Le plus patent, ceux qui pratiquent un minimum l’hébreu biblique le savent, c’est que les dix « commandements » ne sont en réalité ni des commandements ni des ordres ni même des préceptes, dans la version originale de la Bible, mais… des « paroles » ! devarim, des paroles-choses même1.
C’est précisément depuis cette spécificité du davar hébraïque que le mot grec ῥήματα, qui traduit dans la Septante le mot « paroles » (et non « commandement ») a pris sa signification synonymique de « chose », comme l’indique le Bailly au mot ῥήμα : « Par ext. chose en gén., hébraïsme, Sept. Gen. 15,1 ; 18, 14 ; NT. Luc. 3,15 ; au plur. actions, actes… »
D’autre part, contrairement à ce qu’exprime Heidegger sous une formulation globale (« ’‘tu ne dois pas’’, ‘‘tu dois’’, telle est sa parole »), le Décalogue – ni aucune des instructions, lois, ou préceptes énoncés par le Dieu juif – n’est exprimé à l’impératif.
Pourquoi ?
Parce qu’à proprement parler, pour commencer, la grammaire hébraïque ne connaît pas la catégorie de l’impératif. L’impératif est en réalité formé sur l’inaccompli. C’est cette ambiguïté insoluble parmi tant d’autres propres à la grammaire biblique, qui faisait regretter à Spinoza que la Bible n’eût pas été rédigée originellement dans une langue plus géométriquement compatible !2
Voici ce qu’en enseignait le Rav Léon Ashkenazi, surnommé « Manitou » par ses disciples, dans un cours de 1994 concernant les 613 mitsvoth (« prescriptions » : 365 négatives, 248 positives) :
« Il y a controverse en particulier par deux des grands décisionnaires, Maïmonide (Rambam) et Na’hmanide (Ramban), non pas sur le nombre de commandements (il y a des raisons de la Kabalah qui font que c’est ce nombre-là) mais sur le fait de savoir si tel verset est un commandement ou une promesse. Tous les commandements sont donnés au futur. On les entend comme des impératifs mais ils sont toujours donnés au futur même dans les exceptions apparentes. Ce qu’on croit être une exception c’est aussi un futur. Et donc il peut y avoir controverse sur les versets pour savoir s’il s’agit d’une bénédiction ou d’une promesse de bénédiction, ou bien si c’est un commandement.
C’est pourquoi les codes des grands décisionnaires n’ont ainsi pas forcément le même décompte des Mitsvot, mais leur nombre est de manière irréversible 613.
Dans l’enseignement du Rav Kook : la Torah s’adresse simultanément à la collectivité d’Israël et à l’individu d’Israël. Mais elle s’adresse à la collectivité d’Israël dans un futur de promesse.
Je prends un exemple qui me vient toujous à l’esprit : lo tirtsah’ tu ne tueras pas. Il n’y a pas al tirstsah’ ne tue pas. Cela veut dire, lorsque la Torah s’adresse à la collectivité : si tu es Israël, Je te promets : voici ce que sera ton profil d’identité : « Tu ne tueras pas !» C’est une promesse.
Voilà ce que tu seras, ce n’est pas un commandement d’être, c’est une promesse sur l’être.
L’individu à l’intérieur du groupe, à l’intérieur et à travers la collectivité, entend la promesse donnée à la collectivité comme un ordre à être Israël à travers telle ou telle conduite ou Mitsvot.
En d’autres termes, nous naissons Jacob et les promesses sont faites à Israël. Donc, la dimension de commandement de la Torah, s’adresse à Jacob en lui ordonnant de devenir Israël.
Mais dès qu’il devient Israël la promesse s’accomplit.
Cela veut dire : la dimension d’obligation (Tsav, Mitsvah, ‘Hovah) que l’on entend dans le commandement sous forme d’impératif, c’est l’individu qui entend la voix qui s’est adressée à la collectivité comme promesse, et l’individu l’entend comme commandement à être membre de cette collectivité. »
Qu’est-ce que cela implique ?
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