Prenons un exemple précis. On trouve dans les Cahiers noirs une phrase ou deux qu’on pourrait qualifier de pensée sur la servitude volontaire (liée pour Heidegger à l’absence de questionnement qui caractérise les Temps modernes):
« Il y a des marchés d’esclaves où les esclaves eux-mêmes sont souvent les plus gros marchands. »1
Et quelques temps après :
« Le plus grand esclavage consiste à être à son insu dépendant de ses propres esclaves, et mené par eux comme à la baguette. »2
Comparons avec un passage de Kafka consacré aussi à la servitude volontaire :
« La bête arrache le fouet au maître et se fouette elle-même pour devenir maître, et ne sait pas que ce n'est là qu'un fantasme produit par un nouveau nœud dans la lanière du maître. »3
Je vous laisse départager qui ici pense plus finement, et faire le tri entre la pensée sans attrait et la pensée goûteuse.
Nous verrons à la prochaine séance comme cette question du style et de la joie de la pensée est précisément ce qui lui fera manquer un aspect essentiel de Pascal, autant que de la pensée juive…
Le Pascal de Heidegger
Je veux rappeler avant de commencer que mon ami Gérard Guest a consacré en 2008 et 2009 plusieurs séances de son séminaire à la confrontation du « Deus absconditus » d’Isaïe selon Pascal et du « letzte Gott » chez Heidegger4. Ces séances sont consultables en vidéo sur mon site Paroles des Jours. Gérard Guest a également fait paraître un long texte en 2011 dans la revue Les études philosophiques, intitulé « Pascal et Heidegger – Heidegger lecteur de Pascal », lequel est aussi accessible en en ligne5 et de même parmi les documents préparatoires du Séminaire.
Avant d’en arriver à comprendre l’aveuglement de Heidegger concernant l’extermination des Juifs, il est judicieux de faire une station par Pascal, pour au moins deux raisons.
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