REVENIR SUR MON LAPSUS « GÉRARD » BENSOUSSAN POUR « GEORGES » BENSOUSSAN (MONTRER LEURS PAGES WIKIPÉDIA, ET LEURS BIBLIOGRAPHIES RESPECTIVES)
« Gérard Bensussan (né le 11 septembre 1948, à Mascara, en Algérie) est un professeur de philosophie à l'Université Marc-Bloch de Strasbourg, chercheur au CNRS, traducteur, spécialiste de Friedrich Wilhelm Joseph von Schelling, Franz Rosenzweig et Emmanuel Levinas. Il a travaillé sur la philosophie classique allemande et la philosophie juive. Il est à l'initiative de la fondation du Parlement des philosophes de Strasbourg. »
« Georges Bensoussan, né le 17 février 1952 au Maroc, est un historien français spécialiste d'histoire culturelle de l'Europe des XIXe et XXe siècle et, en particulier, des mondes juifs.
Ses travaux sont notamment consacrés à l'antisémitisme, à la Shoah, au sionisme et aux articulations entre Histoire et mémoire. Il est rédacteur en chef de la Revue d'histoire de la Shoah et responsable éditorial au Mémorial de la Shoah (Paris). Il essaie de placer la Shoah dans l'histoire globale du monde et de l'Occident en montrant qu'il s'agit d'un ‘‘aboutissement’’, et non d'une ‘‘anomalie.’’»
La séance d’aujourd’hui sera une enquête – au sens des historia d’Hérodote, mot dérivé du grec ἵστωρ qui désigne « celui qui connaît la loi et le droit », d’après le terme indo-européen widstōr, « celui qui connaît », « l’homme sage » (wise man), dérivé du proto-indo-européen *weyd- (« voir »).
Pour autant il ne s’agira pas tant de voir (je vous renvoie à la douzième séance du 25 octobre 2020, « L'impulsion panoptique du Savoir »1), que de lire, de scruter les textes pour tâcher de discerner et dessiner une sorte d’archéologie des mentalités, sans plus tenir compte des opinions – principalement des antisionistes militants à qui j’ai, depuis deux séances, beaucoup donné la parole.
Mon objectif, lors des deux précédentes séances qu’on peut qualifier d’introductives, a consisté à lever un tant soit peu le voile sur l’aspect subjectif, voire souvent profondément délirant, du discours pro-palestinien et antisioniste.
Je l’ai dit, je le répète, ce que j’entreprends avec ce nouveau cycle de mon séminaire est profondément paradoxal au sens où une immense majorité de personnes, intellectuels ou pas, sont aujourd’hui convaincus du caractère profondément inique et blâmable du sionisme. Sans mentionner l’immense foule de tous les antisémites – autrement dit tous ceux qui ont de solides préjugés négatifs concernant les Juifs (entre 16 et 20 millions de personnes dans le monde) –, dont j’ignorais qu’on a pu sonder et mesurer l’opinion ; c’est le constat du site de l’Anti-Defamation League2 : 1 milliard 90 millions d’êtres humains « nourrissent des comportements antisémites » (harbor anti-Semitic attitudes)…
Le constat est donc fait, concernant un indéniable conflit qui confine le plus souvent au délire.
Illustration, parmi des milliers, avec cette vidéo3 du compte Twitter de Israel Advocacy Movement :
Aujourd’hui, je vais tâcher de remonter à la source de l’animosité antijuive dans la tradition musulmane, pour suivre le fil de ce délire contemporain jusqu’à une référence toujours vivante dans le monde arabe et le militantisme antisioniste, qui est la victoire de Mahomet sur les Juifs de Khaybar, événement fondateur de l’islam que j’avais déjà évoqué lors de la première séance de ce cycle.
Voici, pour se convaincre de la vivacité de la mémoire de Khaybar, un exemple entre mille de la manière dont cette référence est spectacularisée aujourd’hui :
Extrait d’une vidéo sur l’antisémitisme musulman et sur la série à succès sur la bataille de Khaybar :
Jusqu’à « uniquement par le conflit israélo-palestinien »
On conçoit donc que la présentation de l’arrivée des premiers sionistes sous l’aspect de Blancs coloniaux et racistes soutenus par la Finance cosmopolite et l’impérialisme occidental est un éhonté mensonge de l’idéologie antisioniste, mensonge dont on examinera aussi la généalogie précise au cours d’une autre séance.
On ne peut décemment, rationnellement, constater l’antisémitisme maniaque de certains propagandistes antisionistes et ne pas se poser la question de ce qui conduit d’autres propagandistes antisionistes, en apparence moins soupçonnables d’antisémitisme – d’autant que beaucoup d’entre eux sont juifs – strictement aux mêmes conclusions concernant les sionistes, le sionisme, voire les Juifs eux-mêmes, jusqu’à produire des déclarations aberrantes – sortes de coups de hache pour trancher le nœud gordien de la question juive du genre de celles de Shlomo Sand (« Comment la peuple juif fut inventé », « Comment la terre d’Israël fut inventée », « Comment j’ai cessé d’être juif », etc.)…
Si Shlomo Sand connaît un tel succès, d’abord et y compris en Israël, c’est pour la raison simple que les Juifs, traditionnellement, ont toujours aimé la contradiction, la provocation, la subversion et la remise en question dans tous les sens et toutes les directions. Il suffit d’examiner les dialogues entre Dieu et Moïse dans la Bible, et de les comparer avec les conversations de l’Évangile ou du Coran et des hadith pour distinguer comme le statut de la parole est différent entre la religion mère et les deux religions filles. Un Sand musulman qui expliquerait aux Arabes comment ils ont été inventés, comment l’oumma a été inventée, comment il a cessé d’être musulman, etc. aurait à l’évidence un bien moindre succès de librairie.
Mon objectif consiste donc à tâcher d’assister à l’émergence de la conflictualité entre Juifs et Musulmans, depuis sa source coranique jusqu’au conflit israélo-palestinien. Mon intuition est simple, je ne crois pas au mensonge antisioniste fondamental, qui prétend que, pour les populations de la Palestine ottomane, les premiers immigrants sionistes, qui allaient contribuer à fonder l’État d’Israël, étaient perçus comme des Européens blancs venus usurper en la colonisant la terre musulmane. C’est négliger et oublier que ces « Blancs » étaient avant tout des Juifs aux yeux des Arabes, des Juifs majoritairement russes dès la 2nde alyah, surnommés Moskub par les Arabes, de jeunes idéalistes tolstoïens et marxistes épris de justice sociale.
Voici leur portrait par Walter Laqueur4 :
« C'étaient des hommes qui avaient subi l'influence des populistes russes et de Léon Tolstoï; ils n'étaient pas venus en Palestine en conquérants mais en gens convaincus, avec A.D. Gordon, que seul le retour à la terre et au travail productif pouvaient rénover de fond en comble le peuple juif. Or, une fois en Palestine, ils s'étaient rendu compte que la grande majorité des employés des exploitations juives existantes était arabes. Ils considéraient cette pratique comme un cancer qui rongeait le corps politique du ‘‘yichouv’’. Le but du sionisme n'avait jamais été d'instaurer en Palestine une classe de propriétaires terriens dont les vignobles, les vergers et les orangeraies seraient cultivés par des ouvriers agricoles arabes. Dès le premier jour, les pionniers et leurs syndicats luttèrent pour substituer à la main-d'œuvre arabe une main-d'œuvre juive partout où cela était possible malgré une vive résistance de la part des agriculteurs juifs, qui préféraient naturellement employer une main-d'œuvre meilleure marché et plus expérimentée. En outre, les jeunes gens et les jeunes femmes du ‘‘Poale Sion’’ avaient rapporté de Russie le souvenir des pogromes et, pour eux la question de l'autodéfense juive figurait au premier rang des priorités. Ils étaient socialistes et internationalistes et le plus humble paysan arabe avait, à leurs yeux, autant de dignité humaine que le plus important des pachas turcs. Mais ils ne se laissaient pas passivement assaillir et molester et avaient parfois tendance à aller trop loin dans la riposte. Ces membres du ‘‘Poale Sion’’ ne ressemblaient pas aux libéraux <au sens anglo-saxon d’hommes de gauche > de notre temps - ils n'éprouvaient pas de sentiment de culpabilité envers les Arabes. Leur socialisme se réclamait surtout (mais non exclusivement) de la tradition marxiste. À l'instar de Marx, qui regardait a priori comme un progrès la diffusion en Orient des idées et des techniques occidentales et n'avaient aucun besoin d'une autre justification idéologique. Ils croyaient à la solidarité de la classe ouvrière mais elle s'appliquait seulement aux ouvriers ayant déjà un emploi dans l'industrie et pas nécessairement à ceux qui concurrençaient la main-d'œuvre syndiquée. Comme, durant des siècles de domination musulmane, la Palestine était restée un pays désolé et sous-développé, ils n'avaient pas de scrupule à évincer les quelques propriétaires et paysans qu'ils regardaient comme responsables de son retard et de son abandon. Rien, dans la doctrine socialiste telle qu'ils l'entendaient, n'indiquait que les Juifs d'Europe orientale devait rester pauvres et improductifs ni que la Palestine devait demeurer arriérée et stérile. »
On a un autre précieux témoignage (rédigé en français de surcroît) de qui étaient les premiers sionistes par un contemporain non juif, Farid Kassab, un Arabe orthodoxe originaire de Nablus (un Palestinien au sens moderne, donc), qui prit la peine de répondre en 1906 au Réveil de la nation arabe dans l’Asie turque, le pamphlet furieusement antisémite de Neguib Azoury dont j’ai parlé lors de la première séance de ce cycle. Azoury, libanais maronite précurseur du panarabisme et du nationalisme arabe et pourfendeur du « péril juif universel », lequel aura une influence majeure sur les Arabes de Palestine : « Ben Gourion », écrit Bensoussan, « considérera plus tard que ce livre de Negib Azoury ‘‘a semé les graines de la haine antijuive à tous les niveaux de la société arabe’’ »)5.
Il faut savoir qu’au tout début du XXème siècle, le sionisme n’est pas d’emblée envisagé comme un malheur par tous les Arabes du Moyen-Orient. Voici ce qu’écrit Vincent Lemire dans Jérusalem 1900, La ville sainte à l’âge des possibles6 (Armand Colin, 2013), avant d’évoquer la polémique entre Azoury et Kassab:
« Face à l'émergence du projet sioniste, peut-on observer l'émergence d'un consensus musulman et chrétien autour du nationalisme arabe ? La réponse, on le sait, est négative. De même que le sionisme ne fait pas consensus parmi les Juifs de Palestine, le nationalisme arabe ne fait pas consensus parmi les musulmans et les chrétiens. Dans ce temps suspendu des années 1897-1908, alors que le projet sioniste n'est que balbutiant, c'est en réalité une véritable cacophonie que l'on observe du côté des communautés chrétiennes et musulmanes, à tel point qu'il devient presque baroque de les envisager comme des catégories constituées. Il faut d'abord souligner qu'à cette date, l'installation de migrants juifs en Palestine n’est pas systématiquement perçue comme une menace par les populations locales, loin de là. Même si cela peut sembler étrange aujourd'hui, les commentaires bienveillants voire admiratifs sur les premières colonies sionistes sont nombreux dans les grands organes de presse arabe des années 1890-1900. Dans al-Manar, revue de tendance islamique et réformatrice imprimée au Caire et dans laquelle de nombreux intellectuels palestiniens publient leurs points de vue, l'intellectuel syrien Rachid Rida souligne par exemple à plusieurs reprises que les nationalistes arabes devraient s'inspirer du modèle sioniste. /…/ Quatre ans plus tard, en 1902, toujours dans al-Manar, Rachid Rida est encore plus explicite et révèle clairement la logique de construction en miroir des projets nationaux arabes et sionistes… ».
Vincent Lemire explique encore que le pamphlet d’Azoury, publié en français à destination d’un lectorat européen, eut peu d’influence concrète en Palestine. C’est sans doute vrai en 1906, mais cela n’empêche pas ce texte de constituer à la fois un symptôme de l’antisémitisme arabe (chrétien puis musulman) qui dévastera la Palestine, et le syndrome d’une interprétation du conflit en miroir paranoïaque, interprétation purement fantasmatique à l’origine mais devenue si courante aujourd’hui que le texte d’Azoury est considéré comme une véritable prédiction (alors qu’il faudrait mieux dire une prophétie auto-réalisatrice):
« Deux phénomènes importants, de même nature et pourtant opposés, qui n’ont encore attiré l’attention de personne se manifestent en ce moment dans la Turquie d’Asie : ce sont le réveil de la nation arabe et l’effort latent des Juifs pour reconstituer sur une large échelle l’ancienne monarchie d’Israël. Ces deux mouvements sont destinés à se combattre continuellement, jusqu’à ce que l’un d’eux l’emporte sur l’autre. Du résultat final de cette lutte entre ces deux peuples représentant deux principes contraires dépendra le sort du monde entier. »
À cette prétendue prophétie cataclysmique, Kassab répond sur un mode bien plus lucide :
« Les Juifs ne sont ni moralement, ni politiquement étrangers en Orient. Ils travaillent tout aussi bien pour le pays que, pour eux. Ils ne sont les pionniers d'aucune puissance ; aucun empire ne les soutient, ils ne servent aucune nationalité étrangère. D'ailleurs, ils ont bien quelques droits sur les terres qu'ils occupent, car, ils les ont achetées et M. Azoury n'ignore sans doute pas que quand on achète on a le droit de posséder. »7
La noble et digne réponse de Farid Djirdji Kassab – très lucide sur les aspects paranoïaques délirants de l’antisémitisme d’Azoury8 – a eu hélas une bien moindre postérité idéologique que le pamphlet d’Azoury qui l’a suscitée, mais la comparaison des deux textes et des deux hommes est intéressante parce qu’elle démontre à quel point le style c’est l’homme, vérité qu’on va encore vérifier aujourd’hui avec la comparaison de deux Juifs pro-islamiques, le génial Bernard Lewis et le très taraudé Maxime Rodinson.
« Le parcours de Negib Azoury », écrit encore Vincent Lemire, « donne à penser que son positionnement politique est étroitement mêlé à des règlements de compte personnels : catholique maronite né en Syrie, il a été employé au gouvernorat de Jérusalem entre 1898-1904, il y a épousé la belle-sœur du drogman Bishâra Habîb (l'interprète du gouverneur), et on sait aujourd'hui qu'il a illégalement manœuvré en sous-main, sans succès, pour obtenir la place de son beau-frère. C'est lors de sa fuite au Caire, puis à Paris en 1904-1905, qu'il a rédigé et publié Le réveil de la nation arabe, dans lequel les spécialistes ont relevé quantité d'exagérations et de mensonges dans sa dénonciation de l'administration ottomane de Jérusalem. Enfin, dernier argument qui oblige à nuancer l'impact du livre : s'il a produit un effet important dans les chancelleries occidentales, l'ouvrage n'a eu qu'une très faible réception en Palestine même : publié en français, truffé de références en latin, très louangeur envers la diplomatie française et largement influencé par l'antisémitisme catholique de Maurice Barrès, le texte d'Azoury était avant tout destiné à un public français et européen. »
Quant à Kassab, c’est dans une étude en anglais de Stefan Wild9 intitulée Ottomanism versus Arabism. The Case of Farid Kassab (1884-1970), parue en 1988 dans la revue allemande Die Welt des Islams, qu’on apprend qu’il était ulcéré par l’antisémitisme pour des raisons biographiques précises :
« Le quatrième aspect important du pamphlet de Kassab est sa défense des Juifs contre les attaques antisémites d'Azoury et de la colonisation juive de la Palestine sous supervision ottomane. Kassāb avait été très impressionné par ses professeurs juifs à Paris. La plus grande partie de ses professeurs universitaires les plus intéressants et les plus distingués avaient été juifs : Bergson, Halévy, Derenbourg, Durkheim, Lévy-Bruhl, Reinach, et d'autres. En 1906, Kassab achète J'accuse d'Emile Zola et s’y renseigne sur l'affaire Dreyfus. Il est bouleversé par l'antisémitisme français <Wild cite le manuscrit tardif, à la fin de sa vie, des ses Mémoires d’un vieillard du siècle, conférence du Dr Farid Kassab)>:
‘‘Je n'avais aucun préjugé contre les Juifs, que je considérais comme des êtres humains comme les autres. Je ne m'étais jamais préoccupé des préjugés religieux ou raciaux. Est-il possible, me demandais-je, que dans cette ville de lumière, l'inimitié et l'erreur grandissent dans le cœur et l'esprit des gens ?’’
Ces sentiments personnels ont été une raison importante pour laquelle il a écrit le livre contre Azoury ;
‘‘Je considérais les Juifs de mon âge comme plus tempérés, plus industrieux, plus pacifiques que les chrétiens français. J'ai pris sur ma conscience d'écrire une réfutation d'Azoury et de l'accuser d'être un traître à son pays et de calomnier le peuple juif.’’ »
Voilà quant à l’homme, qui mourut à Beyrouth en 1970 à l’âge de 86 ans, « almost completely forgotten » conclut Stefan Wild. Mais ce qui m’intéresse surtout c’est, en 1906, le portrait qu’il trace, pour les avoir bien connus et observés dans sa jeunesse, des premiers sionistes (je coupe de ces citations les passages très narquois et lucides contre l’antisémitisme ordurier d’Azoury) :
« L'humanitaire Azoury bey qui sut prévenir le monde d'un péril juif universel et qui veut continuer à le prêcher sur les toits, dans les chaires des paroisses et même en vagabond à la manière des missionnaires, est, non seulement anti-juif au point de vue religieux, mais aussi antisémite. Quand l'illustre bienfaiteur au cœur sensible voit arriver en Palestine de pauvres familles juives, humbles et paisibles, qui ont gardé les sentiments orientaux, et qui fuient une oppression ou un massacre dans les profondeurs de la Russie et de la Pologne, où elles se sont conservées, dans des masures misérables, pendant deux mille ans, malgré les tortures les plus infâmes des églises et des prétendus chrétiens fanatiques, il devient soupçonneux et méfiant. Quand il les voit aimer cette contrée de toute la force de leurs âmes, cette contrée pleine de leurs souvenirs et qui fut autrefois leur belle patrie, il devient jaloux. Et quand il les voit acheter quelques terrains déserts, former un groupe, une colonie, changer une terre sablonneuse en champs, en fermes, en villages, prospérer, fonder des écoles agricoles et des maisons d'éducation, il crie au secours, tend les bras comme un naufragé qui s'enfonce, hèle, beugle, hurle, vocifère, tonne, tempête, comme si on lui arrachait ses propres propriétés. Il sait très bien pourtant, au fond, que ces populations juives sont inoffensives, qu'elles apportent un bien immense dans le pays, que ce sont des hommes animés des mêmes sentiments que les indigènes et qu'ils appartiennent à la même souche, à la race sémitique. Il sait bien que ce sont des sujets ottomans, paisibles et tranquilles, pas plus commerçants que ceux du littoral de la Syrie et de la Palestine, industriels et agricoles plus que tous les autres, et qu'ils comptent parmi eux beaucoup de pauvres et de malheureux. /…./ Nous avons vu de très près les Juifs en Palestine, nous les avons observés et nous pouvons tranquilliser l'inquiet Azoury et son Eglise. Ils ne songent pas à former un empire, à batailler contre les Arabes, à arracher aux chrétiens une caverne ou un tombeau, devenus pour quelques-uns l'unique objet du culte, pour d'autres, les fourbes, un moyen de vivre dans l'abondance et l'oisiveté. Ils viennent en Palestine parce qu'ils sont persécutés dans un empire barbare et chez des peuples antisémites, qui les considèrent comme des étrangers. Ils subissent pour des raisons injustes, des oppressions, des calomnies et d'odieuses injures. Ils viennent, parce que la Turquie, qui a été pour eux la plus libérale de toutes les nations d'Europe, qui ne les a jamais persécutés, leur ouvre ses portes, les protège et leur permet de fonder des colonies dans son territoire. /…/ Les Juifs en Orient sont chez eux; cette terre devient leur unique patrie ; ils n'en connaissent pas d'autres. /…/ Les Juifs ont des colonies en Palestine mais, ils ont transformé des terrains incultes et marécageux, en jardins potagers, en fermes, en villages. Ils ont apporté l'industrie, la prospérité, la vie. Ils ont rendu un immense service au pays, que peut-on leur demander de plus ? Ils ont incité les indigènes négligents à imiter leur exemple de labeur, d'activité et de patience. /…/ Si les juifs et les indigènes avec l'aide du gouvernement ottoman réussissent à rendre à la Palestine un peu de son ancienne splendeur, frappés d'anathème par le pape, ils recevront néanmoins les remerciements de l'histoire et des générations futures. /…/ Mais l'illustre Azoury bey et ses amis croient voir les Juifs fondant un empire et bouleversant le monde. Quel cauchemar! Comment le bouleverseront-ils, eux qui ne sont qu'une poignée, souffrante et persécutée ? »
(À suivre)
Histoire du sionisme I, p.323-325
Op. cit. p.979
Op.cit. p.40-41
Op. cit. p.8-9 :
« A chaque page de son livre (comme réclame) il nous renvoie à un ouvrage en préparation, qui sera très volumineux d'après lui et qui portera le titre suivant : Le péril juif universel. /…/ Les Juifs, nous affirme-t-il, sont en train de conspirer dans l'ombre. Ils ont l'intention de fonder une monarchie indépendante en Palestine qui rêvera ensuite de conquête et d'extension. Mais l'empire d'Israël va se heurter contre le colosse arabe surgissant dans le désert. Tous les deux en viendront aux prises. L'un voudra écraser l'autre. Il y aura des guerres sanglantes et des combats affreux. Des ruisseaux de sang couleront et diverses catastrophes auront lieu. De ces guerres et de ces cataclysmes dépendra le sort de l'un des deux empires et celui de l'humanité. L'horizon est sombre, ajoute-t-il, si, incrédule à notre voix le monde veut rester indifférent, il perdra des intérêts énormes et des profits avantageux (et les fervents catholiques verront s'approcher la fin du monde et se réaliser les visions de l'Apocalypse). »