La meilleure illustration en est un journal comme Le Monde diplomatique, profondément antisioniste depuis à peu près toujours, qui consacrait en 2018 un numéro spécial à la Palestine, où, hormis les usuels reportages sur la dureté de la vie en Cisjordanie et à Gaza, et la responsabilité d’Israël et de l’occupation dans cette situation, les préconceptions antisionistes de base (l’illégitimité du projet sioniste : ) sont réaffirmées sans nuance ni, là encore, la moindre velléité d’introspection auto-critique qui tâcherait de déterminer la responsabilité du discours antisioniste occidental et du soutien indéfectible de ce discours à la « cause » palestinienne depuis les années 60 dans l’effondrement catastrophique de cette même « cause » et dans le malheur consécutif du peuple qui s’en réclame après un siècle de venimeuses récriminations et de vaines revendications (« la Palestine du Fleuve à la Mer »).
Dès l’éditorial, signé Akram Belkaïd et Olivier Pironet, de ce numéro spécial qui succède à la décision par Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale officielle d’Israël en décembre 2017, on lit entre les lignes une ferme volonté de ne jamais poser les questions de la responsabilité fondamentale d’une situation déplorable dont on est bien forcé de faire le constat : celui de « l’impasse palestinienne ».
Il va de soi que l’État d’Israël (de sa création à aujourd’hui) est le responsable principal du malheur palestinien – exactement comme il allait de soi pour la population allemande entre les deux guerres que les Juifs étaient responsables par leur « coup de poignard dans le dos » de la défaite allemande en 1918 –, et que l’on n’a par conséquent jamais à interroger les choix successifs des Palestiniens réunis et galvanisés derrière tel ou tel de leurs catastrophiques leaders successifs : le grand mufti hitlérophile dans les années 40, Arafat et les groupes terroristes dans les années 60, le Hamas dans les années 2000, etc.
Les Palestiniens sont ainsi considérés d’emblée comme un seul monolithe imaginaire et complètement infantilisé (dont témoigne Handala, le gavroche palestinien), comme s’ils n’avaient aucune part dans les choix idéologiques qui furent les leurs au cours des décennies de guerre contre Israël. Le discours antisioniste occidental, dont Le Monde diplomatique est la parfaite illustration, ne se donne jamais la peine de justifier ses vérités d’évidence, comme par exemple, dans l’éditorial en question, le fait que la récente attitude conciliante et modérée des monarchies du Golfe vis-à-vis d’Israël – par intérêt stratégique partagé de contrecarrer les ambitions nucléaires iraniennes – ne saurait « aboutir à la paix » et que le croire est une « illusion » :
« Abdel-hamid Hakim, le directeur général du Centre d’études stratégiques et juridiques du Moyen-Orient basé à Djeddah (Arabie saoudite), estime ainsi que Palestiniens et Arabes doivent reconnaître qu’’’Israël est le produit du droit historique des Juifs dans la région’’ et faire preuve ‘‘de réalisme’’ sur la question de Jérusalem. L’illusion qu’une telle démarche puisse aboutir à la paix se propage d’autant plus vite que l’Autorité palestinienne est discréditée. »
Sans expliquer ni en quoi ni pourquoi la nouvelle modération des pays arabes, inédite depuis un siècle de conflit (à l’exception de l’Égypte et de la Jordanie) échouerait à « aboutir à la paix » quand un siècle de fantasmatique panarabisme n’y est pas parvenu, les deux éditorialistes se lancent dans la description passive (jamais analytique ni questionnante : pourquoi en est-il ainsi ?) de l’incompétence et de l’autoritarisme de Mahmoud Abbas et du fossé entre l’Autorité Palestinienne et la population. Conclusion de l’éditorial, qui semble ne pas tenir compte d’un siècle d’échecs de la « cause » palestinienne (et pas seulement de son combat) :
« L’urgence pour les Palestiniens passe par une recomposition politique de leur mouvement national. Cela permettrait l’émergence d’une génération de dirigeants capables à la fois de faire face aux défis posés par une occupation qui n’en finit pas et de répondre à l’exigence de démocratie et d’unité. »
Bref, du pur blabla vertueux et creux d’universel journaliste (qu’ils sont tous peu ou prou au Monde diplomatique), gavé de chiffres et de vains graphiques qui n’indiquent jamais une connaissance concrète de la réalité sociale palestinienne (l’un est un journaliste algérien et l’autre documentaliste français). Leur propos n’est pas de rechercher les causes profondes d’une situation si singulièrement malheureuse (les Palestiniens ont ainsi un statut tout à fait unique et inusuel parmi les réfugiés du monde entier, qu’avalise et concrétise la mise en place d’une agence de l’ONU qui leur est dédiée, l’UNRWA). Il est de déplorer comme un drame majeur, à l’ère des génocides et des massacres en tous genres partout sur la planète, qu’un Cisjordanien soit obligé de faire cinq heures de route pour parcourir 50 km à cause des check-points israéliens.
Jamais, donc, aucune analyse en profondeur de ce qui structure ou déstructure depuis un siècle la société palestinienne, mais un monceau d’articles sociologisant qui en demeurent nécessairement à la surface d’une société considérée comme collectivement victime d’une injustice historique fondatrice, cela assez résumé en une phrase dans la conclusion de l’article du même magazine par le spécialiste des guérillas Gérard Chaliand :
« Certes, Israël n’est pas un État colonial dans le sens classique du terme. Les Israéliens ne constituent pas une catégorie dominante vivant de l’extraction de la plus-value produite par le travail des autochtones. Mais l’État d’Israël a usurpé, par la force, un territoire où vivait une communauté arabe fixée depuis des siècles <je souligne>. Dans ce sens, le conflit israélo-arabe et, plus étroitement, israélo-palestinien, est un conflit national. »
Ce seul paragraphe de Chaliand concentre magnifiquement toute la mauvaise foi antisioniste. D’abord une constatation d’évidence: l’État d’Israël ne fonctionne pas comme un État colonial ; la conclusion logique devrait donc être que l’État d’Israël n’est pas un État colonial. Mais comme cette réalité, banale pour quiconque connaît l’histoire du sionisme et d’Israël, infirme tous les partis-pris et les préjugés idéologiques de l’auteur, il lui faut la détourner par un double mensonge, celui de l’usurpation par la force du territoire sur lequel cet État est né (ce n’est ni une usurpation, ni par la force ; c’est la conséquence d’une guerre perdue par ceux qui l’avaient déclenchée pour s’emparer d’un territoire disputé par les deux parties et qu’ils avaient refusé auparavant de partager).
Après l’éditorial vient une longue analyse du projet sioniste par Gilbert Achcar, journaliste sociologue franco-libanais, qui s’est illustré et ridiculisé auprès des historiens sérieux par un essai consacré aux Arabes et l’Holocauste en 2007. C’était un projet d’autant mieux venu que Benny Morris, en conclusion de son essai Victimes… déplorait précisément l’absence de ce genre d’études parmi les universitaires du monde arabe :
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