Revenons à Heidegger dégrisé après sa démission du rectorat. Dans les Réflexions V, carnet noir contemporain des Beiträge – ils succèdent à la dernière note du 5 juillet 1936 portant sur « le masque », die Masque1 , et s’ouvrent sur la question du Dernier Dieu et de la « destruction de la Terre <die Zerstörung der Erde>» –, apparaît de note en note une réélaboration de la question du peuple, des Allemands, et de celle que nous appellerions en français, après Balzac, Baudelaire, Artaud, etc., « le Génie », et que Heidegger traite, lui, par des périphrases concentriques, principalement autour de la figure de Hölderlin : « celui qui tient bon », « le cœur le plus solitaire », « ceux en petit nombre », « Parole de penseur, verbe de poète », « les grands tentateurs », « la grandeur », etc.…
Je vais vite pour donner quelques indications de ce qui se met en place chez Heidegger au moment où il traverse une crise de sa propre pensée – déjà bien avant le rectorat, il parle du « fiasco » (der Mißerfolg, « suite fâcheuse ») d’Être et Temps, dont la renommée n’a servi qu’à susciter, écrit-il, une « aberrante abondance de parlotte <abwegiges Gerede ; Abweg : « faux chemin », « égarement », « fourvoiement »>2 – qui est aussi une crise du rapport entre sa pensée et son propre peuple, bien résumée par la question du cahier Réflexions III3:
« Qui sommes-nous, issus de qui ».
Cette « crise », il la résume en un schéma juste après sa démission, où il met en croix (en quatre) « la loi qui m’est propre », « l’obéissance vis-à-vis d’un ministre », « la responsabilité devant l’histoire », et comme quatrième terme, un point d’interrogation.
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