Je veux maintenant, avant de finir de lire notre passage a-juif (plutôt qu’antisémite), dont les non-dits, les impensés et les impasses deviennent je l’espère de plus en plus clairs, faire une remarque sur la question de Marx et de la Judentum telle que les associe Heidegger avec sa cavalcade emballée (et un peu délirante) des « c’est-à-dire » :
« La Judenschaft (la « judéité ») Celle-ci, dans tout l’espace-de-temps de l’Occident chrétien, c.-à-d. de la métaphysique, est le principe de destruction < das Prinzip der Zerstörung>. Ce qu’il y a de destructeur dans le retournement de la métaphysique en son plein accomplissement, c.-à-d. dans le retournement de la métaphysique de Hegel par Marx. L’esprit et la culture y deviennent la superstructure de la “vie“ — c.-à-d. de l’Économie < du Commerce (Wirtschaft) >, c.-à-d. de l’Organisation — c.-à-d. du Biologique — c.-à-d. du “Peuple’’. »
Il n’a échappé à personne que l’extermination des Juifs s’était accomplie à Auschwitz sous les auspices d’une formule non seulement profondément non-juive (elle profane l’une des notions les plus saintes du judaïsme qu’est le repos obligatoire du shabbath), mais non-marxiste : « Le travail rend libre ».
Car dans Le Capital, Marx fait une citation d’Adam Smith : « Le Capital est le pouvoir de commandement sur la travail d’autrui »1, avant de poursuivre sur la nature profondément et essentiellement spoliatrice du capitalisme, qui va contre toutes les valeurs du judaïsme : je vous renvoie à ce sujet à ma longue étude de 2009 intitulée Domination et dépossession chez Heidegger et dans la pensée juive2) :
« Le capital n’est pas seulement, comme dit Adam Smith, le pouvoir de commandement sur le travail d’autrui <Kommando über Arbeit> : mais il est essentiellement le pouvoir de commander un travail non payé. Toute plus-value, quelle qu’en soit la forme particulière – profit, intérêt, rente, etc. – est en substance la matérialisation d’un travail non payé. Tout le secret de la faculté prolifique du capital est dans ce simple fait qu’il dispose d’une certaine somme de travail d’autrui qu’il ne paye pas. »
Ce que Marx permet de comprendre ici, c’est qu’entre « Auschwitz » et le Capitalisme, il y a une relation consubstantielle liée à l’Esclavage, à la Destruction, ainsi qu’au Mensonge – car le travail ne rend évidemment pas libre.
Or, dans les manuscrits contemporains de ce passage, la phrase d’Adam Smith est rendue par Marx en « Befehl über alle Arbeit von andern… ».
On retrouve un mot – Befehl – qui nous intéresse au plus haut point, car il est celui qu’emprunte Heidegger à Luther dans le Parménide lorsqu’il cite erronément les Psaumes :
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