Penser l'antisémitisme (et le peuple juif par la même occasion)
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Penser l'antisémitisme, 26 novembre 2023
Rectificatif :
1/ À propos d’antisémitisme pré-chrétien, que j’ai minimisé, Hyam Maccoby dans Un peuple paria, rappelle au contraire l’important antisémitisme gnostique et hellénistique :
« L'antisémitisme hellénistique trouve son expression la plus dangereuse de par sa portée considérable dans certains écrits gnostiques, un mouvement remontant à une période préchrétienne. Dans ces textes, les Juifs ne sont pas simplement attaqués parce qu'ils seraient antisociaux et misanthropes, mais parce qu'on leur fait jouer le rôle cosmique de dévots acolytes d'une divinité maléfique. Dans le gnosticisme, ce monde du mal où nous vivons est la création d'un dieu maléfique, ou du moins limité et fourvoyé, connu sous le nom de Démiurge (ou Créateur). Selon la conception antisémite de certains gnostiques, ce dieu maléfique ne serait autre que le Dieu des Juifs, il leur aurait donné la Torah, instrument par lequel ils empêcheraient la connaissance (gnose) du vrai Dieu suprême. C'est la première apparition dans l'histoire d'un portrait antisémite des Juifs comme peuple du Diable. C'est également la première représentation des Juifs comme peuple dénué de spiritualité, matérialiste, uniquement attaché aux valeurs limitées de la vie sur cette terre.
L'antisémitisme préchrétien hellénistique a en effet joué un très grand rôle dans l'histoire de l'antisémitisme. Il était fondé sur la rivalité culturelle entre l'hellénisme et le judaïsme. Les hellénistes, à leur manière, étaient souvent animés de la même ferveur pour diffuser leurs valeurs et leurs pratiques comme culture universelle que, plus tard, les chrétiens et leur zèle à répandre l'Évangile. Ainsi Antiochos IV Épiphane, qui déclencha la révolte hasmonéenne en profanant le Temple juif, était un dévot partisan de la culture hellénistique, et il avait été profondément scandalisé par le refus des Juifs de l'adopter sans réserve. L'empereur romain Hadrien fut un autre persécuteur du judaïsme, et il considérait les pratiques juives de la circoncision, l'observation du Shabbat et les observances alimentaires comme un outrage à l'idéal hellénistique d'uniformité culturelle. Non pas qu'Hadrien s'opposât à l'idée de tolérance, au contraire, il s'enorgueillissait d'accueillir toutes les croyances et il avait invité toutes les nations soumises à la domination romaine à envoyer une statue de leur dieu pour le placer dans son Panthéon. On demanda également aux Juifs de donner une statue de leur dieu, Abraham. Lorsqu'ils refusèrent pour la bonne raison qu'Abraham n'était pas un dieu et que Dieu ne pouvait être représenté par une statue, Hadrien prit la chose comme un affront porté à son noble projet œcuménique. Le chef d'une nation qui, malgré ses conquêtes impériales (dont celle de la Grèce), avait entièrement embrassé la culture grecque, supportait mal l'intransigeance d'une nation qui non seulement insistait pour conserver sa propre culture, mais en proclamait la supériorité. Sous des apparences de tolérance, l'hellénisme n'acceptait en réalité aucune divergence par rapport à sa norme, et aucun défi à sa suprématie. Ces Helléniste se distinguaient des authentiques intellectuels grecs des temps passés, admiratifs de la culture juive – tout au moins de ce qu'ils en connaissaient.
Il y avait ainsi un profond et amer conflit entre l'hellénisme et le judaïsme du fait de la prétention juive à être le peuple élu de Dieu et du déni de la prééminence culturelle hellénistique qui en découlait. Le ressentiment hellénistique produit par cette affirmation juive pouvait prendre deux formes. L’une était le simple rejet que l'on retrouve dans des diatribes méprisantes contre les Juifs considérés comme de simples barbares, incapables de profiter des lumières de l'hellénisme. L'autre forme, cependant, plus intéressante pour la thèse de ce livre, était un moyen d'usurpation. Cette réaction au judaïsme consistait à affirmer une revendication concurrente de celle des Juifs, mais dans un discours clairement repris du judaïsme lui-même. Les gnostiques furent les premiers à user de ce type d'évincement. Que firent-ils? Ils élaborèrent une race élue rivale, la semence de Seth reléguant les Juifs à la position de faux prétendants. Se servant des Écritures juives, en particulier la Genèse, dont ils s'arrogeaient la paternité, ils développèrent une doctrine de l'élection qui contournait la descendance juive d'Abraham. Des personnages bibliques non-juifs tels que Seth, Melkizédek ou même Caïn devinrent les héros de l'histoire, descendants d'une lignée illuminée, possesseurs de la gnose du Dieu Suprême, opposés aux enseignements non-spirituels du Dieu-Créateur imparfait des Juifs.»
2/ J’ai oublié de rappeler, à propos de la « mobilité » essentielle du Symbolique au fondement du peuple juif, la phrase impulsive et structurante du judaïsme,
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