Trouer le Tout: le vide et le plein dans le Talmud (6)
La Gestion Génocidaire du Globe, 2ème séance, 26 AVRIL 2020
Si l’on souhaite envisager ce monde déconcertant des Juifs et de leurs kelim, il suffit d’avoir à l’esprit la relation qu’entretient un musicien virtuose avec son instrument de musique, lequel est son keli à lui. La question du matériel et du spirituel ne se pose pas lorsque David Oïstrakh joue de son Stradivarius, il n’est pas dans une relation utilitaire avec son violon, la question ne se pose pas de savoir si c’est son âme, son corps ou son instrument qui joue.
Cette conscience aiguë d’une relation ininterrompue – mais en permanence perturbée et désaccordée – entre l’En Haut et l’En bas, c’est aussi ce qui explique que les Juifs se conçoivent comme séparés des autres nations, conformément au verset des Nombres 23, 9 :
« Voici un peuple qui a sa demeure à part, Et qui ne fait point partie des nations. »
הֶן־עָם֙ לְבָדָ֣ד יִשְׁכֹּ֔ן וּבַגֹּויִ֖ם לֹ֥א יִתְחַשָּֽׁב.
Je dînais un soir chez mes amis Paul et Cécile Ouazan, en présence de deux autres amies, la violoncelliste Cécile de Hahn et la violoniste Liana Gourdjia. À un moment, il fut question de mettre de la musique (classique) pendant le dîner. Liana a eu cette extraordinaire remarque : « Ah non ! » a-t-elle, dit, « je ne supporte pas la musique d’ambiance. »
Elle avait parfaitement raison. De même qu’un musicien ne saurait accepter que sa relation avec la musique ou avec son keli, son « instrument », soit banalisée, amoindrie, étouffée, altérée, abîmée, de même un Juif pieux refuse que sa relation avec Dieu puisse être atténuée, banalisée, étouffée, parasitée ou perturbée. Les Juifs depuis toujours se conçoivent comme séparés (les Pharisiens sont les perouchim, les « séparés »), pour les mêmes raisons qu’un musicien virtuose ne supporte pas que son ouïe soit souillée par une musique d’ambiance.
L’inverse d’une relation de sainteté au monde, c’est la Société du Spectacle, où tout discours, toute image, tout son, toute réalité sociale est conçue sur le mode de l’abrutissement et de la souillure. Désormais il n’est plus un lieu public, café, bar, hall d’hôtel, salle d’attente où l’on ne diffuse une musique ou des images d’ambiance. Aucun musicien virtuose ne peut supporter de vivre dans une telle atmosphère. Pour que sa musique soit, il lui faut obligatoirement se séparer. Pour le Juif pieux, c’est idem.
Le Talmud énonce en Berakhoth 57b :
Continuez votre lecture avec un essai gratuit de 7 jours
Abonnez-vous à Stéphane Zagdanski pour continuer à lire ce post et obtenir 7 jours d'accès gratuit aux archives complètes des posts.