C’est la raison pour laquelle je me suis donné comme tâche de comprendre comment cet assaut a pu se déployer et se transmettre à travers la pensée occidentale, depuis Platon et Aristote jusqu’à aujourd’hui, en étudiant une des batailles les plus antiques qui constituent cet assaut, celle livrée au DAVAR juif, cette « parole-chose » par laquelle, selon le Psaume 33,6, le monde a été créé :
«Les cieux ont été faits par la parole (davar) de l’Éternel, et toute leur milice par le souffle de sa bouche. »
En un mot, mon intuition est que « l’assaut » contre le monde, contre la nature, contre les animaux, contre les hommes, et celui millénaire contre les Juifs participe d’une même conflictualité, d’un même « axe-monde ».
Tel est ce que ce Séminaire s’efforce de donner à entendre.
Heidegger reviendra en 1955 sur la question de « l’attaque » (angriff) dans Sérénité (Gellassenheit):
« Le monde apparaît maintenant comme un objet sur lequel la pensée calculante dirige ses attaques, et à ces attaques plus rien ne doit pouvoir résister. La nature devient un unique réservoir géant, une source d'énergie pour la technique et l'industrie modernes. ».
Ou encore, dans sa lettre ouverte à Jünger qui date aussi de 1955 et qui est parue sous le titre Contribution à la question de l’Être (De « La Ligne »)1 :
« La représentation moderne de la réalité <das neuzeitliche Vorstellen des Wirklichen>, l'objectivation <die Vergegenständigung ; on retrouve à la racine de ce mot le Gegenstand, l’ “objet” dont j’ai beaucoup parlé dans la séance sur l’extermination, qui désigne chez Luther l’état opposé des Juifs vis-à-vis des Chrétiens>, en quoi se meut d'avance la saisie conceptuelle <das Be-greifen>, reste toujours une attaque menée contre le réel <ein Angriff auf das Wirkliche>, dans la mesure où celui-ci est provoqué à se montrer dans l'horizon de la saisie représentative. La conséquence de cette provocation dans le domaine de la saisie conceptuelle moderno-moderne <des neuzeitlich-moderne>, c'est que la réalité saisie <die Be-griffene Wirklichkeit> passe à la contre-attaque <zum Gegenangriff übergeht> de façon imprévue <allusion à «la relation d'incertitude de Heisenberg» qu’il évoque juste ensuite>, et qui pourtant est restée d'abord longtemps inaperçue, contre-attaque qui, malgré Kant, a surpris soudain la science moderne. Celle-ci est contrainte de n'approcher cette surprise qu'à travers les découvertes qui lui sont propres, c'est-à-dire à l'intérieur du processus scientifique en tant que connaissance assurée."
Lors de la précédente séance, j’ai mis en avant le caractère induit quasi mécaniquement par l’Idée platonicienne, et à sa suite par la panoptique aristotélicienne, de la notion d’universel appliquée à l’étant – à tout ce qui est, voire au non-être – cela par le truchement de trois termes grecs : koïnon (le commun), panta (la totalité), et katholou (l’ensemble), ce dernier mot étant à l’origine du mot et de l’Idée « catholique ».
Or, dès qu’on la considère d’un peu près, cette notion d’« universalité » ne va plus de soi. Pour le dire clairement, la secrète faille du Logos – j’entend ici ce que ce concept est devenu au cours de deux mille cinq cents ans de Métaphysique, et non bien sûr l’énigme qu’il pouvait enclore chez Homère ou Héraclite –, c’est que, contrairement à son propre fantasme majeur, l’universalité est loin d’être universelle.
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