Ainsi, par exemple, il y a dans le Parménide, partant du nuage qui voile le ciel chez Pindare et du rapport co-essentiel entre la main et la parole, une magnifique analyse de l’irréductible différence entre l’écriture à la main et le fait de « taper » à la machine1. Cette analyse nous dit aussi quelque chose de très contemporain concernant l’administration totalitaire, laquelle, sous le nazisme et le stalinisme, ne pouvait pas davantage se déployer sans machines à écrire qu’aujourd’hui la gestion génocidaire du globe ne le peut sans les algorithmes composant ce qu’on appelle d’un morbide oxymore qui annonce le pire : « Intelligence Artificielle ».
Ce n’est pas pour rien que le peuple du Nom fut dans les camps d’extermination tatoué de numéros mortifères. Le numérique le plus actuel s’annonçait déjà, confirmé par la présence des premières machines IBM et de leurs réparateurs agréés dans les camps d’extermination nazis (cf. l’article de 2001 paru à l’occasion de la publication de l’essai d’Edwin Black IBM and the Holocaust).
Revenons maintenant au mauvais pseudonyme, celui de l’imposteur.
Le terme qu’utilise Heidegger pour désigner « l’imposteur » est Hochstapler, de Hoch, « haut » et Stapler « qui fait de grandes enjambées ». Le mot désigne aussi bien un escroc qu’un capitaine d’industrie et un flibustier. C’est une des caractéristiques de bien des mots composés avec Hoch (peut-être cela s’applique-t-il à beaucoup d’autres mots en allemand, je ne sais pas) d’avoir une double signification dont l’une est la version péjorative et presque antinomique de l’autre, un peu comme en français, par exemple, ce qui est « hautain » diffère de ce qui est « éminent ». Ainsi, selon le Grand Dictionnaire Allemand Français de Birmann, Hochbrüstig signifie qui a la poitrine bombée, et au figuré « fier », « altier », « dédaigneux » ; Hochfliegend, qui a un vol élevé (zool.) et au figuré « enthousiaste », « sublime », « ambitieux », « hautain » ; Hochklingend, « retentissant », « sonore », « ronflant », et au figuré « pompeux », « fastueux » ; Horchmuth désigne un « grand courage », des « sentiments élevés », aussi bien que la « hauteur », l’« orgueil », la « présomption », l’« arrogance », la « morgue »…
Le Dictionnaire des Grimm précise que Hochstapler désigne un escroc, gauner, « qui supplie (ou mendie) en se faisant passer pour un noble (ou un gentleman) » : « Gauner, der als ein vornehmer bettelt. » Et ils donnent comme exemple une anecdote policière (le terme relève du jargon policier, précisent-ils) : « La police berlinoise a démasqué un Hochstapler qui prétendait être un prince arménien expulsé de Russie. »
C’est d’autant plus notable que Heidegger prend aussi l’exemple, pour distinguer « erreur » et « fausseté », d’une arrestation policière :
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