AVERTISSEMENT
La dernière séance en date du Séminaire : D’une imposture philosophico-cybernétique (Les robots contre Heidegger 2/3), 37è séance, 3 mars 2022, vient d’être censurée par YouTube à cause d’un commentaire que j’y faisais pour illustrer une citation de Sérénité de Heidegger :
"Durant l'été de cette année 1955, un colloque international a réuni à nouveau à Lindau les titulaires du prix Nobel. À cette occasion le chimiste américain Stanley observa: «L'heure est proche où la vie se trouvera placée entre les mains des chimistes, qui feront, déferont ou modifieront à leur gré la substance vivante.» On prend connaissance d'une pareille déclaration, on admire même l'audace des recherches scientifiques et on s'en tient là. On ne considère pas que ce que les moyens de la technique nous préparent, c'est une agression contre la vie et contre l'être même de l'homme et qu'au regard de cette agression l'explosion d'une bombe à hydrogène ne signifie pas grand-chose.”
Mon commentaire est disponible ici
L’information du Pr Raoult que j’évoque lors de ce commentaire est ici
La séance 37 sans mon commentaire (pour ne pas être recensurée ) est à nouveau en ligne ici.
Pour le dire encore autrement, le parti herméneutique de Spinoza peut être comparé au vieux conflit entre les Modernes (les Philosophes euclidiens et cartésiens) et les Anciens (Maïmonide et les Pharisiens et leurs superstitions de vieilles femmes). Il n’est bien sûr pas réductible qu’à cela, mais il est aussi cela.
Ainsi commence-t-il le TTP par des propos dédaigneux – qu’il serait difficile de ne pas qualifier d’antisémites s’ils avaient été rédigés par un non-juif – contre la puérile manière dont « les Juifs », qu’il assimile à la fois aux Hébreux antiques et aux auteurs de la Bible, comprennent le principe de causalité :
« Les Juifs ne mentionnent jamais les causes immédiates ni particulières, mais s’en désintéressent et reportent toujours tout à Dieu par ferveur religieuse, ou, comme on dit vulgairement, par dévote pratique. Supposons que quelque affaire leur ait été pécuniairement avantageuse, ils disent que Dieu leur a apporté de l’argent. S’il leur arrive de désirer un bien quelconque, ils disent que Dieu y a disposé leur cœur et, s’il leur vient une pensée, ils disent que Dieu a parlé en eux. Il ne faudrait donc pas se mettre en tête, chaque fois qu’on lit dans l’Écriture: Dieu a parlé, que le texte enregistre une prophétie ou connaissance surnaturelle. On réservera cette signification aux passages, où l’Écriture soit affirme en propres termes, soit fait ressortir des circonstances du récit qu’une prophétie, ou révélation, a véritablement eu lieu. »1
Ailleurs encore, les anciens Hébreux, que Spinoza nomme indifféremment « les Juifs », semblent sous sa plume n’être que de doux abrutis dotés d’une cervelle de moineau, autant dire d’enfants au sens péjoratif qu’il donne à ce mot...
« En somme, chaque fois que les Juifs voulaient mentionner un fait qui dépassait leur compréhension et dont les causes étaient ignorées à cette époque, ils le rapportaient à Dieu. Ainsi, l’orage était la Violence de Dieu, le tonnerre et la foudre les Flèches de Dieu. Les Juifs, en effet, pensaient que Dieu tenait les vents enfermés dans des cavernes, appelé la chambre forte de Dieu. Sur ce point ils se séparaient des païens, en ce qu’ils faisaient de Dieu et non d’Éole le maître des vents. Pour la même raison, les miracles étaient appelés Œuvres de Dieu, c’est-à-dire actions stupéfiantes. »2
Qu’on se le dise : Les Modernes ont toujours tort. Ils s’imaginent être supérieurs aux Anciens par la seule raison qu’ils viennent après (selon une conception sommaire, et elle-même moderne, du Temps), alors que les Anciens savent que nul n’invente sans puiser sa force d’innovation dans les plus antiques et au fond neuves pensées.
C’est ainsi que tout ce qu’avait prédit le Moderne Perrault s’effondra (il affirmait que son ami Philippe Quinault serait un jour reconnu par le monde entier comme le plus grand poète lyrique de tous les temps, que l'Iliade et l'Odyssée seraient oubliées par les générations futures et remplacées dans l'estime du public par les épopées chrétiennes comme La Pucelle de Jean Chapelain, Charlemagne de Le Laboureur, Clovis de Saint-Sorlin et Saint Paulin de Perrault lui-même…) alors que « la postérité donna raison à Boileau, car toutes ses prédictions se sont accomplies : on continue d'admirer Homère et Virgile, et les auteurs du XVIIe siècle qui sont célébrés de nos jours sont ceux que Boileau considérait comme des génies : Pascal et Descartes pour la philosophie, Molière pour la comédie, Corneille et Racine pour la tragédie ».3
Qu’on n’aille pas penser que ces vieilles querelles ne sont plus d’actualité. Les GAFAM, par exemple, rejouent sur un mode majeur ce conflit vieux comme le monde, et les Modernes semblent en passe, pour une fois, de triompher, par ce subterfuge auquel nul n’avait encore songé qui consiste à faire mat aux Anciens en renversant tout l’échiquier en vue de le briser en mille morceaux. En effet, la seule manière pour les Modernes d’avoir enfin raison consiste à abolir toute possibilité concrète non seulement de se souvenir des Anciens, mais de deviner qu’il y ait jamais eu des Anciens (c’est aussi cela « la haine du Temps et son il était »), ce qui ne peut s’accomplir qu’à condition d’entraver tout accès à leur lecture. Or pour abolir l’accès à la lecture, plutôt que d’interdire les livres (méthode imparfaite et obsolète, qui suscitera toujours sa transgression), il suffit de faire écran dès la naissance entre l’enfant et la parole…
Il y a ainsi un arrière-goût de trivialité et presque d’ineptie parfois dans l’argumentation de Spinoza, qui juge tout à l’aune de la lumière naturelle :
« Tout ce que nous connaissons de façon claire et distincte nous vient sous la pression de l’idée de la nature de Dieu – à la faveur sans doute non de paroles, mais d’une communication infiniment plus haute et fort bien accordée à la nature de notre esprit; quiconque a goûté la pleine certitude intellectuelle sait à quoi s’en tenir là-dessus. »
Pour prendre un autre exemple de la candeur de Spinoza, imaginez qu’au nom de la logique et de la lumière naturelle, on rature le vers de Baudelaire dans Bénédiction où la femme du poète invoque sa « frêle et forte main » (« Alors je poserai sur lui ma frêle et forte main… »). Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée, dit le lecteur philosophe qui ignore tout du chat de Schrödinger, et qu’une main soit frêle ou forte…
Ça semble une boutade, mais c’est ce genre d’arguments débilement rationnels dont usa Faurisson pour contester le génie de Lautréamont (il n’y a pas de « chemin dans les marécages ») avant de se passionner pour l’inexistence des chambres à gaz…
Or la Bible est émaillée de ces passages « hiéroglyphiques» que Spinoza déplore ne pouvoir lire comme autant d’équations d’Euclide, selon leur seul sens obvie, celui fourni par la lumière naturelle.
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