Annoncer la séance du 7 juin à la Galerie Éric Dupont de 14h à 16h
Expliquer les problèmes d’envois d’emails en masse avec Free… (conseiller de se créer une adresse gmail de secours)
Revenir sur lapsus à propos de la « pseudo-croissance », « nécrose de tout vivant », qui ne peut pas NE PAS tout épuiser, elle ne peut pas NE PAS tout exterminer…
Revenir sur les premiers génocides de l’ère industrielle celui des Amérindiens lors de la « conquête » de l’Ouest, dont les prémisses sont la Terreur française (un massacre assisté par la Technique et affamé par le nombre).
Distinction extermination et génocide : Franz Boas dans « L’organisation sociale des Kwakiutl » (1895) : Grande guerre avec les tribus Salish du Sud, au milieu du siècle; extermination d’une tribu par une autre!!!:
"Les Q’ome’nox se sont entièrement éteints. Les Xoya’les, une autre tribu qui vivait près des Qo’sqemox mais dont nous ne possédons que des récits traditionnels, ont été exterminés par ces derniers."
Reprenons aujourd’hui les pages du Parménide consacrées à l’imperium et à la fausseté, et tâchons avec prudence de lire entre les lignes.
Un peu avant ce passage, Heidegger compare le mot pseudos (insistant sur la « multiplicité de sens » du mot) au mot allemand Falsch1.
Il commence par expliquer que pseudonyme, « mot d’origine étrangère » – on verra que l’incise est importante –, n’est pas l’équivalent strict d’un « faux nom ». D’abord parce que le « véritable pseudonyme », précise Heidegger, « masque <verdecken, « cacher »>, mais de telle sorte qu’il annonce en même temps secrètement l’essence celée de l’auteur et sa tâche d’écrivain ».
Il est probable que Heidegger a ici aussi à l’esprit la notion de lanthanein, « l’être en retrait », dont nous avons examiné l’importance dans la pensée de l’Être lors de la précédente séance, à propos des lanthanontès.
Nous avons en effet vu la dernière fois que, dans le texte La menace qui pèse sur la science, daté de 1937-1938, réservé à un petit groupe confidentiel de philosophes, il évoquait ce que j’ai surnommé son Larvatus prodeo à lui, soit « le cercle des lanthanontès », « ceux qui demeurent en retrait » protégés par « l’inapparence du simple titre de ‘‘professeur’’ », écrit Heidegger, ajoutant :
« Oui, il nous faut à présent mettre le masque de ‘‘positivistes’’, afin de ne pas être identifiés comme ceux que nous sommes… »
« Ceux que nous sommes », dans son esprit, c’est les penseurs de l’Être, ceux qui appartiennent à ce qu’il désigne, dans les Beiträge2, « le cercle invisible <den unsichtbaren Ring> qui enserre tous ceux à qui, dans le questionnement, répond le signe qu'envoie l'estre <der Wink des Seyns> ».
Ici, dans le Parménide, Heidegger prend en exemple les divers pseudonymes de Kierkegaard, comme Johannes de Silentio :
« Le véritable pseudonyme ne doit pas seulement faire que l’auteur ne soit pas identifiable, mais surtout rendre attentif à son essence celée. À travers son pseudonyme, l’auteur en dit même davantage sur lui qu’il ne le fait en employant son nom exact. »
Mais de même que dominer n’est pas régner, il y a pseudonyme et pseudonyme. L’envers de ce « véritable pseudonyme », c’est le « faux nom » , « falscher Name ». C’est celui de l’imposteur, dont le faux nom doit masquer l’identité véritable et en même temps « laisser apparaître celui qui le porte avec un air de ‘‘grandeur’’ et préparer son ‘‘entrée sous le titre correspondant’’ ».
Il ne s’agit pas seulement de « vanité » dans cette imposture.
Avant de poursuivre sur cette affaire d’imposture, je voudrais ouvrir une parenthèse concernant l’anecdotique et l’essentiel, l’historique et l’historial, le politique et le philosophique, et la façon dont ces domaines se conjuguent chez Heidegger.
Comme le pseudonyme annonce « l’essence celée » <das verborgene Wesen>, et renvoie à la notion cruciale chez Heidegger de Verbergung, qu’on a traduit par « abritement », ainsi qu’à celle de la lèthè à quoi le cours sur Parménide est en grande partie consacré –, le « faux nom » est directement lié d’une part, à la question de la domination, de l’imperium et du « faire tomber » (Heidegger rapproche le falsum romain du sphalo grec, qui signifie « vaincre à la lutte » « renverser », « faire tomber ») –, mais aussi, à un autre niveau, à celle de la préséance de l’étant sur l’Être, qui apparaît dès Être et Temps avec la thématique de l’occultation du phénomène et du « masque » qui le recouvre :
« Un phénomène peut être enfoui. Dans ce cas, il avait auparavant été une fois dévoilé mais il a dévalé à nouveau dans l'occultation <Verdeckung>. Cette dernière peut être totale sinon il est de règle que ce qui a été auparavant dévoilé soit encore visible quoique seulement comme semblant <Schein>. Pourtant, de semblant <Schein> il n'y a qu'autant qu'il y a d'‘‘être’’ <Sein>. Cette occultation qui ‘‘masque’’ <diese Verdeckung als « Verstellung » / Verstellung : « changement de place », « dépacement », « déguisement », « dissimulation », « feinte »> est la plus fréquente et la plus dangereuse parce qu'ici les possibilités de leurre <Täuschung « tromperie», « mystification », « fraude »> et de fourvoiement <Mißleitung> sont particulièrement tenaces. »
Nous sommes donc là dans un domaine de significations et de compréhensions d’emblée essentiel chez Heidegger, lié à sa réélaboration du Phénomène dans Être et Temps, rattaché à la question de l’aléthèia comme « hors-retrait » – impliquant une méditation du retrait, telle qu’elle se manifeste dans le Parménide –, et qui n’est pas sans imprégner toute la réflexion sur la Technique. Ainsi, dans la conférence faite à Munich en 1953 intitulée précisément La question de la Technique <Die Frage nach der Technik>, il dira:
« L'Arraisonnement nous masque l'éclat et la puissance de la vérité. <Das Ge-stell verstellt das Scheinen und Walten der Wahrheit.> »
Pour le dire autrement, « tout se déploie ensemble »3. La pensée de l’Être touche à la fois au plus abstrait de la plus haute philosophie comme au plus concret de nos vies quotidiennes. C’est ce qui fait l’insurpassable grandeur et l’attrait universel de l’œuvre de Heidegger. Les pages du Parménide sur la fausseté, sur la vérité et l’oubli, invoquent à la fois des thématiques millénaires qui scintillent déjà chez Platon, Homère ou Parménide et ce qui est en train d’advenir aujourd’hui à l’homme, ce que Heidegger qualifie parfois de « Dévastation » ou de « Destruction de la Terre », ce que j’ai qualifié en sous-titre de ce séminaire d’extermination en cours.
C’est aussi comme cela qu’il faut entendre ce qu’il exprimait au cours de son séminaire du Thor (1968):
« Platon est là, Aristote est là et nous parle, et nous est présent, et doit nous être présent. »
Cela ne signifie pas qu’il faut aujourd’hui, en 2020, s’intéresser à la philosophie de Platon. Il est parfaitement indifférent à la philosophie de Platon (ou à la pensée de Heidegger) qu’on s’intéresse ou pas à elle. Cela signifie que la philosophie de Platon ou d’Aristote nous parle de notre aujourd’hui. Rappelez-vous les paroles de Rachi commentant la répétition du mot « écouter » dans le verset de l’Exode « Si écouter tu écouteras » : « Si tu écoutes de l’ancien, tu entendras du nouveau. » Rappelez-vous la phrase de Tristan Tzara dans le Manifeste Dada 1918 : « J’aime une œuvre ancienne pour sa nouveauté. » Méditez cette parole hassidique de Rabbi Moshè Loeb de Sassov (né en 1745), citée par Buber : «Tu veux du feu ? Cherche-le dans la cendre ! »
(À suivre)
Parménide, p.64-65.
P.24 de l’édition française.
« La parole d’Anaximandre », in Chemins qui ne mènent nulle part, p. 421.