Il faut maintenant prendre un peu d’altitude, étant bien compris que ce qui arrive aujourd’hui au nom de la science et de la santé n’est que la perpétuation de la planétarisation de la prédation capitaliste par d’autres moyens (ou par des moyens améliorés et assistés par ordinateur).
Heidegger, dans un séminaire de 1940 paru en allemand 1958, et en français dans une traduction de François Fédier (revue par Heidegger) sous le titre : « Ce qu’est et comment se détermine la phusis », évoque la tentation, pour la médecine moderne, parce que son savoir est intégralement technique, de ne plus se contenter de vouloir assister la nature (en combattant la maladie) mais de s’y substituer jusqu’au stade ultime qui est ce que j’ai appelé dans les séances précédentes l’auto-entreprenariat de l’homme par l’homme :
« Étant admis que deux médecins souffrent de la même maladie, dans les mêmes conditions, et que tous deux se traitent eux-mêmes; entre les deux cas, cependant, se sont écoulés cinq cents ans, au cours desquels a eu lieu le ‘‘progrès’’ de la médecine moderne. Le médecin d'aujourd'hui a pouvoir sur une ‘‘meilleure’’ technique – et guérit. Le médecin d'autrefois meurt de cette maladie. L'arkhé de la guérison du médecin d'aujourd'hui est donc bien pourtant la techné. Soit, mais il faudrait toutefois méditer ceci : d'abord, le fait de ne pas mourir, au sens d'un allongement de la vie, n'est pas encore nécessairement une guérison; qu'aujourd'hui les hommes vivent plus longtemps n'est pas une preuve de leur meilleure santé, on pourrait même tirer la conclusion inverse. Mais admettons que le médecin d'aujourd'hui n'ait pas seulement échappé provisoirement à la mort – il recouvre la santé. Mais là aussi, le savoir médical n'a fait que soutenir et guider mieux la phusis. La techné ne peut qu'aller à la rencontre de la phusis, hâter plus ou moins la guérison; en tant que techné elle ne peut jamais remplacer la phusis et devenir toute seule et à sa place l'arkhé de la santé en tant que telle. Cela ne serait que si la vie comme telle devenait une œuvre fabricable ‘‘techniquement’’; mais au même instant il n'y aurait plus de santé non plus – ni naissance, ni mort. Parfois on dirait que l'humanité moderne fonce vers ce but: que l'homme se produise lui-même techniquement; que cela réussisse, et l'homme se sera fait lui-même, c'est-à-dire son être en tant que subjectivité, sauter en l'air – en l'air où ne vaut plus, comme sens, que l'absolue absence de sens, et où maintenir cette validité paraît être la ‘‘domination’’ de l'homme sur la terre. Ce n'est pas ainsi que la ‘‘subjectivité’’ est dépassée; elle est seulement ‘‘calmée’’ dans le ‘‘progrès éternel’’ d'une ‘‘constance’’ à la chinoise; celle-ci est la plus extrême contrefaçon de l'ousia phusis. »1
Je vais maintenant vous faire écouter ma sonnerie de téléphone :
FAIRE ÉCOUTER ALIÉNATION ET MAGIE NOIRE
« C'est par les médecins et non par les malades que la société a commencé », énonce Artaud dans Aliénation et magie noire.
La santé est une notion à double face, puisque le sain et le malsain sont relatifs l’un à l’autre. On vient d’avoir pléthore d’illustrations de cette relativité parfaitement arbitraire au cours de la pandémie du coronavirus. Par exemple lorsqu’une décision intégralement politique (absurde du point de vue médical) a décidé de considérer comme « sains » des vaccinés positifs au virus – qui conservaient dès lors le privilège de se déplacer où bon leur semblait – et comme « malsains » des non-vaccinés négatifs – qui n’étaient donc, médicalement parlant, ni malades ni susceptibles de contaminer et donc de rendre malade autrui –, traités comme tels (« malsains ») et interdits du coup d’accès à de nombreux sites de l’espace public, y compris ces sites mobiles particuliers que sont les transports en commun.
Ce qui est apparu clairement, c’est comme le partage entre le « sain » et le « malsain » se fonde exclusivement sur la volonté politique de ségrégation qui le précédait et en déterminait tous les détails. Ce partage, appliqué sur un mode autoritaire (le passe-sanitaire ou vaccinal, présenté comme un « sésame ouvre-toi », n’est en réalité qu’une pure restriction de déplacement), a pour cause première une ségrégation décidée à l’avance.
Ce n’est pas un hasard si la notice de l’O.M.S. de 1952 qui définit officiellement la « santé publique » évoque ensemble « la santé et la vitalité mentale et physique ». Ce partage et cette ségrégation en temps de pandémie ne font que se calquer sur celui entre raison et déraison tel que Foucault en analyse la constitution à la charnière de la Renaissance et de l’âge classique. Foucault écrit dans l’Histoire de la folie2 :
« La Non-Raison du XVIème siècle formait une sorte de péril ouvert dont les menaces pouvaient toujours, en droit au moins, compromettre les rapports de la subjectivité et de la vérité. Le cheminement du doute cartésien semble témoigner qu'au XVIIème siècle le doute se trouve conjuré et que la folie est placée hors du domaine d'appartenance où le sujet détient ses droits à la vérité: ce domaine qui, pour la pensée classique, est la raison elle-même. Désormais la folie est exilée. Si l'homme peut toujours être fou, la pensée, comme exercice de la souveraineté d'un sujet qui se met en devoir de percevoir le vrai, ne peut pas être insensée. Une ligne de partage est tracée qui va bientôt rendre impossible l'expérience si familière à la Renaissance d’une Raison déraisonnable, d’une raisonnable Déraison. Entre Montaigne et Descartes un événement s'est passé: quelque chose qui concerne l'avènement d’une ratio. Mais il s’en faut que l’histoire d’une ratio comme celle du monde occidental s'épuise dans le progrès d'un ‘‘rationalisme’’; elle est faite, pour une part aussi grande, même si elle est plus secrète, de ce mouvement par lequel la Déraison s'est enfoncée dans notre sol, pour y disparaître, sans doute, mais y prendre racine.»
Par ailleurs, Foucault dans son Cours sur les Anormaux de 1974-19753, marque bien la différence symbolique qui distingue l’attitude vis-à-vis de la lèpre de celle adoptée vis-à-vis de la peste. Quarantaine ici (impliquant ségrégation et surveillance), exclusion là :
« Alors que la lèpre appelle la distance, la peste, elle, implique une sorte d’approximation de plus en plus fine du pouvoir par rapport aux individus, une observation de plus en plus constante, de plus en plus insistante. Il ne s’agit pas non plus d’une sorte de grand rite de purification comme dans la lèpre ; il s’agit, avec la peste, d’une tentative pour maximaliser la santé, la vie, la longévité, la force des individus. Il s’agit, au fond, de produire une population saine ; il ne s’agit pas de purifier ceux qui vivent dans la communauté, comme c’était le cas pour la lèpre. Enfin, vous voyez qu’il ne s’agit pas d’un marquage définitif d’une partie de la population ; il s’agit de l’examen perpétuel d’un champ de régularité, à l’intérieur duquel on va jauger sans arrêt chaque individu pour savoir s’il est bien conforme à la règle, à la norme de santé qui est définie <je souligne>. »
C’est bien parce qu’il est question de contrôle, et de contrôle permanent qui plus est (« jauger sans arrêt »), que la cybernétique (« Control and Communication in the Animal and the Machine ») ne peut que pointer le bout de son nez ou plutôt, pour dire les choses comme elles sont, tout envahir et décider de tout pour tous.
« C’est que, au fond », continue Foucault dans son Cours sur les Anormaux4, « le remplacement du modèle de la lèpre par le modèle de la peste correspond à un processus historique très important que j’appellerai d’un mot : l’invention des technologies positives de pouvoir. La réaction à la lèpre est une réaction négative ; c’est une réaction de rejet, d’exclusion, etc. La réaction à la peste est une réaction positive ; c’est une réaction d’inclusion, d’observation, de formation de savoir, de multiplication des effets de pouvoir à partir du cumul de l’observation et du savoir. On est passé d’une technologie du pouvoir qui chasse, qui exclut, qui bannit, qui marginalise, qui réprime, à un pouvoir qui est enfin un pouvoir positif, un pouvoir qui fabrique, un pouvoir qui observe, un pouvoir qui sait et un pouvoir qui se multiplie à partir de ses propres effets. »
L’on pourrait rajouter un pouvoir qui produit la maladie contagieuse même dont il aura la charge de contrôler la propagation, puisque nul n’ignore l’existence des laboratoires « P4 », tous héritiers du CDC (Center for Disease Control) d’Atlanta, où l’on cultive amoureusement les virus du type de l’Ebola et de la variole…
Tel est bien ce qu’enseigne le Manifeste conspirationniste 5:
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