Né catholique dans un pays de tradition protestante, Heidegger était étonnamment ignorant de la « chose juive », i. e. la tradition millénaire d’herméneutique et de pensée biblique, midrashique, talmudique et kabbalistique. Commettant des erreurs de débutant lorsqu’il lui arrive de citer la Bible, Heidegger en vint à traiter confusément d’un nébuleux « judéo-christianisme », et à voir en Philon d’Alexandrie le fondateur d’une inexistante « philosophie religieuse » juive, laquelle n’était en réalité qu’un platonisme et un aristotélisme acclimatés à l’univers grécisé de la Septante.
Cette ignorance crasse de la chose juive aura plusieurs conséquences néfastes. D’une part, Heidegger confondra le judaïsme et l’imperium romain dans une vision plate et vulgaire du Dieu juif en despote oriental ; d’autre part il ne bénéficiera d’aucune protection intellectuelle contre l’ensorcellement de la propagande nazie des années 30 et 40. Sans se savoir consciemment antisémite, il en viendra, dans ses Cahiers noirs, à assimiler la chose juive, réduite par lui aux termes interchangeables et toujours nébuleux de Judentum, Weltjudentum et Judenschaft, à la Machenschaft et à la dévastation du règne exclusif des étants. Cette assimilation absurde du monde juif au seul domaine des étants lui vient d’une citation de Luther sur « l’état opposé » des Juifs et des Chrétiens, évoquée par lui en note d’une méditation sur l’« objet » et son caractère antagonique avec le « sujet » depuis Descartes.
En 1942, quand il ne lui sera plus possible de douter de l’extermination des Juifs en cours, Heidegger tentera dans un passage extravagant des Cahiers noirs, d’analyser l’auto-anéantissement métaphysique des Juifs et des nazis, mélangeant dans le vaste chaudron de la Métaphysique occidentale Juifs, chrétiens, et nazis, et les excluant littéralement de l’indestructibilité propre à la lumière de l’Être répandue sur le monde grec.
De quoi pouvait-il bien discuter avec Hannah Arendt ?
D'amour et de saint Augustin ! On a leur correspondance...