D’UNE IMPOSTURE PHILOSOPHICO-CYBERNÉTIQUE (Les robots contre Heidegger 2/3) (2)
37ème séance, 3 mars 2022
D’entrée, Hörl révoque toute critique pensive de la Cybernétique en la transformant en la vague notion arriérante de « malaise » (ou également de « Latenz »):
« Il existe un malaise culturel (« ein kulturelles Unbehagen », « a cultural uneasiness ») concernant la sphère technico-médiale» (« am Technisch-Medialen », « concerning the technical-medial sphere ») « notamment », ajoute-t-il, « en ce qui concerne l'attitude théorique (« insbesondere was die theoretische Einstellung angeht; especially in regard to theoretical attitude »).
Il insiste sur ce « malaise » (Unbehagen, uneasiness) : « Le malaise face au technico-médiatique est un symptôme de cette situation de latence persistante. La technologie et les médias posent une question qui cherche encore sa place. » ; « Le colloque a pour objectif de travailler sur le malaise du technico-médiatique, d'explorer la place systématique des médias et des choses techniques et de promouvoir ainsi des auto-descriptions aussi risquées que provocantes d'une culture hautement technologisée. »
Behagen, c’est l’« aise », le « bon plaisir », « l’agréement », la « satisfaction ». Son négatif, le « malaise », das Unbehagen, terme employé par Hörl pour désigner la réaction du penseur classique dépassé par la Technique, ne peut manquer de faire songer d’une part au titre célébrissime de Freud en 1929 (Malaise dans la civilisation) et d’autre part, mais comme écran dissimulateur, à la Gellassenheit heideggérienne, soit la « sérénité » du penseur plongé dans le monde technique.
Avec cette insistance sur le Unbehagen, on est spontanément dans le registre du sentiment subjectif (cf. behagen dans le Sachs und Villatte), sans référence à la pensée. Le malaise, Unbehagen, c’est ce qui a donné son titre au Malaise dans la civilisation de Freud (1929), Das Unbehagen in der Kultur, qui évidemment n’est pas le « malaise » qu’éprouverait l’homme classique devant la civilisation moderne, mais le malaise créé précisément par l’épée de Damoclès de cette Kultur qui menace d’exterminer l’homme par l’homme assisté par la technique (Conclusion de Freud: « Les hommes d'aujourd'hui ont poussé si loin la maîtrise des forces de la nature qu'avec leur aide il leur est devenu facile de s'exterminer mutuellement jusqu'au dernier. »), et d’ailleurs la définition (qui a suscité tant de commentaires) que donne Freud de ce qu’il entend par Kultur (qu’il distingue donc de la Zivilisation) correspond assez bien au fond à celle de la cybernétique selon Wiener (« control and communication in the animal and the machine ») à la condition d’y ajouter le biais technologique :
« Le terme civilisation (Kultur) désigne la totalité des œuvres et des organisations dont l'institution nous éloigne de l'état animal de nos ancêtres et qui servent à deux fins : la protection et la réglementation des hommes entre eux »1.
Enfin, pour ne laisser subsister aucun doute, il est évident que le constat déjà pessimiste de Freud (mort en 1939) est une broutille en considération de que qu’il aurait été s’il avait traversé la Seconde guerre mondiale et la Shoah :
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