La préface de McCulloch date de 1967. Elle est donc posthume à la thèse de Von Domarus. Elle est donc déjà contemporaine du plein déploiement de la Cybernétique, et d’ailleurs une note indique sur la page de couverture que le travail du Dr McCulloch au MIT est supporté par divers services et soumis à divers contrats, notamment avec l’US Air Force.
Je précise cela car les pages qui succèdent aux schématisations et simplifications des abstractions stoïciennes par McCulloch sont littéralement une ode à la Technique sous les auspices de la mutation de la logique à partir des années 20, « the roaring ‘20s’ » écrit triomphalement McCulloch.
« Grâce à Morgan <Thomas Hunt Morgan, généticien américain prix Nobel de biologie en 1933 pour ses découvertes sur les mouches à vinaigre ou drosophiles>, célèbre pour ses mouches à fruits, je disposais d'un modèle génétique de circulation de l'information dans les rangs des neurones. Je me suis tourné vers la neuroanatomie, j'ai fait mes études de médecine et j'étais interne et résident à l'hôpital Bellevue avec Sam Wortis, qui me reprochait de toujours essayer d'écrire une équation pour le cerveau. C'est ce que j'essaie encore de faire pour le noyau réticulaire du système nerveux. »
Puis continue McCulloch, le monde changea brusquement. Akermann arithmétisa la logique < arithmetized logic>, un de ses amis chez Bell Téléphone produisit une « mesure de l’information » et Larry Kubie inventa l’activité nerveuse par résonnance <reverberating nervous activity : Lawrence Schlesinger Kubie (1896-1973), psychothérapeute américain, théoricien de l’hypnose. Selon Wikipédia : « Dans ses articles de 1930 et 1941, Kubie propose la théorie des ‘‘circuits fermés réverbérants’’ comme possible soubassement neurophysiologique des névroses, qui fut reprise par Warren McCulloch. John Z. Young testa cette théorie sur le poulpe et ses travaux furent discutés lors de la 9e conférence Macy »>.
Hélas, avant 1943, l’année cruciale de la publication avec Pitts de la thèse “A Logical Calculus of the Ideas Immanent in Nervous Activity”, les travaux de McCulloch piétinent, en particulier sa tentative linguistique d’inventer une logique non copulative pour les verbes <inventing a logic for verbs other than the copulative>, car de son propre aveu, ces travaux n’étaient pas à la mesure des progrès théorico-techniques de ses contemporains.
Ce n’est que par la miraculeuse entremise mathématique de Pitts que McCulloch va enfin pouvoir donner une forme théorique à ses intuitions pansomatiques.
Ce qui permet de comprendre aussi que Von Domarus – “the only other trained philosopher I have ever known who was forced into neuropsychiatry by philosophic problems” –, n’aura en somme servi qu’à introduire Être et Temps dans la confuse caboche de McCulloch.
Il signale d’ailleurs, concernant Von Domarus, qu’il dégraissa sa thèse de ses « phrases monstrueuses » en allemand sans en perdre les idées <“I did reduce to English, at least partially, his monstrous sentences without losing his ideas.”> idées avec lequelles, précise McCulloch, il était parfois en profond désaccord, concernant « Aristotle, Aquinas, Bruno, phyics, logic, and probability ».
Enfin McCulloch nous apprend qu’il enseigna la thèse et les idées de Von Domarus durant onze ans, sans pour autant y adhérer pleinement, donc, à ceux de ses étudiants en psychiatrie qui n’étaient ni incompétents, ni effrayés ni pervers <all my students in the field who were not incompetent, frightened or perverse> !
Le déclic cybernétique de McCulloch, ce n’est donc pas l’aristotélicien Von Domarus qui le provoqua, mais, comme l’explique très bien Tara Abraham, la rencontre cathartique avec Pitts.
Mais avant d’en arriver à Pitts, il faut en passer par deux autres noms propres qui furent de primordiaux précurseurs dans la formation intellectuelle de McCulloch : il s’agit de Dusser de Barenne et de Rudolph Magnus.
Pour l’instant nous sommes encore dans les années vingt, et McCulloch cherche à tout prix à dégraisser la pensée humaine comme il dégraissa les sentences « monstrueuses » de son mentor philosophique Von Domarus.
Ce qui est d’autant plus ironique que McCulloch reproche précisément au début de son introduction aux sciences séparées de son temps (le old schism rejoué par la théorie mathématique d’un côté et la biophysique du cerveau de l’autre, de pratiquer un « réductionnisme » exagéré, ce que le physicien Donald MacKay appelait, cite McCulloch, « Rien de trop gras », Nothing Buttery…)
Pour cela, pour dégraisser la pensée, dans le sillage de son échec (de son propre aveu) à inventer une « logique des verbes transitifs » (ce sera le lot de Chomsky), McCulloch va à partir de 1923 inventer « une sorte de plus petit événement psychique » envisageable <a kind of least psychic event>, qu’il baptise le psychon.
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