de cette "poussière de phénomènes" au monde ordonné qui est celui de la science. Kant va montrer que l'entendement présente une structure a priori constituée par les catégories, qui sont des modes de liaison entre les phénomènes; ainsi pour Kant, "juger c'est lier", ce qui rend compte de la possibilité d'énoncer des lois.
Parmi ces catégories, celle de la causalité:
On voit comment Kant se démarque de l'empirisme. Il avait concédé à Hume que la nécessité ne se voyait pas dans l'expérience, il en comprend la raison maintenant: elle ne s'y trouve pas, puisqu'elle vient de l'esprit dont elle est une forme a priori.
Pour comprendre les phénomènes, pour pouvoir les prendre en même temps (= com-prendre), c'est-à-dire pour les saisir selon un ordre, notre entendement use de ces modes de liaison et les relie selon le schéma de la causalité. On reconnaîtra en effet que notre esprit est ainsi fait qu'il ne parvient pas à penser un phénomène sans cause. Dans ces conditions, il appliquera spontanément à tout phénomène ce schéma explicatif.
4/ La dialectique transcendantale:
Kant décrit ici le mauvais fonctionnement de l'entendement: Les catégories ont pour fonction de relier entre eux les phénomènes. C'est dire que leur domaine d'application est défini à travers l'espace et le temps, qui sont "les conditions de toute expérience possible". Il arrive parfois que pour répondre à un besoin d'unité, l'entendement dépasse les limites de l'expérience possible et applique les catégories à des choses qui ne sont pas données à travers l'espace et le temps.
Par exemple lorsqu'on rattache le monde à une cause divine, Dieu n'étant pas perçu à travers l'espace ni le temps. A ce niveau on peut indifféremment établir sa nécessité ou son impossibilité, on aboutit donc à une antinomie (= affirmation simultanée de deux propositions contradictoires; cf. l'antinomie de la liberté).
On voit bien en quel sens la métaphysique ne peut pas être une science, et pour Dieu comme pour la liberté, il ne peut être question que de postulats.
Merci pour la clarté de ce texte qui m'a permis de réviser – et surtout de corriger ! – certaines choses qui traînent dans le grenier un peu poussiéreux et bien mal organisé de mon esprit. ;-)