D’UNE IMPOSTURE PHILOSOPHICO-CYBERNÉTIQUE (Les robots contre Heidegger 2/3)
37ème séance 3 mars 2022
Séance complète en vidéo ou en audio (avec les commentaires et les éclaircissements non reproduits ici):
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J’en arrive aujourd’hui à l’étude évoquée lors de la séance du 2 novembre 2021, dont j’ai plusieurs fois reporté l’examen en m’engageant dans un long détour par la généalogie de la cybernétique, la critique avisée de cette même cybernétique par Heidegger, critique que condense sa formule si peu comprise : « La science ne pense pas. », et enfin par la séance précédente sur le rapport des mathématiques et du monde contemporain.
Ce n’est pas plus mal car vous avez maintenant, pour ceux qui suivent assidument ce séminaire, une bonne idée de ce qu’est et de ce que n’est pas la Cybernétique, et de la manière dont Heidegger en a élaboré la profonde critique (revenant jusqu’aux origines de la logique en Occident).
Aujourd’hui, je vais enfin examiner de près ce cas d’école d’Erich Hörl, qui me servira à illustrer ce que j’ai radiographié dans les séances précédentes, et nous permettra de comprendre comment la sous-pensée cybernétique s’est infiltrée dans la philosophie contemporaine, et de quels stratagèmes elle use et abuse pour dissimuler son forfait.
Auparavant, je vous annonce ce qui se passera ensuite, lors des prochaine séances. Je prévois de consacrer, après aujourd’hui, sans doute une ultime séance au sanitarisme, que je centrerai autour des notions passionnantes intellectuellement de placebo et de nocebo.
Puis, si je ne me laisse pas emporter dans l’ouverture d’une nouvelle parenthèse (tout est possible), il sera temps de me lancer dans la deuxième thématique de l’année, que j’intitule provisoirement : « Psychanalyse de l’antisionisme », où je reprendrai tout à zéro, depuis les origines du sionisme au 19ème siècle pour aller jusqu’à la très récente déclaration d’Amnesty International selon laquelle « les Palestiniens sont victimes d’un apartheid » complaisamment reprise par absolument tous les organes de presse – alors qu’au même moment l’inattendue révolution des camionneurs canadiens contre le sanitarisme est passée sous un extravagant quasi-silence complet par les mêmes organes de presse (le rôle ambigü des médias dans le conflit israélo-palestinien sera d’ailleurs largement discuté aussi).
Si je tiens à faire aujourd’hui une lecture critique détaillée de l’étude d’Erich Hörl (j’ai un peu commencé cette lecture critique au début de la séance intitulée « Les robots contre Heidegger 1/ 2», dont la séance aujourd’hui est donc la suite et la conclusion, après une parenthèse sur « Les Maths et le Mal »), ce n’est pas tant pour répondre pied à pied au parallèle – inepte sur le fond et sournois dans sa forme – qu’il construit entre McCulloch et Heidegger (les séances précédentes du Séminaire rendent caduque une réponse détaillée en cela qu’elles devraient vous avoir appris qui est McCulloch et sur quelle malfaisante imposture philosophique il a érigé sa doctrine cybernétique) ; c’est pour montrer comment l’esprit de la Cybernétique empoisonne tout, y compris une étude aux plus hautes prétentions philosophique, apparemment sérieuse et documentée.
Ainsi, ce dont on va avoir la démonstration aujourd’hui, pour le cas où on en aurait douté, c’est que la philosophie cybernétisée contemporaine ne pense pas, aussi apparemment érudite et référencée soit-elle.
La séance d’aujourd’hui sera, si vous préférez, une manière d’illustrer en détails la réponse de Heidegger au Spiegel selon qui la Cybernétique a intégralement supplanté la Philosophie.
J’aurais bien sûr pu prendre un autre exemple que celui d’Erich Hörl (Simondon par exemple, dont je vais parler brièvement aussi), mais le cas de Hörl est plus singulier car c’est un thuriféraire avec des pincettes.
Je veux dire par là qu’il sait que le ravage est à l’œuvre (il l’évoque par exemple dans son manifeste de 2008, on va le voir), mais on le voit à l’œil nu dissimuler le ravage depuis le ravage (son gagne-pain) dans une langue qui se remémore en partie celle d’avant le ravage (la philosophie classique), mais qui doit du coup inéluctablement tricher pour ne pas sombrer dans le ravage (il y sombre quand même, mais nul ne s’en aperçoit).
Erich Hörl est né en 1967, c’est un philosophe autrichien, qui aurait (selon sa fiche Wikipédia en allemand1) étudié avec Derrida et Hans Dieter Bach (un philosophe universitaire allemand sur lequel je n’ai rien à dire) ; diplômé de l'Université Humboldt de Berlin, spécialisé dans la théorie des médias, de la culture et de la technologie.
Si l’on regarde d’un peu près les universités avec lesquelles il a collaboré ou collabore encore, on se fera une idée précise des limites mentales dans lesquelles son discours de la cybernétique a su se déployer :
Il y a d’abord l’Institut für Medienwissenschaft der Ruhr-Universität Bochum (à prononcer à l’allemande, comme « Bach »). Au sein de l’IFM, Erich Hörl a fondé en 2007 le BKM, le Bochumer Kolloquium Medienwissenschaft (Colloque de Bochum sur les sciences des médias), où il expose longuement son projet, en allemand et en anglais2. Je vais y revenir.
En 2010 et 2011, Hörl est nommé « Senior Fellow am Internationalen Kolleg für Kulturtechnikforschung und Medienphilosophie (IKKM)3 », lequel Kolleg se présente de la sorte :
« Aujourd'hui, les équipements et artefacts techniques ne peuvent plus être considérés comme de simples outils d'action culturelle, de perception, de cognition, de communication, etc. Ils agissent de manière constitutive dans les processus culturels et de réflexion. La tradition de pensée européenne opposait le sujet humain puissant et agissant au simple objet. Aujourd'hui, le mélange pratique et la mise en réseau constants entre les personnes et les médias exigent une compréhension plus complexe d'un sujet distribué, organisé conjointement et de ses modes d'action. L'IKKM a proposé de tels concepts. /…/ Des opérations telles que cadrer et découper, apparaître et disparaître, condenser et disperser ou montrer et provoquer, créent de nouvelles conditions du monde, qui peuvent être comprises comme des "différents modes d'existence", des "régimes ontologiques" ou des "dispositions de l'être" (Haudricourt, Viveiros de Castro, Descola, Latour après Souriau).»
En 2013-2014, Hörl collabore avec le MECS (Institute for Advanced Study on 'Media Cultures of Computer Simulation'), à l’Université Leuphana de Lüneburg4, lequel MECS se présente ainsi :En 2013-2014, Hörl collabore avec le MECS (Institute for Advanced Study on 'Media Cultures of Computer Simulation'), à l’Université Leuphana de Lüneburg, lequel MECS se présente ainsi :
« La recherche se concentre sur la question de savoir quels problèmes et quelles constellations de connaissances peuvent être résolus par la simulation informatique, quelles nouvelles formes de connaissances elle génère et dans quelle mesure elle représente une rupture historique. La pertinence épistémologique et l'étendue des applications des simulations informatiques reposent sur le fait que, selon l'hypothèse de départ, les constellations sont fondamentalement différentes pour les diverses sphères du savoir. Pour cette raison, MECS s'aligne sur les études des médias et des sciences et s'oriente sur les études de cas. L'étude de cas se concentre sur 1. la matérialité technologique spécifique de l'ordinateur ; 2. la logique de recherche et les pratiques de laboratoire générées par l'objet d'investigation ; 3. les acteurs de la production de connaissances. »
On voit comme la soupe jargonneuse qui sert de discours à la sous-pensée cybernétique, celui des instituts auxquels collabore activement Hörl, est unifié et cohérent. Il entend être seul à bord pour décider de ce qu’il est. Pour cela, il doit déclarer toute la pensée qui le précède obsolète, la « tradition de pensée européenne » étant incapable d’envisager « un nouveau mode de pensée ontologique adapté aux nouvelles techno-phénoménalités » comme l’exprime élégamment Hörl sur la page de présentation de son « Colloque de Science des Médias de Bochum (Bochumer Kolloquium Medienwissenchaft5) hébergé au sein de la Ruhr Universität à Bochum (RUB)…
Regardons cela d’un peu plus près. C’est sur le site de son BKM que Hörl présente en allemand et en anglais le manifeste de sa pensée, long texte bizarre, jargoneux bien sûr, mais qui par ailleurs, lorsqu’on le décortique, mêle des références et des idées apparemment adverses, comme si Hörl ne tenait pas véritablement à ce qu’on devine quel est son parti, entre la Cybernétique et la Philosophie traditionnelle.
Ce manifeste date de février 2008, soit la même année que son texte sur Heidegger et McCulloch, et je veux y consacrer quelques minutes car il manifeste assez vite le procédé retors de Hörl, lequel procédé sera pleinement déployé dans son étude pour la revue Appareil (qui date dans sa version en ligne de la même année).
Je dois commencer par dire que j’ai arrosé l’arroseur en faisant doublement traduire ce texte bilingue par un programme d’Intelligence Artificielle mis en place sur le site Deepl.com. Les quelques citations que je pourrai en faire émanent par conséquent d’un robot, d’ailleurs assez fidèle aux énoncés jargonneux de Hörl. Les cybernéticiens parlent aux cybernéticiens, et ça n’est que justice.
(À suivre)