Le début de LA FIN
Premières pages du roman en cours de Stéphane Zagdanski
Note sur les droits de reproduction
Ce roman est en cours d’écriture, et je me réserve la liberté d’en modifier à ma guise quelque partie que ce soit, d’en supprimer ou d’en ajouter des paragraphes, y compris d’en modifier l’ordonnancement, jusqu’à sa parution finale en livre papier lorsque je le considérerai comme achevé.
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Enfin, comme il est d’usage, je précise que tous les personnages et événements de ce roman, y compris ceux dont les noms sont empruntés à des personnes réelles, sont imaginaires et n’ont d’autre valeur philosophique ou politique que celles que je déciderai de leur conférer lors de mes interventions à leur propos.
La Fin
« Ce qui m’épouvantait est survenu contre moi. »
Job, III, 25
Première partie
Sang bleu
« Je me répands comme de l’eau; tous mes os se disloquent. Mon cœur, comme de la cire, fond dans mes viscères. »
Psaumes, 22, 14
Le cadavre alambiqué de Benjamin Netanyahou rendait perplexe le professeur Muszkat, réuni avec son équipe en urgence autour d’une table de dissection de l’hôpital Hadassah.
Recroquevillée contre la surface concave de métal argenté, les contorsions extatiques de la molle gargouille bleuâtre défiait toutes les lois de la rigidité post mortem. La roublarde bouille rondelette de l’ancien premier ministre s’était dégonflée, telle une informe baudruche hors d’usage. Sa caboche de concessionnaire de limousines américaines s’affalait sur l’acier inoxydable. Mordechaï Muszkat ne put s’empêcher de songer au personnage du Cri d’Edvard Munch, qui aurait brusquement baissé les bras de sorte que rien n’empêchât son faciès d’effaré fantomatique de se liquéfier jusqu’au sol.
Aucune page des annales médico-légales universelles ne correspondait à cet humanoïde mollusque aux membres flasques, emberlificotés comme les tentacules d’un poulpe épileptique à l’agonie sur le sable, dont les tissus ondoyaient encore perceptiblement sous la houle d’une inexplicable putréfaction précipitée.
Pourtant, Muszkat et ses assistants n’en étaient qu’aux prémisses de leur stupéfaction. Lorsqu’on entreprit d’autopsier le méconnaissable Bibi à la carcasse chiffonnée, torsadée comme un billet d’amour froissé et jeté dans les flammes – ce qui résumait assez le destin de ce politicien aussi adulé que décrié, cet ancien soldat d’élite au tempérament trempé qui faisait l’admiration de ses partisans et l’avait maintenu si longtemps et à de si nombreuses reprises au pouvoir, dans un pays pourtant accoutumé à une invraisembable sorte d’anarchie constitutionnelle –, on constata une pétrification inusitée de tous les organes internes.
À la suite d’on ne savait quel sortilège, le cœur, les poumons, l’estomac, le foie, les reins, les intestins de Bibi rutilaient de raideur. Muzkat songea aux sushis et aux sashimis en plastique exposés dans la vitrine de Nini Hachi, le restaurant japonais de la rue Ben Yehuda, à Tel Aviv.
À l’inverse, par un consternant chiasme macabre, toute l’ossature et les tissus cartilagineux s’étaient avachis, dégoulinant sur la table d’autopsie comme de la cire fondue. C’était ce paradoxe biologique qui avait provoqué l’affaissement de la structure corporelle de Netanyahou, métamorphosant son cadavre en une mollassonne marionnette désarticulée, pelotonnée et tressaillante, qui menaçait de se répandre et de s’évacuer entièrement dans le siphon situé à l’extrémité de la table Mopec.
L’épiderme de Bibi avait pris une teinte azurée : les veinules transparaissaient sous la peau devenue parfaitement cristalline, de sorte que ce corps inexplicable, ce prodige cadavérique en quoi s’étaient inversées toutes les polarités anatomiques entre dureté et mollesse, raideur et élasticité, rigidité et souplesse, fermeté et tendreté, droiture et sinuosité, friabilité et viscosité ; ce chaos histologique, cette aberration physiologique par laquelle, avec une rigueur et une minutie qui ne pouvaient pas ne pas receler une signification pour l’instant indéchiffrable – pas un organe mou qui ne se fût ossifié, pas un osselet du squelette qui n’eût fondu ; cette atroce créature vitrifiée au délicat moiré myosotis dont seule la carte d’identité – ou plutôt le code QR associé sur son portable au passeport sanitaire – témoignait qu’il s’agissait bien de Benjamin « Bibi » Netanyahou, jadis le plus jeune premier ministre depuis David Ben Gourion… voyait par une inquiétante ironie sa défiguration monstrueuse teintée aux avenantes couleurs du drapeau de l’État d’Israël.
L’analyse sanguine procura un début d’explication à cette abomination pathologique. Sur la lamelle de verre placée sous le microscope électronique, dont l’image était réverbérée sur un grand moniteur accroché au mur de la salle, les anticorps de Bibi bouillonnaient de rage et d’audace dans quelques gouttelettes d’un improbable sang bleuté. Passé du carmin à l’azur, le fluide vital se révélait ainsi adoubé par Pfizer, dont la treizième dose de vaccin avait été administrée il y avait quelques jours seulement à Netanyahou, comme à huit millions d’autres Israéliens.
Et ce minuscule geyser de globules blanc-bleu délivrait à l’équipe de médecins estomaqués une nouvelle tragique. L’ARN messager inclus dans la seringue Pfizer avait bien délivré sa salutaire communication mais, aussitôt après, il avait trahi son propre camp pour passer à l’ennemi. Comme s’ils avaient pris leur nom à la lettre, les anticorps s’étaient retournés contre tous les organes internes et externes de l’humain dans lequel la substance génétiquement modifiée avait été inoculée.
C’était du jamais vu, et cela ne faisait que commencer.
(À suivre)
© Stéphane Zagdanski 2024
La méfiance devrait régner à l’approche des antis.
L’absence de pont-levis, de douves, de limites
Laisse n’importe quoi circuler dans les sangs.
Mais cette absence est le bouclier même. Son acier, sa lance.
[ écho # 3 ]