Évidemment la doxa antisioniste, repue des mensonges séculaires des idéologues palestiniens et aujourd’hui internationaux, ne voit pas les choses ainsi.
Si l’on en croit Le Monde diplomatique ou le très confus Alain Gresh (cf vidéo : « Le mouvement sioniste est né à la fin du XIXème siècle avec l’idée que les peuples… que les Juifs forment un État… »1 N’importe quoi !), tout le malheur palestinien aurait sa source dans la déclaration Balfour du 2 novembre 1917 :
Cette évidence apparente est tellement admise que même un simple rappeur comme Kerry James, dont j’avais déjà cité la candide chanson en hommage à la cause palestinienne reprend ce lieu-commun :
« Pour ceux qu'ont été spoliés, volés /Qu'ont vus leurs droits les plus fondamentaux violés /Héritage tragique de décisions injustes prises sous mandats britaniques /Depuis la déclaration Balfour on s'enfonce /… »
La déclaration Balfour serait ainsi « le plus grand crime impérialiste commis contre les Arabes et l'humanité », selon l’affirmation d’étudiants égyptiens le 2 novembre 1945, jour anniversaire de la déclaration.
Sur l’affiche ci-contre de 2013, on peut lire en arabe les mots :
« Une déclaration ceux qui ne possèdent pas (la terre) / À ceux qui n'ont pas droit (à la terre) »
Et en 2017 cette affiche parue dans le Guardian qui, citant la Déclaration Balfour, déclare :
« Il y a 100 ans, une société en développement et de plus en plus progressiste a été balayée d'un coup de 67 mots. »
Mais de quoi s’agit-il donc ? D’une abominable déclaration de guerre faite par ce Balfour au pacifique peuple musulman de Palestine dont on vient de constater la puissante cohésion sociale égalitaire – « a developping increasingly progressive society » – avant cela ?
Si jusqu’à aujourd’hui vous n’aviez jamais entendu parler de cette Déclaration Balfour, vous avez toutes les chances d’imaginer un équivalent sioniste du congrès de Nuremberg de 1933, où aurait été exprimée la volonté juive de spolier, supplanter et persécuter les Palestiniens pour les siècles à venir !…
Dans les faits, la Déclaration Balfour est une courte lettre ouverte d’une page, en date du 2 novembre 1917, envoyée par le Secrétaire d’État britannique aux Affaires Étrangères, Lord Balfour, à Lord Lionel Walter Rothschild, zoologiste excentrique et, comme son cousin français, mécène de la cause sioniste.
Elle consiste en une annonce de la « déclaration de sympathie » <declaration of sympathy> du Gouvernement de sa Majesté – en train de vaincre l’Empire Ottoman –, en faveur des « aspirations sionistes juives » et de la « vue favorable à l’établissement d’un Foyer National Juif en Palestine » < a national home for the Jewish people>.
L’intitulé exact de cette déclaration de sympathie – au sens où l’on « souffre avec » : les Juifs, pour ceux à qui cela aurait échappé, sont à la même époque et depuis déjà déjà de longues décennies en train de se faire persécuter et massacrer dans toute l’Europe de l’Est… – n’engageant formellement les Britanniques en rien, est le suivant :
« Cher Lord Rothschild,
J'ai le plaisir de vous adresser, au nom du gouvernement de Sa Majesté, la déclaration ci-dessous de sympathie à l'adresse des aspirations sionistes, déclaration soumise au cabinet et approuvée par lui.
Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement <view with favour> l'établissement en Palestine d'un foyer national pour le peuple juif, et emploiera tous ses efforts <will user their best endeavours> pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte ni aux droits civiques et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, ni aux droits et au statut politique dont les Juifs jouissent dans tout autre pays.
Je vous serais reconnaissant de bien vouloir porter cette déclaration à la connaissance de la Fédération sioniste. »
C’est cette lettre de quelques lignes que quelqu’un comme Arthur Koestler a résumée ainsi (citation citée ad nauseam par tous les idéologues antisionistes2) :
« Une nation (les Britanniques) a solennellement promis à une seconde nation (les Juifs) , le territoire d’une troisième (les Palestiniens). »
Eh bien cette phrase est triplement fausse et donc globalement mensongère, car elle résume de manière puérile un problème dont les enjeux complexes ne sauraient être réduits à ce genre de formule facile. Cela ne signifie pas pour autant que soient contestables les arrière-pensées diplomatiques et géopolitiques conformes à l’impérialisme britannique de cette déclaration, mais la réduire à un simple cynique calcul impérialiste – et surtout imaginer que les Juifs partageaient ce calcul, n’ayant rien d’autre en tête concernant la région Palestine que l’installation d’une domination assise sur la spoliation et la dépossession –, c’est négliger toutes les coulisses de sa rédaction, et surtout qu’elle fut largement discutée et modifiée avant sa publication officielle, afin de ne pas être trop engageante ni contraignante pour les Britanniques.
Par exemple les Britanniques en ont supprimé toute allusion aux liens historiques entre la Palestine et le peuple juif (le mot « restauration » fut supprimé), et n’y figure nulle précision quant à la taille de ce « Foyer national », situé quelque part « en Palestine ».
Walter Laqueur, dans son Histoire du sionisme3:
« À l'égard de la plupart des aspirations sionistes essentielles, la déclaration /Balfour/ laissait à désirer. Elle était rédigée de façon si prudente qu'elle laissait complètement en suspens la question de l'avenir de la Palestine. Elle affirmait que la Grande-Bretagne ‘‘faciliterait’’ l'établissement d'un foyer national mais ne se liait pas par un engagement à l'idée d'un protectorat ou d'un mandat britannique. Elle ne promettait pas qu'il y aurait une entité politique juive ou un État juif en Palestine; elle faisait seulement allusion à un foyer juif, ce qui n'excluait pas d'autres foyers nationaux <je souligne>. Elle ne disait pas que les Juifs auraient leur autonomie ou qu'ils auraient une influence prépondérante sur l'avenir de la Palestine. Elle ne promettait pas que l'Organisation sioniste ou tout autre organisation juive participerait à l'administration du pays. Il se peut qu'une grande partie de ces principes aient été sous-entendus dans l'esprit des auteurs de la déclaration mais ils ne figuraient pas en toutes lettres dans la version édulcorée. »
Il ne s’agissait donc nullement de donner aux Juifs par décret toute la Palestine, qui était alors un bien plus grand territoire que ce qui a été proposé en partage par l’ONU en 1947, puisqu’elle comprenait aussi la Transjordanie, soit la Cisjordanie et la Jordanie actuelles.
Il ne s’agissait de rien d’autre, d’ailleurs, et au sein d’un complexe double-jeu britannique avec les Juifs comme avec les Arabes, d’affirmer sans que cela ne coûte rien à personne un principe de complicité avec la cause sioniste, à la surface et par une sorte de charité diplomatique : les Juifs persécutés avaient droit à un havre de paix en Palestine. En réalité, bien entendu, les Anglais n’étaient pas dénués d’arrière-pensées économiques et politiques concernant cette région et surtout le canal de Suez indispensable à leurs visées impérialistes, mais ces arrière-pensées concernaient sans doute autant les Arabes qu’il leur fallait ménager un tant soit peu, que les sionistes.
Là encore, selon les historiens, les points de vue divergent complètement, démontrant à nouveau comme l’Histoire n’existe pas.
Il y a d’abord la question de l’accès aux sources historiographiques – avant même celle de la probité de leur traitement :
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