Aujourd’hui, je vais m’attacher à comprendre ce qui est à la source de la répugnance provoquée chez Heidegger par le christianisme, qu’il ne distingue pas du « judéo-christianisme », expression inepte et aussi falsificatrice, globalisatrice en réalité, que celle de « pré-socratique » ou d’« Ancien Testament ». Ainsi, par exemple, dans les Beiträge où la pensée du dernier dieu occupe une place majeure, il emploie une expression globalisatrice pour désigner la conception « christlich-biblische » de la Création.
C’est tout cela qu’il faut examiner minutieusement pour comprendre ce qui lui fait dire dans les Beiträge (à partir de 1935), que le « dernier Dieu » sera « tout autre à l’égard de ceux qui ont été et surtout à l’égard du chrétien » (traduction de Gérard Guest).
Je renvoie, à propos de cette question si délicate et complexe du « dernier Dieu » à la magnifique lecture que Gérard Guest y a consacrée, lors de trois séances de son séminaire, le 28 juin 20081, le 15 novembre 20082 et le 13 décembre 20083, en dialogue avec le « dieu caché » d’Isaïe selon Pascal.
Pourquoi Heidegger, donc, dans cette note sur le « chaudron de sorcières » de 1934, récuse-t-il tous les christianismes indifféremment, les confondant dans leur propre confusion, ce qu’il qualifie de Ratlosigkeit, « perplexité », « embarras », « aporie » ?
Car il y énumère pêle-mêle : « christianisme » – sans distinction entre catholicisme et protestantisme ; « christianisme "positif" » – soit le seul reconnu par les nazis comme conforme à leurs vues raciales, où un invraisemblable Jésus nordique se substituait au fils du Dieu juif prôné par les deux précédents ; « chrétiens allemands » – soit un groupe de protestants ayant adhéré formellement au nazisme ; et enfin le « Bekenntnis Front » – des protestants au contraire entrés en lutte armée contre le nazisme !
Comment comprendre cela, et quel est le rapport avec la « terrifiante » non germanité du mot falsch ?
C’est précisément ce qu’il explique dans les pages du Parménide consacrées au mot falsch. Cette métamorphose pandémoniaque de l’Allemagne est conforme à la manière dont la romanité a contaminé le monde grec en le « traduisant » en latin (alèthéia défigurée en veritas et pseudos en falsum), dissimulant, falsifiant, défigurant, écrasant, ravageant ce que celait et protégeait la langue grecque à sa source.
De la sorte, la Domination à la romaine – si fascinante pour Mussolini et Hitler –, a complètement faussé (comme on parle d’une roue faussée, ce qui a de tout autres conséquences que la simple falsification d’un document, que l’on peut toujours dénoncer comme dans l’affaire Dreyfus, ou qu’une fausse route que l’on peut toujours rebrousser) le domaine d’essence de la pensée grecque à son aurore, au point que tout ce qui paraît grec – et porte le faux nom de « philosophique » – n’est que du romain masqué, et, par l’intermédiaire de la transmission du latin impérial à l’Ecclesia catholique, du « dogmatique » masqué…
Ce que seul Heidegger comprend alors, c’est que l’influence du décorum romain chez les fascistes italiens et les nazis (et déjà d’ailleurs chez les Révolutionnaires français comme chez Napoléon) est la partie visible d’un bien plus considérable iceberg, qui engage des traits essentiels de l’Occident depuis l’Antiquité.
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