Voici ce qu’en rapporte Benny Morris :
«Durant la première moitié du XIXème siècle, la terre était généralement la propriété privée ou collective des villageois. Au cours de la seconde moitié du siècle, les villageois s'appauvrirent progressivement, principalement en raison du système de taxation plus efficace des Ottomans ; dans les campagnes, une vaste partie des terres fut rachetée par de grandes familles des villes (en arabe, les ayan), qui avaient récemment fait fortune en tant qu'agents de l'Empire ottoman, très souvent dans le domaine de la perception des impôts, et en commerçant avec l'Occident. Au début du XXème siècle, rares étaient les villageois qui, dans des dizaines de localités, possédaient encore leurs terres : ils continuaient à les cultiver, mais en tant que métayers. Presque tous les grands propriétaires terriens (les effendis) étaient des notables de la ville, dont certains ne vivaient même pas en Palestine, mais à Beyrouth, à Damas et à Paris. »1
Né en 1929, et en dépit de tous ses mensonges sur sa fantasmatique naissance et enfance palestinienne, Yasser Arafat, le mythomane despote naufrageur de la cause palestinienne, était précisément l’enfant égyptien d’un de ces notables enrichis par la dépossession des plus pauvres, Abdel Raouf al-Qudwa al-Husseini, « riche marchand d'épices et propriétaire terrien originaire de Gaza »2.
Ces notables forment les grandes castes familiales palestiniennes, dont les désaccords meurtriers principalement lors des émeutes des années 30 laisseront la société palestinienne exsangue, l’intransigeance des plus fanatiques (les Husseini) à refuser tout accord de paix avec les sionistes précipitant toute la société arabe de Palestine dans un abîme dont elle n’est toujours pas sortie aujourd’hui.
Benny Morris :
« L'élite – la famille des Khalidi, les Husseini et les Nashashibi à Jérusalem ; les Ja'bri et les Tamimi à Hébron ; les Nabulsi, les Masri et les Shak'a à Naplouse et d'autres encore – constituait une manne où les autorités puisaient leurs fonctionnaires municipaux, leurs juges, leurs policiers, leurs hommes de religion et leurs fonctionnaires d'État <je souligne, ce sont tous les pions de la domination sociale>. Étant donné leur richesse, leur pouvoir et leur influence auprès des autorités impériales, les ayan se distinguèrent inévitablement comme les leaders locaux des Arabes de Palestine et, en fin de compte, comme leurs leaders ‘‘nationaux’’. Un fossé énorme – creusé par les disparités des niveaux d'éducation et l'inégalité des positions sociales, économiques et politiques – séparait les ayan de la masse populaire largement illettrée.»3
Henry Laurens évoque la fameuse famille Sursok, qui vendra de larges terrains aux sionistes :
« Dans le nord de la Palestine, dépendant de Beyrouth et de Damas, un rôle majeur est accordé aux grandes familles grecques orthodoxes de Beyrouth qui se constituent de grands domaines agricoles. À elle seule, la famille Sursok se dote d’énormes propriétés de plus de 230 000 dounams durant les années 1860 (1 dounam = 1/10 d’hectare). Dans leurs villages, les nouveaux propriétaires jouent le rôle de propriétaires, de collecteurs d’impôts, de prêteurs d’argent et de protecteurs. Investissant dans l’agriculture, ils fournissent aux paysans des outils plus modernes et attirent des ouvriers agricoles sans terres venant d’autres régions de la Palestine. Leur politique est de rendre le plus précaires possible les droits que l’usage accorde aux tenanciers qui ont exploité un certain nombre d’années les mêmes terres, alors qu’ils retirent de leurs domaines de considérables revenus. »4
Benny Morris:
«Ces transactions provoquèrent l'expulsion de milliers de familles de l'arrière-pays rural vers la périphérie des grandes villes, où celles-ci tombèrent à un niveau socio-économique inférieur et n'eurent d'autre remède que d'accepter des contrats de métayage et des emplois agricoles saisonniers sur d'autres exploitations. Les expulsés s'ajoutèrent aux milliers d'Arabes qu'une pléthore d'héritiers, la famine, les dettes ou d'autres motifs sans rapport avec les achats fonciers juifs <je souligne> avaient contraints de quitter les régions rurales entre 1880 et 1920 pour s'établir dans les villes ou dans d'autres villages. Pourtant, la seule chose qui marqua la mémoire collective palestinienne fut la perte de territoires découlant directement des acquisitions sionistes. La dépossession poussa plus d'un expulsé à embrasser le militantisme nationaliste. Quoi qu'il en soit, les historiens en sont arrivés à la conclusion que ‘‘quelques milliers’’ de familles seulement ont véritablement été déplacées en raison des ventes de terres aux Juifs entre les années 1880 et la fin des années trente. Les Arabes eurent toutefois l'impression de se trouver face à une progression galopante. Cette sensation se renforça encore davantage à la fin des années vingt et au début des années trente avec la prise de conscience politique des Arabes et les progrès de l'alphabétisation, ainsi que la croissance spectaculaire du Yishouv.»5
Bien sûr, comme le reste du monde arabo-musulman, l’idyllique Palestine pastorale d’avant le sionisme pratique avec délectation l’humiliante dhimmitude. La population dans son ensemble accepte ainsi très mal les velléités ottomanes de réformes égalitaires et émancipatrices lors des firmans de 1839 et de 1856 (dans les textes :
«<Le décret ottoman de 1856> proscrit le vocabulaire péjoratif dont on use habituellement à l'endroit des dhimmis (et en particulier le mot ra'aya qui désigne littéralement le bétail que l'on fait paître).6 »).
La vox populi musulmane se fait entendre à coups de massacres sporadiques de Chrétiens et de Juifs.
Benny Morris :
« L'appauvrissement des campagnes et la prospérité grandissante des villes creusèrent l'écart entre les citadins et les fellahin, ou paysannerie, et les firman (édits) de la Sublime Porte de 1839 et surtout de 1856 – égalisant le statut des citoyens musulmans et non musulmans de l'Empire – déclenchèrent très vite chez les musulmans un important phénomène de rejet à l'égard des chrétiens. Les musulmans supportèrent mal la perte implicite de leur supériorité; à plusieurs reprises, ils assaillirent et massacrèrent des communautés de chrétiens : à Alep en 1850, à Naplouse en 1856, à Damas et au Liban en 1860. »7
Georges Bensoussan :
« Depuis les réformes ottomanes de 1839 et de 1856, l'idée d'égalité des droits bouleverse les musulmans, moins les puissants d'ailleurs, que l'ancien dhimmi ne menace nullement, que les sans-grade que la barrière de dhimmitude élevait. La fin du statut de dhimmi voit les intellectuels et les classes populaires rejoints par ceux qui étaient naguère moins qu'eux. »8
Benny Morris :
«L'histoire et la tradition des attitudes et du comportement musulmans envers les Juifs allaient avoir une profonde incidence sur l'évolution des relations turco-sionistes et arabo-sionistes en Palestine. Le regard porté sur les Juifs, considérés comme des objets, effacés et serviles, sous-tendrait, dans une certaine mesure, la réponse initiale faible et hésitante des Ottomans et des Arabes face à l'afflux progressif de sionistes en Palestine – pourquoi s'inquiéter, les Juifs étaient des incapables ! Cette même image motiverait également les réactions d'agressivité ultérieures, telles que les actes de vandalisme et les meurtres – les Juifs étaient maudits de Dieu et ne pouvaient que porter malheur ; leur vie et leurs biens pouvaient dès lors leur être enlevés. Et cette vision traditionnelle qui voulait que les Juifs fussent des êtres faibles et insignifiants alimenterait ensuite pendant des décennies le feu du ressentiment et de l'humiliation. »9
Lorsqu’éclate la grande révolte arabe de 1936, ce sont ces mêmes délirantes et féroces luttes meurtrières entre factions, clans et familles rivaux (lesquelles luttes préexistaient donc à l’arrivée des sionistes, on l’a compris) qui vont accélérer la désagrégation et la déréliction complète de la société palestinienne.
Or, pour le malheur du peuple palestinien d’alors et d’aujourdhui – où le Hamas a reproduit cette bestialité despotique intransigeante à Gaza –, des deux plus grandes familles régnantes, les Husseini d’une part (soit la famille du grand Mufti hitlérien et de son cousin éloigné Arafat), fortement antisémites, opposés à tout partage et à tout accord avec les Juifs, et les Nashashibi d’autre part (famille du maire de Jérusalem de 1929 à 1934; cf. photo de la famille de Raghib al-Nashashibi en 1929), bien plus modérés et conciliants, prêts à s’accorder avec Abdallah en Jordanie, les Britanniques à Londres et les sionistes en Palestine, ce seront les Husseini qui, à coups de menaces mafieuses, d’exactions sanguinaires et de meurtres politiques, l’emporteront – exactement comme aujourd’hui le Hamas l’a emporté à Gaza sur le Fatah en 2007 après une guerre civile d’une sauvagerie sans nom10 comme ultimes dirigeants idéologiques de la population de Palestine.
Benny Morris :
«Dans les villes, les Nashashibi, qui avaient rompu tout contact avec le Haut Comité arabe et les Husseini en juillet 1937, se tinrent à distance de la révolte. Cette attitude leur valut une vague d'attaques terroristes de la part des Husseini et déclencha une lutte pour le pouvoir. Dans cette guerre civile discrète à l'intérieur même de la révolte, les Husseini tentèrent d'obtenir le pouvoir absolu sur la communauté arabe palestinienne. Les Nashashibi et leurs alliés répliquèrent en s'alignant sur les Britanniques. Et plus les informateurs anonymes dénonçaient les bandes rebelles, plus les actions terroristes contre les Nashashibi se multipliaient. ‘‘Des rivières de sang séparent à présent les deux factions’’, constatait Elias Sasson, haut fonctionnaire au Département politique de l'Agence juive, en avril 1939. Les partisans de l'Opposition furent battus et intimidés ; les modérés politiques, les informateurs, les partisans des Nashashibi et ceux qui avaient vendu des terres aux Juifs furent tous victimes des hommes des Husseini. Certains suspects furent jetés dans des puits remplis de serpents et de scorpions ; d'autres goûtèrent du fouet. Bien souvent, les cadavres traînèrent dans les rues des jours durant, les familles et les ecclésiastiques craignant d'assister aux obsèques.»11
Georges Bensoussan :
« Mais cette révolte <de 1936> vire aussi à la quasi-guerre civile. Près des trois quarts des pertes arabes, estime-t-on, furent le résultat d'affrontements internes opposant en particulier le clan Nashashibi au clan Husseini. La conscience palestinienne, locale et clanique au premier chef, n'est pas encore une conscience nationale au sens occidental du terme. Pour les musulmans, majoritaires en Palestine, la révolte offre l’occasion renouvelée d'opprimer les Arabes chrétiens (10% de la population arabe). Sur les 282 ‘‘officiers’’ qu'aurait comptés la rebellion, seuls quatre d'entre eux auraient été des Arabes chrétiens. Au cours des émeutes, des Jeunes filles chrétiennes sont violées par des musulmans, dans certaines zones des femmes arabes chrétiennes sont soumises au port du voile, des marchands arabes chrétiens sont tenus de fermer leur boutique le vendredi. La révolte finit parfois dans le banditisme, comme en témoigne l'un des chefs de la rébellion dans la région de Naplouse, Ahmad Malımud Hassan, dans le rapport qu'il adresse en mai 1939 au comité central à Damas: ‘‘Nous avons constaté que l'esprit de la révolte s'affaiblissait. Les combattants se comportent de façon tout à fait tyrannique et inacceptable envers les villageois : on déplore des vols avec violence et des exécutions sommaires, des conflits sans motif, de l'indiscipline, de l'oisiveté. Les villageois invoquent l'aide de Dieu pour se protéger de tels comportements. Ils m'ont semblé bien abattus. Dans les villes, la méfiance règne. Les espions sont partout et les partisans de la rébellion en sont réduits à roder.’’»12
Benny Morris :
« La rébellion révéla au grand jour les cicatrices profondes qui meurtrissaient la société palestinienne et qui finirent par avoir raison d'elle à force de l'affaiblir et de la paralyser: que ce soit entre les familles d'ayan, entre villageois et citadins, entre riches et pauvres, entre musulmans et chrétiens ou entre habitants des différents districts, la population palestinienne s'entre-déchirait en d'innombrables querelles. »13
Les antisionistes peuvent donc accumuler et ressasser tous les faits-divers historiques en défaveur des Juifs (il y en a, bien sûr, tels les attentats terroristes de l’Irgoun, les massacres de civils arabes en 1948 comme à Deir Yassine et ailleurs, les assassinats de politiciens britanniques, les expulsions de villageois arabes, etc.) sans jamais évoquer, d’une part, la séculaire kyrielle de crimes et de massacres de Juifs par les Arabes, ni d’autre part tous les faits et discours en faveur des Juifs – y compris les propositions de société et même d’État bi-national égalitaire judéo-arabe dès 1920 par le Brit Shalom et quelques autres, une idée qu’Arafat allait hypocritement plagier (sans y croire sincèrement une seconde) en 1968, avec un demi-siècle de retard – ; les antisionistes ne peuvent que mentir par omission en dissimulant ce qui structurait psychologiquement en profondeur, et donc socialement aussi, les deux nationalismes en opposition, l’un juif et l’autre arabe :
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