L’autre atout de Chomsky qui manquait encore à Spinoza, c’est la machine informatique, l’automate non plus spirituel mais à transistors, dont l’invention date de 1947, soit dix ans avant la parution des Syntaxic Structures de Chomsky, ces néo-machines à calculer sans lesquelles, je l’ai dit, ses machinations n’auraient jamais été envisageables.
C’est ainsi, comme le relate un article du blog du MIT datant de 20111, que « dans les années 1950 et 1960, alors que Warren McCulloch et Walter Pitts du MIT construisaient des réseaux de neurones artificiels, que John McCarthy et Marvin Minsky contribuaient à créer la discipline de l'intelligence artificielle et que Noam Chomsky révolutionnait l'étude de la linguistique, les espoirs étaient grands de voir les outils issus de la nouvelle science de l'informatique percer les mystères de la pensée humaine ».
Il y a ainsi une raison de fond de relier Chomsky à Spinoza, ce dernier étant, avec Descartes, le vrai précurseur de la Conception scientifique du monde, titre en 1929 du manifeste du Cercle de Vienne et, en un sens, nouveau Nouveau Testament de notre époque et de son gouffre technolâtrique :
Il est en effet loisible de tracer une ligne relativement droite allant de « l’automate spirituel » de Spinoza à la « grammaire universelle » de Chomsky, en passant par la « computing machine » (« machine computationnelle ») de Alan Turing en 1937, qui identifia « des procédures mentales à des procédures de calcul mécaniques » impliquant « le caractère simultanément automatique et autonome de la pensée »2 ; la cybernétique de Norbert Wiener, définie en 1948 comme une théorie du « contrôle et de la communication dans le vivant et la machine» ; et les « Minds and Machines » (1960) du philosophe Hilary Putnam (1926-2016) « postulant une analogie entre procédures mentales et procédures de calcul inhérentes à un dispositif mécanique ».3
Extrait du film The Imitation Game
Chomsky participa en 1956, à la première conférence consacrée à l’intelligence artificielle et à son application à la psychologie cognitive, réunissant des mathématiciens, des informaticiens, des neurobiologistes, des économistes, des psychologues, et un linguiste, donc, en la personne de Noam Chomsky.
Commençons par rappeler ce que Spinoza, dans le Traité de la réforme de l’entendement, qualifie d’automa spirituale :
« Nous avons montré que les effets objectifs /de l'idée vraie/ dans l'âme sont en corrélation avec l'essence formelle de l'objet. Ce qui revient à dire, comme firent les Anciens, que la vraie science procède de la cause aux effets. À cela près que jamais, me semble-t-il, ils ont conçu, comme nous, l'âme, agissant selon des lois déterminées pour ainsi dire comme un automate spirituel. »4
« Rappelons que cette notion d’automate spirituel », écrit Pascale Gillot dans son étude « Le modèle cognitiviste »5, « instituée à titre original par Spinoza avant d’être reprise et réformée par Leibniz dans le cadre de la doctrine de l’harmonie préétablie, est dans la perspective spinoziste explicitement liée à l’existence de ‘‘lois déterminées’’ de la pensée, qui norment l’agir de l’âme, et sont donc au principe de l’activité mentale. »6
Quant à Chomsky, il faut bondir jusqu’en 1957, année de la publication de ses Structures syntaxiques qui rendit sa doctrine de la « grammaire générative » internationalement célèbre. Ce texte tatoué Massachusetts Institute of Technology fit l’effet d’une bombe dans l’univers cybernétisé de la linguistique anglo-saxonne.
C’est leur compatibilité avec la cybernétique qui assurèrent aux thèses de Chomsky un tel succès. La déflagration fut quasiment nulle en France où méditaient de bien plus raffinés, littéraires et cultivés esprits tels Ferdinand de Saussure, Claude Lévi-Strauss, Émile Benveniste ou Jacques Lacan…
En 1955, Roman Jakobson avait fait entrer Chomsky au M.I.T. comme professeur associé au sein du laboratoire de recherche en électronique qui travaillait alors sur un projet de traduction automatique. C’est le même Roman Jakobson qui, en 1958, se prononcera contre l’arrivée de Vladimir Nabokov à Harvard pour y enseigner la littérature slave en prétextant :
« Messieurs, à supposer même qu'il soit un écrivain important, faudrait-il que nous invitions ensuite un éléphant à devenir professeur de zoologie ? »7
Gorgé de borborygmes algorithmiques, gavé de billevesées informatiques, engoncé de débiles projets de « traduction automatique » ou de « traitement automatisé des langages naturels » dont son compère du M.I.T., Morris Halle s’était fait une spécialité, Chomsky forme l’hypothétique hypothèse platonicienne d’une « grammaire universelle » aux conjecturaux rouages neurologiques – dont nul scanner ni I.R.M. ne trouvera jamais la moindre trace.
Voici un exposé clair de la méthodologie et des fondements des Syntaxic structures par François Ter8 paru en 1970 dans la Revue française de pédagogie :
Les plus hypothétiques joujoux de l’impayable cybernétique (soit la science de la Gouvernance par la Machine) élaborés en labo à partir des briquettes lego de la logique formelle – la « programmation », la « compilation », la « théorie de la calculabilité »… – sont recyclés par Chomsky en une ridicule « universalité » autocirculaire, appuyée sur l’hypothétique hypothèse de la récursivité de toute syntaxe, soit la possibilité purement abstraite d’agréger à l’infini des syntagmes.
Une ultime raison non négligeable de faire de Noam Chomsky l’héritier direct de Spinoza, est chez les deux hommes leur similaire animosité névrotique à l’égard de leur communauté d’origine, Chomsky étant depuis longtemps un antisioniste exacerbé, virulent, militant et délirant9.
Le chercheur britannique Paul Bogdanor s’est d’ailleurs amusé à compiler les dizaines de mensonges factuels géopolitiques et de déclarations outrancières de Chomsky concernant non seulement le conflit israélo-arabe mais également l’URSS, le Vietnam, le Cambodge, le Tibet, l’Amérique latine, le Nicaragua, etc.
En France, on a surtout en mémoires ses vaseuses explications concernant son soutien à Faurisson. Je vous renvoie au texte de Pierre-Vidal Naquet10 paru dans la revue Esprit en 1981, qui révèle tout de la profonde malhonnêteté intellectuelle de Chomsky.
Tout cela, cette longue passion pathologique pour le truquage chez Chomsky est archiconnue, documentée, et largement accessible en ligne, principalement en anglais. En voici quelques témoignages cités par Paul Bogdanor dans sa recension des 250 mensonges de Chomsky :
L’historien Arthur Schlesinger en 1969 :
« Il débute comme un prédicateur du monde et finit comme un escroc intellectuel. »
Le journaliste Leopold Labedz en 1980 :
« Dans son fanatisme idéologique, il déplace constamment ses arguments et déforme les références, les citations et les faits, tout en déclarant son "engagement à trouver la vérité". »
L’historien du sionisme Walter Laqueur en 1982 :
« Même dans les rares occasions où M. Chomsky traite de faits et non de fantasmes, il exagère par un facteur de plus ou moins quatre ou cinq. »
Le linguiste Paul Postal en 2003 :
« Après de nombreuses années, je suis arrivé à la conclusion que tout ce qu'il dit est faux. Il ment juste pour le plaisir. Chacun de ses arguments était teinté et codé de fausseté et de prétention. C'était comme jouer aux échecs avec des pièces supplémentaires. Tout était faux. »
Cette malhonnêteté apparemment pathologique chez Chomsky, assez typiquement stalinienne sur le fond (qu’on retrouve aussi chez un Badiou et quelques d’autres) mériterait d’être analysée afin de comprendre pourquoi, parfois, ce sont les esprits les plus apparemment versés dans l’exactitude et l’adéquation qui non seulement mentent le plus ouvertement mais refusent le plus radicalement de reconnaître leurs erreurs pourtant publiquement avérées.
Il faut maintenant savoir que cette débauche de cliquetis de claviers et de souris autour de la « grammaire générative », ces milliers de pages de recherches morphophonologiques engouffrées dans des machines à calculer et à traduire ; toutes ces décennies de débats et de disputes menés par le dogmatique Chomsky, mâchouillant intraitablement ses dogmes formalistes, ses approximations embarrassées, ses parallélismes infâmes, ses mensonges avérés ; rétorquant avec la subtile sobriété d’un joueur de football américain à ses contradicteurs (parmi lesquels Lacan, Derrida, Elie Wiesel, Alan Derchowitz, Werner Cohn…) en les traitant de « charlatans », de « menteurs », d’« imposteurs » ; toutes ses grossières bourdes éthiques concernant les Khmers rouges, Faurisson, Srebrenica, la Syrie ; son antisionisme fanatique…, tout cela – et même ses louables prises de position contre la guerre du Vietnam ou la fabrication médiatique du consentement au capitalisme globalisé… – tout cela réduit en poudre, en miettes, en charpie, hacké jusqu’à la glande pinéale par un tout petit peuple qui lui aussi, comme Israël, avait jusqu’à récemment sa demeure à part : les merveilleux Pirahãs d’Amazonie11, révélés au monde entier (pour leur malheur…) par le touchant et tenace Daniel Everett – à son tour taxé de « charlatan » – faut-il en être surpris – par cet inénarrable schmock de Chomsky…
Tom Wolfe consacra en 2016 à Chomsky et – récursivement – Darwin un hilarant petit pamphlet, très informé, Le règne du langage12, lequel détaille à foison les raisons du pitoyable crash de toutes les thèses chomskyennes contre le mur de l’impondérable diversité humaine. Chomsky l’admettra piteusement en 2014, co-signant avec quelques confrères robotisés un demi-mea culpa intitulé : Le mystère de l’évolution du langage13.
Je dis « demi », car ces robots ne lâchent jamais complètement prise. Ainsi, si le gang d’experts en « biologie intégrative », « sciences de l’information », « linguistique théorique et appliquée » et « anthropologie » admettent qu’« au cours des quatre dernières décennies, nous avons connu un développement spectaculaire de la recherche sur ce sujet, et le sentiment que des progrès considérables avaient été accomplis », « au contraire, nous avançons ici que cette abondance d’idées s’est accompagnée d’une grande pauvreté en preuves démontrées, aboutissant à une absence d’explication plausible quant au pourquoi et au comment de l’évolution des évaluations et représentations linguistiques… »
Pour finir par avouer que « les questions les plus fondamentales relatives à l’apparition du langage et à son évolution demeurent plus énigmatiques que jamais »14.
Wolfe néanmoins omet de citer la conclusion du mea culpa chomskyen-et-consorts, qui fait reposer l’échec des robots sur le manque de moyens robotisés, non sur l’impondérabilité inhérente de la Parole :
« En ce qui concerne notre propre espèce, nous ne savons rien de la neurobiologie de nos procédures récursives, et même concernant des systèmes apparemment plus simples, tels que la phonologie, notre compréhension est très pauvre. Inutile de dire que cela rend le travail comparatif pratiquement impossible car les circuits cibles pour les humains modernes ne sont pas clairs. Au fur et à mesure que les progrès de la neuroimagerie et d’autres techniques cellulaires s’amélioreront, il en ira peut-être de même pour la compréhension.
Sur le plan archéologique, on peut certainement imaginer la découverte d’artefacts symboliques plus riches, peut-être même des chaînes de symboles non-iconiques, datant d’avant l’émergence de l’Homo Sapiens. De telles découvertes repousseraient les origines des capacités symboliques, et fourniraient une plus grande avancée dans les questions d’origine et d’évolution ultérieure.
Si de telles découvertes à partir de comparaisons entre le comportement animal, la paléontologie, la neurobiologie et l’archéologie étaient faites, parallèlement avec une meilleure compréhension de la cartographie des phénotypes génétiques, cela ouvrirait la voie à une génomique et à une modélisation plus pertinentes. Ce sont là autant de grands ‘‘si’’, concernant la nature et la possibilité de preuves futures. Tant que de telles preuves ne seront pas apportées, la compréhension de l’évolution du langage restera l’un des grands mystères de notre espèce. »15
(À suivre)
Pascale Gillot, L’esprit, figures classiques et contemporaines , chap. « Le modèle cognitiviste »
Ibid.
TRE § 85, Pléiade p.133
Op. cit.
Ibid.
Un excellent documentaire leur a été consacré en 2012 :
The Kingdom of Speech, paru en 2016, et publié en français chez Robert Laffont en 2017.
Co-signé par des universitaires dont les domaines d’expertise sont aussi ronflants que robotiquetiques : « Risk-Eraser », « Department of Linguistics and Computer and Information Sciences », « Department of Electrical Engineering and Computer Science » , « Division of Anthropology », « Department of Integrative Biology », « Department of Theoretical and Applied Linguistics », « Department of Linguistics and Philosophy » (il s’agit de Chomsky…), « Department of Organismic and Evolutionary Biology ».
La déclaration est en ligne (en anglais) : https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2014.00401/full
Cité par Tom Wolfe, op. cit., p.197-198
« For our own species, we know nothing about the neurobiology of our recursive procedures, and even for such seemingly simpler systems, such as phonology, our understanding is very poor. Needless to say, this makes comparative work virtually impossible as the target circuitry for modern humans is unclear. As advances in neuroimaging and other cellular techniques improve, so too perhaps will understanding.
In terms of the archaeological record, we can certainly imagine the discovery of richer symbolic artifacts, perhaps even non-iconic strings of symbols, dating before the emergence of Homo sapiens. Such findings would push back the origins of symbolic capacities, and provide greater traction into questions of both origin and subsequent evolution.
Should such discoveries from comparative animal behavior, paleontology, neurobiology, and archaeology be made, along with greater depth of understanding of gene-phenotype mapping, it would open the door to more relevant genomics and modeling. These are all big IFs about the nature and possibility of future evidence. Until such evidence is brought forward, understanding of language evolution will remain one of the great mysteries of our species. »