Séminaire de Stéphane Zagdanski - Numéro #35
Dernier envoi avant les élections...
1/ Ce moment opportun
2/ Annonce d'une émission sur Proust sur i24
3/ Proust dans la Revue des Deux Mondes
4/ Prochaine séance du Séminaire
1/ Ce moment opportun, par Stéphane Zagdanski
Ce moment opportun
La source du texte reproduit ci-dessous est ici
« Il faut savoir employer à fond le kaïros de la force au juste moment. » Guy Debord, Notes sur le poker, 1990
« Si tu n'espères pas l'inespéré, tu ne le trouveras pas. Il est dur à trouver et inaccessible.» Héraclite d’Éphèse
Écœuré par le bourrage de crâne ayant mené à la charcuterie des tranchées, Céline écrivait le 22 octobre 1916 à Simone Saintu :
« Je n'ai jamais voté et ne voterai jamais, mais si cela devait m'arriver, je voterais pour moi. Je prétends être le seul qui sache me diriger. »
Telle était ma position jusqu’à il y a encore quelques semaines. Le mois dernier, à la surprise de diverses personnes connaissant mon anarchisme spirituel, j’annonçai publiquement m’être pour la première fois de ma vie inscrit sur les listes électorales, et que je voterais Mélenchon au 1er tour, le 10 avril, en souhaitant ardemment qu’il passe au 2nd tour puis l’emporte sur Macron.
Voici les explications circonstanciées de cette impromptue décision.
C’était au début du premier confinement, alors qu’une inédite ambiance de disaster movie s’était emparée de la planète. Un déferlement d’images dramatiques venues de Chine et d’Italie se chargeaient d’entraver toute réflexion.
Pour ma part, j’étais perplexe. Dans ma vie rien n’avait changé. Mon quotidien était toujours consacré à manipuler des mots – y compris lorsque, chaque matin, j’aidais ma fille qui n’allait plus à l’école à faire ses devoirs dans le salon, à côté de mon bureau. En dehors des écrans, tout ce qu’on pouvait voir de la pandémie c’était son invisibilité justement, que manifestaient par la fenêtre les boulevards agréablement vides de voitures et d’humains. Je songeai au premier daguerréotype pris depuis un toit de la place de la République, en 1838, sur lequel la seule silhouette humaine – la première de l’histoire de la photographie – est celle d’un homme se faisant cirer les chaussures, demeuré par conséquent immobile le long temps d’exposition requis par l’objectif de Daguerre. Tout ce qui était trop mouvant, en revanche, les chevaux, les passants, les calèches…, avait disparu du cliché. Et maintenant, à Marseille où j’étais, comme partout ailleurs de New York à Wellington, l’image du no man’s land était devenu le troublant miroir du confinement.
Ce contraste – entre mon vivace univers de mots et ce que les écrans prétendaient me faire savoir de la non-vie – brouillait l’usage de ma raison. Je doutais de tout, me méfiais de chacun, y compris et surtout des médiatistes polyvalents, habitués à baratiner vingt-quatre heures sur vingt-quatre le reste de l’année et qui répercutaient maintenant l’affolement généralisé avec une gourmandise mal dissimulée. Les chiffres des contaminés et des morts qui défilaient sans discontinuer à la télévision avaient bien des allures de propagande, mais je me disais qu’un si vaste guet-apens organisé aux dimensions de la planète n’était pas envisageable. J’attendais d’en apprendre davantage pour comprendre ce qui était en train d’arriver.
Je n’eus pas à attendre longtemps.
Un jour, à midi, usant de l’heure mesquinement octroyée par le gouvernement pour aller faire des courses, je descendis de chez moi. J’évitai de toucher à main nue les poignées de porte et les boutons d’ascenseur. L’agent pathogène invisible, lisait-on sur internet, pouvait contaminer des heures durant les surfaces planes. Pris au dépourvu par la vague crainte de contracter la mystérieuse infection, ne sachant quoi faire ni ne pas faire, je préférais être prudent. Je me retrouvai dans une rue oniriquement déserte, à Marseille, non loin de l’immense stade de foot spectral et silencieux. Une voiture de police effectuait sa ronde lentement. Étant le seul humain alentour, j’étais persuadé que les flics allaient descendre vérifier que j’avais bien mon attestation de sortie consciencieusement remplie sur mon téléphone, mais la voiture me dépassa sans s’arrêter, et je pus alors lire sur son pare-brise arrière trois mots imprimés en gros caractères, qui intimaient :
RESTEZ CHEZ VOUS
Tout s’éclaira. Que les gardiens de l’ordre fussent si ostensiblement les porte-voix de la panique ne pouvait signifier qu’une chose : cette panique jouait son rôle dans le maintien de l’ordre. Une intuition folle me traversa l’esprit, que je souhaitai sincèrement paranoïaque : « L’idéal de ces ordures, c’est la Chine. »
Mes appréhensions les plus sombres se confirmèrent hélas au fil des mois suivants : depuis l’interdiction extravagante de prescrire l’hydroxychloroquine jusqu’à l’instauration du passe vaccinal en passant par la mise à pied des médecins questionneurs ; la censure des scientifiques dubitatifs ; la propagande autoritaire des GAFAM ; les médias soudoyés par les mêmes GAFAM répercutant inconditionnellement les successifs et contradictoires oukases et bobards du Ministère de la Santé ; l’OMS infiltrée par le vaccinateur compulsif Bill Gates ; les gouvernants occidentaux appliquant sans sourciller les directives cybernétiques du caricatural Klaus Schwab (on dirait le maléfique chauve balafré dans James Bond) ; le rapport sénatorial vantant la mise au pas de la population assistée par Intelligence Artificielle ; la vaste entourloupe publicitaire de Pfizer, et le fiasco vaccinal consécutif, en Israël d’abord puis partout ailleurs ; le charognard gouvernement de Macron vendu corps et biens aux dépeceurs de McKinsey ; la dévastation accélérée de l’hôpital public ; la despotique hystérie hygiéniste, de l’Autriche à la Nouvelle-Zélande ; l’asservissant nudge concocté par des pervers pour des débiles ; le « behavioral force » à la BlackRock[1] devenu norme communicationnelle et, last but not least, l’infâme QR code à tous les étages de l’imposture comportementale…
« Sous le spectaculaire intégré, on vit et on meurt au point de confluence d'un très grand nombre de mystères », affirmait Debord en 1988. Les mystères n’en sont plus tellement désormais, même si l’on sait le sort réservé à qui les trahit, comme Assange ou Snowden. « Le marketing », écrivait Deleuze, « est maintenant l’instrument du contrôle social, et forme la race impudente de nos maîtres. » Au marketing a succédé le nudge et l’human engineering. Ce nouvel agenda à l’air libre du néo-monde en forme de geôle est d’ailleurs le meilleur argument contre le complotisme. Ce n’est pas à une vaste conjuration de quelques uns qu’est soumise la planète mais aux aléas d’une doctrine transparente d’imbéciles oligarques guidés par la seule cupidité et leur volonté de puissance. L’inénarrable Yuval Harari, qui confond son crâne en forme de joystick avec un multi-processeur, ne dissimule nullement sa philosophie d’androïde extasié : « La question économique du XXIème siècle sera : Pourquoi avons-nous besoin d’humains ? Ou du moins pourquoi avons-nous besoin de tant d’humains ? »
En bas de chez moi, les voitures de police n’arborent plus de pancarte « Restez chez vous ». La relève a été prise par les écrans publicitaires qui se chargent d’intimer de « ne pas sortir de chez soi sans motif valable »…
Cet effondrement universel, palpable comme jamais, est-il une surprise ? Pas vraiment. Je me souviens d’une tribune de Giorgio Agamben parue dans Le Monde en 2005[2] intitulée « Non à la biométrie » :
« Aujourd'hui, une société se profile où on se propose d'appliquer à tous les citoyens des dispositifs qui étaient jusque-là destinés aux seuls délinquants. Selon un projet qui est déjà en voie de réalisation, le rapport normal de l'État à ce que Rousseau appelait les ‘‘membres du souverain’’ sera la biométrie, c'est-à-dire le soupçon généralisé. Au fur et à mesure que les citoyens, sous la pression de la dépolitisation croissante des sociétés postindustrielles, se retirent de toute participation politique, ils se voient traités de plus en plus comme des criminels virtuels. Le corps politique est ainsi devenu un corps criminel. /…/ Le jour où le contrôle biométrique sera généralisé et où la surveillance par caméra sera établie dans toutes les rues, toute critique et tout dissentiment seront devenus impossibles. »
Depuis le début du XXème siècle, cette impulsion ravageuse technologiquement assistée n’a pas manqué d’être méditée par les esprits les plus lucides : Artaud, Heidegger, Canetti, Tchakhotine, Céline, Enzenberger, Debord, Guénon, Foucault, Lacan, Deleuze, Agamben, quelques autres sans doute. Ce qu’Agamben qualifie de « biométrie », c’est ce que Heidegger appelait à la fin des années trente le « mode de pensée biologistique »[3] et ce que Foucault allait nommer plus tard le « biopouvoir ».
Mais ce qui est nouveau, depuis 2019, la vraie surprise, c’est l’emballement inopiné du processus d’asservissement biopolitique. Et maintenant qu’il a ostensiblement précipité son implémentation, le biopouvoir durcit le ton. « Notre patience a des limites », menaçait Joe Biden s’adressant aux non-vaccinés américains en septembre 2021[4]. Avec Justin Trudeau récemment exaspéré par les Truckers canadiens, ou Jacinda Ardern par les journalistes néo-zélandais non agréés par le Miniver[5], ou chez nous Véran trépignant de rage mal contenue que ses boniments soient seulement contestés, le biopouvoir n’arrête plus de montrer les crocs.
Le basculement de toute une civilisation vers le Gouffre entamé depuis plusieurs décennies est donc en train de se parachever prestement. La gestion de la pandémie participe de ce que Naomie Klein a judicieusement nommé la « stratégie du choc », citant son odieux instigateur Milton Friedman : « Seule une crise – réelle ou supposée – peut produire des changements, fait-il observer. Lorsqu'elle se produit, les mesures à prendre dépendent des idées alors en vigueur. Telle est, me semble-t-il, notre véritable fonction : trouver des solutions de rechange aux politiques existantes et les entretenir jusqu'à ce que des notions politiquement impossibles deviennent politiquement inévitables. »
À l’heure où j’écris ces lignes, prenant le relais de la pandémie, la sale guerre de Poutine en Ukraine constitue une autre inespérée et brutale aubaine pour la « stratégie du choc », ce dont témoigne la famine universelle annoncée en se pourléchant les babines par les dirigeants occidentaux.
En France, comme on sait, le docile garde-chiourme de l’agenda du World Economic Forum sous l’égide hégémonique des GAFAM se nomme « Macron ». Les guillemets veulent faire sentir qu’il ne s’agit pas d’un homme, qui n’est que le pantin de paille du même monde selon « Trudeau », « Von der Leyen », « Biden », « Poutine », « Zelensky », « Xi Jinping », « Schwab », « Gates », « Fink » et tant d’autres indécentes crapules.
Or l’homme Macron risque d’être reconduit à ses fonctions carnassières à l’occasion des élections présidentielles d’avril 2022. Ce cauchemar qui se profile est une raison suffisante pour réfléchir au sens tactique – ni seulement politique ou métaphysique – que revêtent, après deux années de domination de la biopolitique planétaire, ces prochaines élections.
La stratégie, dans laquelle s’insère la « tactique » que je préconise, est simple à comprendre : Delenda Macro est ! Il faut détruire le monde selon « Macron ». L’objectif que représentent les élections du 10 avril prochain dans cette guerre symbolique – symbolique ne signifie pas irréelle, au contraire – consiste dans un premier temps à dégager Macron à la seule fin d’obtenir une position plus favorable dans la lutte contre « Macron » – soit le monde mortifère qu’il sert et incarne. Cela ne revient pas à gagner la guerre ni à s’épargner les batailles futures, après ces élections, y compris celles menées éventuellement depuis la clandestinité et dans l’illégalité.
« Celui qui lira attentivement ce livre », écrit Debord dans sa Préface à la quatrième édition italienne de « La Société du Spectacle », « verra qu'il ne donne aucune sorte d'assurance sur la victoire de la révolution, ni sur la durée de ses opérations, ni sur les âpres voies qu'elle aura à parcourir, et moins encore sur sa capacité, parfois vantée à la légère, d'apporter à chacun le parfait bonheur. Moins que toute autre, ma conception, qui est historique et stratégique, ne peut considérer que la vie devrait être, pour cette seule raison que cela nous serait agréable, une idylle sans peine et sans mal; ni donc que la malfaisance de quelques possédants et chefs crée seule le malheur du plus grand nombre. Chacun est le fils de ses œuvres, et comme la passivité fait son lit, elle se couche. »
Le premier élément pour une réflexion tactique est celui de l’enjeu stratégique dont toute tactique dépend. L’enjeu stratégique, en l’occurrence, c’est l’irréversibilité de la victoire du monde selon « Macron ». Si « Macron » repasse au pouvoir en avril, on peut être assuré que l’immense geôle globalisée, dont on vient de goûter ces deux années les délirants délices, refermera violemment ses barreaux cybernétiques non seulement sur les Numéricains biberonnés au QR code mais aussi, par la même occasion, sur les esprits et les corps qui se flattent encore d’être libres.
Qui que vous soyez, anarchistes spirituels, abstentionnistes endurcis, indécis divers, rebelles acariâtres, situationnistes mal dissouts, hippies lunatiques, misanthropes hautains…, ayez bien en tête que si « Macron » repasse, il ne sera plus « loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps »[6]. L’enfer annoncé par la biopolitique ne prévoit pas de saisons ni d’éclipse. N’espérez pas une insurrection généralisée, elle ne viendra pas. Pour la raison, d’abord, que bien des Numéricains trouvent d’ores et déjà le monde selon « Macron » désirable – par cupidité, nihilisme, masochisme existentiel. S’il ne s’agissait que d’eux, ce ne serait pas grave, ils auront le monde merdique qu’ils méritent. Mais ce monde sera aussi celui de tous les autres. La moindre contestation à son encontre s’achèvera comme ont fini les émeutes des étudiants de Hong-Kong, celles des Gilets Jaunes estropiés par Lallement ou celle des Truckers canadiens mis au pas bancaire par Trudeau.
À la prochaine occasion (elle reviendra vite, comme la grippe) les non-vaccinés (dont je me flatte d’être) et tous ceux qui refuseront de porter un masque partout jour et nuit seront traités comme des pestiférés. Quiconque ne perroquettera pas les slogans ressassées par tous les médias comme un seul homme (comme dix milliardaires) à la solde du monde selon « Macron », sera taxé de complotisme et empêché de s’exprimer, voire de se déplacer librement. L’idée de se déplacer librement n’aura plus davantage de sens que celle de ne pas dégainer son QR code à chaque étape de la journée, entre mille autres obligations et interdictions détestables agréées par l’Organisation Mondiale de la Santé.
Voilà pour la « stratégie ».
Quant à la « tactique », une réflexion bien menée doit tenir compte du « terrain » sur lequel se déroulera le combat des 10 et 24 avril prochains. Le terrain des élections, en l’occurrence, c’est le vieux cadre vermoulu des institutions de la Vème République dans lequel devraient se tenir les présidentielles (j’emploie le conditionnel car la guerre en Ukraine peut encore réserver, d’ici là, de désagréables surprises…).
Il s’agit de comprendre quelles opérations favorise ou interdit ce terrain, indépendamment de son aspect à l’œil nu. À l’œil nu, un processus de choix démocratique est engagé et le président élu l’aura été par une majorité de Français. En réalité cette Vème République n’est qu’un vaste traquenard conçu par De Gaulle il y a soixante-quatre ans pour servir sa conception faisandée du « Caractère », ou si l’on préfère son fantasme semi-fasciste d’un Chef providentiel. Cette arnaque monumentale n’a pas pris une ride, au point d’avoir parfaitement joué en faveur de Macron en 2017, puis autorisé en cascade le musellement de l’Assemblée et le désamorçage caricatural de tous les prétendus contre-pouvoirs prévus par la Constitution. On a donc tort de croire que Macron aurait « trahi » ses promesses une fois élu, comme Hollande[7] et leurs prédécesseurs auparavant. Macron n’a rien eu à « trahir » : la trahison des promesses creuses est consubstantielle à ce système électoral fondé sur un mensonge générique, qui consiste à laisser penser que le vote confère à l’élu le pouvoir de s’exprimer en nom et place du votant.
Prêtez l’oreille au mot-à-mot : si l’on parle de « donner sa voix » à un candidat, c’est parce que dans les faits « donner sa voix » revient à perdre tout droit à une parole qui porte, une fois le candidat en question installé au pouvoir. Le leurre consiste à s’imaginer que jeter dans une urne un vulgaire bout de papier portant un nom propre qui n’est pas le vôtre équivaut à ce que les paroles issues des lèvres de l’élu durant son mandat seront proférés en votre nom, alors que cela signifie seulement que vous n’aurez plus voix au chapitre.
Bizarrement, tout le monde semble s’y être résigné, conformément à la formule de Debord dans In girum concernant les « morts qui croient voter »[8]. Voter ne revient en rien à exprimer une « opinion », quelle qu’elle soit, de « droite » ou de « gauche » (l’élection de Macron en 2017 a démontré l’inanité de ces fausses notions), ni à se prononcer en faveur ou à l’encontre de la personnalité de tel ou tel. Cela, c’est encore ce qu’entend vous faire avaler la propagande de la Vème République qui confond à dessein opiner – c’est-à-dire en réalité abandonner toute « opinion » propre –, et s’exprimer. Et ainsi, de même qu’une « voix » électorale n’est pas une parole, un nom sur un bulletin de vote n’en est pas un. « Macron » n’est pas davantage Macron que « Mélenchon » Mélenchon. En France, le monde selon « Macron » est commun à Macron, Le Pen et Zemmour[9], c’est ce vaste cauchemar néo-libéral biométrique dont je viens d’esquisser quelques traits.
Le monde selon « Mélenchon », qui n’a lui non plus rien à voir avec l’homme Mélenchon, est moins aisément définissable, donnant dès lors le flanc à toutes les caricatures, pour la raison qu’il n’existe pas encore. Tout ce qu’on peut en dire, c’est qu’il est en partie capitalistiquement incompatible avec le monde cauchemardesque selon Macron.
Ces élections d’avril représentent donc une sorte de pari pascalien où le choix à faire est entre l’Enfer « Macron » et l’Inconnue « Mélenchon ».
Si Mélenchon passe au pouvoir le 24 avril, deux éventualités se présentent dont l’une est tout de même peu plausible :
Il vire au despotisme (à la « Macron »), trahit tous ses idéaux anti-capitalistes, renie tous les projets de la France Insoumise (dont certains sont pour le moins avenants et dignes d’être tentés), et se livre corps et âme aux GAFAM, à Big Pharma, McKinsey, BlackRock et consorts… C’est peu envisageable, on le conçoit.
Ou bien il commence d’appliquer les mesures sociales, écologiques, économiques, éthiques et politiques qu’il défend (le plus probable), contribuant de la sorte à contrecarrer l’avancée du monde selon « Macron ». Dans quelle mesure et avec quelles chances de réussite ? C’est justement l’inconnue. Mais qu’une guerre soit presque définitivement perdue ne signifie pas qu’il faille abandonner toute idée de bataille.
Il faut donc considérer d’avance ces élections en fonction de leur hypothétique résultat, et de ce qu’impliquera ce résultat dans chaque détail de la vie quotidienne de tout-un-chacun, selon que « Macron » passera ou pas. La sage image de classe présentée par le Spectacle, celle de divers candidats ayant chacun un programme et une personnalité à part, est profondément viciée. Il n’y a que deux antagonistes en réalité : « Macron » et « Mélenchon ». « Macron », soit Macron-Zemmour-Le Pen, qui contribueraient chacun à perpétuer l’immonde monde selon « Macron », et « Mélenchon », le seul candidat plausible au second tour s’opposant au type de société exclusivement calqué sur l’abject modèle néo-libéral.
Il s’agit maintenant de réfléchir, toujours selon un point de vue tactique, au geste le plus efficace à faire pour dégager Macron. À cet égard il n’y aura le 10 avril prochain que 3 choix réellement possibles :
1/ Ne pas voter.
2/ Voter pour un autre que « Mélenchon ».
3/ Voter pour « Mélenchon ».
Les deux premiers choix, en n’affaiblissant pas « Macron », reviennent inévitablement à le renforcer. Le troisième choix seul revient à affaiblir « Macron » en ne le renforçant pas.
Commençons par le choix de ne pas voter, que ce soit délibérément ou par indifférence. L’abstention, on le sait, joue en faveur de la réélection de Macron et du triomphe de son monde. C’est là le grand paradoxe, et l’autre piège dissimulé au cœur du traquenard qu’est la Vème République : de même que voter pour l’un ou l’autre en fonction de sa personnalité ne rime à rien – ce n’est pas la « personnalité » ni les idées d’un homme qui gouvernent, c’est le système auquel adhère sa volonté de puissance –, s’imaginer qu’en ne votant pas on exprime un désaveu de ce système vérolé et du cirque électoral qu’il produit, c’est ignorer que ce système pourri est précisément conçu pour se renforcer de votre passivité.
Or, aussi odieux soit-il intellectuellement et politiquement, ce système instauré par de Gaulle à sa seule gloriole possède une faille, dont il est loisible de profiter ici et maintenant, soit le 10 avril puis le 24. Cette faille n’est pas structurelle, elle ne vaut qu’en considération de ce moment opportun.
Cette faille repose sur le fait que si un vote n’est précisément pas une voix, c’est parce que c’est un nombre. Si votre « voix » comme parole exprimant vos pensées n’a pas son mot à dire dans une élection, la « valeur » de votre vote équivaut à ce mutisme de votre voix. Autrement dit, c’est justement parce que votre voix ne vaut rien que sa valeur arithmétique revient toujours à zéro. Or la puissance arithmétique du zéro consiste à s’abolir ou à démultiplier le un, selon qu’il se place, ce zéro, d’un côté ou de l’autre du un.
Un non-vote (par abstention, bulletin blanc ou nul), c’est encore un vote à valeur négative, c’est-à-dire qu’il se place devant le l (quel que soit le candidat, cette réflexion ne fait pas acception de personnes) et n’y ajoute rien. Tandis qu’un vote qui se place derrière le 1 le démultiplie, et cela d’autant plus que d’autres votes se placeront avec lui derrière le même 1.
Ne pas voter c’est, en ne le contrecarrant pas, favoriser celui dont vous n’apprécierez pas la politique une fois qu’il sera au pouvoir. Ne pas voter revient à avoir mal voté après coup. Voter dès le 1er tour pour l’un des quatre candidats en lice (ayant une chance d’être au 2nd tour) revient à démultiplier le barrage contre les trois autres. Bien sûr, cela n’est valable que si d’autres votent comme vous (combien voteront comme vous demeure une inconnue indépassable), ce sur quoi vous ne disposez d’aucune influence autre que celle de l’incitation et de la conviction avant les élections – raison pour laquelle j’écris aujourd’hui ces phrases.
Le second choix consiste à voter pour un autre que « Mélenchon », qui n’a en 2022 aucune chance d’être au second tour : Poutou, Jadot, Arthaud... Que ce soit par affinité, pour une raison sentimentale, intellectuelle, familiale, etc., un tel vote revient encore et toujours à sauter à pieds joints dans la chausse-trappe de la frelatée Vème République en vous laissant croire que vous exprimez votre opinion par votre vote. D’emblée, comme l’abstention et le vote nul, votre vote ne profite numériquement qu’à « Macron » en affaiblissant le seul qui ait des chances de le contrecarrer, soit « Mélenchon ».
Reste le troisième choix, celui en faveur de « Mélenchon » dès le premier tour, qui n’est en rien un vote « utile » mais, j’espère que cela commence à être clair, un geste tactique à usage unique hic et nunc.
Un geste tactique n’est pas une opinion ni une pensée. Ce que je pense de Mélenchon, de telle ou telle de ses phrases ou de son « caractère », cela n’a aucun intérêt. En bien comme en mal. On se doute par exemple que je ne partage pas son enthousiasme pour les hologrammes, ou que je trouve suspecte son ignorance crasse de ce que symbolise le judaïsme. Mais cela vaut aussi pour tout ce qui me convient chez lui et dans le programme de la France Insoumise : l’analyse lucide des ravages du capitalisme, la volonté de nettoyer les écuries d’Augias de la police française, sa critique du flicage sanitaire, son intelligence humaine bien supérieure à celle de ses concurrents, son souci des gens qui souffrent, son dégoût de la stigmatisation raciste, la proposition d’un référendum révocatoire, la volonté d’interdire tout mandat à vie à un élu condamné une seule fois (on imagine le trou d’air dans la vie politique française), etc.
Peut-être est-il déjà trop tard. Peut-être que le monde selon « Macron » ne peut plus être défait. Ce n’est pas une raison pour ne pas « espérer l’inespéré ». Il faut concevoir le kaïros du 10 avril comme l’ultime occasion de suriner un ennemi honni au coin d’un mur. L’occasion de nuire à « Macron » ne se reproduira plus. Il s’agit de « tirer vite »[10] sur ce monde qui veut notre mort.
S. Z.
Notes:
[1] https://twitter.com/WillHild/status/1506634983896752129?s=20&t=_ECmLC2gOvy4ZRE-YBcOYQ
[2] https://www.lemonde.fr/idees/article/2005/12/05/non-a-la-biometrie-par-giorgio-agamben_717595_3232.html
[3] « Die biologistische Denkweise », dans les Beiträge zur Philosophie, p.154 de la traduction française : « Le mode de pensée mécanistique et le mode de pensée biologistique ne sont tous deux que des conséquences de ce qu'abrite en retrait l'interprétation fabricatrice de l'étant. »
[4] https://video.lefigaro.fr/figaro/video/notre-patience-a-des-limites-joe-biden-rend-la-vaccination-obligatoire-pour-deux-tiers-des-travailleurs-americains/
[5] Abréviation pour désigner le « Ministère de la Vérité » dans 1984 d’Orwell
[6] « Et il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps. » Rimbaud, Une saison en enfer
[7] François Hollande en janvier 2012 : « Mon véritable adversaire, il n'a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera jamais élu et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c'est le monde de la finance. »
[8] « Au réalisme et aux accomplissements de ce fameux système, on peut déjà connaître les capacités personnelles des exécutants qu'il a formés. Et en effet ceux-ci se trompent sur tout, et ne peuvent que déraisonner sur des mensonges. Ce sont des salariés pauvres qui se croient des propriétaires, des ignorants mystifiés qui se croient instruits, et des morts qui croient voter. »
[9] Je m’en tiens aux quatre candidats sérieusement en lice ; mon raisonnement vaut pour tous, mais les autres n’entrent pas en ligne de compte concernant les probabilités d’être au 2nd tour.
[10] « Ohé, les tueurs, à vos armes et vos couteaux, tirez vite… » Le Chant des partisans
2/ Proust sur i24 News
Samedi 9 avril à 21h (heure française), l'émission Cultures de Valérie Abecassis sur la chaîne d'informations franco-israélienne I24 sera consacrée à Proust.
Je figure parmi les 3 invités.
3/ Revue des Deux Mondes consacrée à Proust
Le prochain numéro de la Revue des Deux Mondes , à paraître en kiosque le 29 avril et en librairie le 11 mai, sera consacré à Proust.
J'y participe avec un texte intitulé: Théologie en torsades, dont voici les premières lignes:
La Recherche déploie entre les lignes une étrange théologie hybride, émaillée de références explicitement catholiques (les cathédrales, le mois de Marie, les aubépines, Méséglise, le baptistère de Saint-Marc…), mais irisée d’un éclat singulier, rendant ses contours malaisés à discerner, comme si cette théologie se trouvait plongée dans une luminescente brume venue d’ailleurs.
4/ Annonce de la séance 39 du Séminaire
La prochaine séance du Séminaire sera diffusée entre la mi avril et la fin avril. Ce sera la dernière séance du cycle "Réflexions sur le "sanitarime" , et elle sera probablement intitulée Planète Planocebo.
Il y sera question, entre autres choses, de la santé selon Nietzsche, Artaud et quelques autres...
En mai, commencera un nouveau cycle du Séminaire consacré à l'antisionisme...
Pour être tenu au courant, il suffit d'être inscrit à cette lettre d'information, ou à la chaîne YouTube du Séminaire