Si Heidegger y est tombé <dans le grossier panneau du nazisme>, pour sa part, c’est probablement dû aussi à sa conception du « génie », non pas concernant le subjectum mais la langue, ce qu’il nomme le Sprachgeist, terme qu’il réserve exclusivement au grec, au sanskrit et à l’allemand. Pourquoi ? Parce que selon lui ces langues sont dénuées à leur source de « crapauds » étymologiques (au sens minéral), tels ces undeutsche Wörter qui défigurent l’historialité de la langue allemande.
« L'emploi aristotélicien du terme katêgoria », écrit-il dans le Nietzsche, « répond entièrement au génie de la langue grecque <dem griechischen Sprachgeist>, qui en est un, il est vrai, inexplicitement philosophico-métaphysique et par là confère à la langue grecque, en même temps qu'au sanskrit et à l'allemand conservé dans sa pureté <der gutverwahrten deutschen Sprache, « la langue allemande bien conservée »>, la précellence sur toutes les autres langues. »1
Ce qu’entend Heidegger, c’est que « l’esprit » de la langue allemande est lui aussi, comme la grecque, philosophico-métaphysique à sa source, pur de tout mélange. En quoi il n’a pas tort : la philosophie allemande est allemande, et elle occupe indiscutablement dans l’histoire de la Métaphysique occidentale une place qu’aucune autre langue ne peut lui disputer. Où il se trompe (et d’ailleurs il reviendra sur cette question tardivement, dans ses dialogues avec l’Asie par exemple, ou dans ses recherches sur le Quadriparti), c’est lorsque, mené par sa conception d’une langue allemande bien conservée (der gutverwahrten deutschen Sprache), telle une substance chimique inaltérée enfermée dans un bocal hermétique2), il imagine – à ce moment-là – que la philosophie (grecque ou allemande) est l’unique accès à la pensée confondue selon lui avec la pensée de l’Être.
Pourquoi ? Parce que « dans toutes les langues indo-européennes », écrit-il dans Introduction à la Métaphysique3, « le ‘‘est’’ (grec estin, latin est, allemand ist...) se maintient dès le début », et que « la plus ancienne, la racine véritable <du mot ‘‘être’’>, est es, en sanscrit asus, la vie, le vivant, ce qui de soi et à partir de soi se tient, et va, et repose en soi : le subsistant-par-soi (eigenständig). »
Il le redira encore tardivement, lors de son entretien au Spiegel (1966) :
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