"Le juif est comme une femme" : Figure du Yahoud dans l'imaginaire musulman
De l'antisionisme 4, 44ème séance, 29 septembre 2022
La séance d’aujourd’hui s’intitule : « Le Juif est comme une femme » (ou « comme une femelle », selon les traductions, en arabe El yahoud kif el mra) : figure du Yahoud dans l’imaginaire musulman. Il y sera question de ce que l’écrivain d’origine juive égyptienne Bat Ye’or a nommé la dhimmitude, néologisme formé sur le mot arabe « dhimmi » selon le modèle de la « négritude » de Césaire.
<<MONTRER LES ESSAIS QUI TRAITENT DE LA DHIMMITUDE : BENSOUSSAN, LEWIS, BAT-YEOR , WEINSTOCK>
Mais en préambule de cette nouvelle séance du nouveau cycle sur l’Antisionisme, je voudrais revenir sur le sens de mon Séminaire, pour faire comprendre en quoi ma réflexion sur l’Antisionisme s’y inscrit intégralement.
Car si l’intitulé général de mon Séminaire est la Gestion Génocidaire du Globe, la série de séances sur l’antisionisme entreprise depuis le mois de mai dernier ne doit nullement être conçue à part de ce vaste ensemble auquel je me consacre depuis maintenant près de deux ans – mais en réalité sur quoi j’écris et donc médite (écrire et penser sont une seule et même chose pour moi) au fond depuis trente-cinq ans :
L’avenir du souvenir, Essai sur le nombre et la mort, un de mes tout premiers textes, écrit à 25 ans (1988, je n’avais pas lu une ligne de Heidegger ni de Debord), était une méditation sur le rapport entre le calcul et le massacre par le truchement de l’analyse herméneutique d’un passage du second livre de Samuel où il est question de la colère de Dieu déclenchée par le dénombrement du peuple d’Israël ordonné par le roi David à la veille de sa mort.
Cette étude1, refusée par toutes les revues auxquelles je l’envoyai alors par la poste, et qui ne parut dans mon recueil Fini de rire que quinze ans plus tard, commence ainsi après une dédicace à mon grand-père maternel et ma tante paternelle déportés à Auschwitz, et une citation de Mallarmé tirée du Coup de dés sur le nombre, l’agonie et le chiffre:
« On ne saurait imaginer meilleur moyen de méconnaître les thèses révisionnistes qu’en se plaçant sur le terrain de leurs idéologues, en leur disputant l’exactitude d’un calcul lugubre, en reprenant la litanie d’un inventaire infâme, en philosophant sur les droits de l’historien sans songer à ses devoirs, bref en se laissant prendre aux rets de leur délire, dans la recension frénétique des preuves et des dossiers en vue d’une illusoire et surtout perverse négation de leur négation.
Pour le poisson, il n’y a pas d’eau. Il ne connaît que l’air, son ‘‘air’’, et on ne lui a point démontré l’existence de l’eau pour l’avoir sorti de son aquarium et laissé éprouver ses propres tressaillements et battements d’ouïes convulsifs.
En revanche, il n’est pas impossible d’essayer d’examiner ce qui fait, au fond, la nature d’un calcul, d’un nombre, d’un massacre, ni d’étudier ce qui relie l’ensemble et toucher, en conséquence, le cœur de la fascination antisémite, celle des nazis naguère, celle des révisionnistes aujourd’hui, pour ces êtres promis dans la Bible à la multiplication infinie, ‘‘comme les étoiles des cieux et comme le sable qui est sur le rivage de la mer’’.
Point de meilleur guide, non plus, que la littérature de ce peuple sans nombre, Bible, Talmud, Midrach, Zohar et gloses diverses. »
Ce texte avait été également refusé par le comité de lecture des Temps Modernes sous prétexte, m’avait formellement dit au téléphone Claude Lanzmann, que « la Bible n’est pas leur tasse de thé ». Lanzmann avait été suffisamment désolé (il était de ceux qui avait « démocratiquement » soutenu mon texte) pour que Les Temps Modernes publient quelques mois après un nouveau texte de moi consacré à la temporalité dans Le Château de Kafka, écrit à 26 ans2…
On peut le lire en ligne et constater comme j’étais espiègle et impertinent, à 26 ans, puisque cette nouvelle étude remarquable (au sens propre) que les Temps modernes ne pouvaient pas décemment refuser après avoir rejeté mon long travail de pensée juive, débutait par un développement sur la Bible et le Talmud…
Je vous raconte un peu ma vie. Ma vie et ma pensée ne font qu’un. Les êtres dont la vie et la pensée ne font qu’un sont en voie de disparition. Peut-être, d’ailleurs, lorsque se clôturera ce cycle sur l’antisionisme, inaugurerai-je un nouveau cycle intitulé « Histoire de ma pensée » sur le modèle de l’Histoire de ma vie de Casanova…
Ce que je raconte depuis trois séances sur l’antisionisme n’est donc pas dissociable de ma méditation sur la Gestion Génocidaire du Globe, et pas davantage ne le sera la dhimmitude dont je vais traiter aujourd’hui.
Je vais poursuivre aujourd’hui mon recours aux nombreuses sources écrites de la conflictualité. De même que nous nous sommes penchés sur Mahomet et l’émergence de l’islam la dernière fois, je vais traiter aujourd’hui du statut et de la condition des Juifs dans les pays musulmans bien antérieurement au sionisme – sans pour autant en dissocier les proclamations ou les événements de l’actualité antisioniste la plus récente.
J’ai déjà beaucoup expliqué ce que j’entendais par « Gestion Génocidaire du Globe ». L’actualité de ces deux dernières années, qui tourne chaque jour davantage à la démence la plus crue, semble chaque jour davantage me dispenser d’expliciter l’extension et les applications d’une expression inaugurée en 2006, lors de la rédaction de mon essai consacré à Guy Debord, Debord ou la diffraction du Temps.
Je me suis souvenu récemment que ce pessimisme concernant le dément cours du monde – cette universelle folie suicidaire à laquelle mon roman Chaos brûlant était encore consacré explicitement en 2012 –, pessimisme principalement fondé sur ma lecture de trois génies du XXème siècle (Heidegger, Artaud, Debord) s’était exprimé quelques années déjà auparavant par une sorte de prophétisation insue du Great Reset en train de nous dévaler aujourd’hui brutalement sur la citrouille.
Pour ma part, j’ai appelé ça l’« Abîme du Grand Rien » ; c’était dans mon roman Les intérêts du temps, paru en 1996, où j’écrivais, au chapitre intitulé Avril à Paris (pages 250 et 251) :
« Rien n'arrête le progrès. Le progrès est programmé pour ne pas s'arrêter avant d'avoir jeté l'humanité dans l'abîme du Grand Rien.
Un débat fait rage à Washington entre des scientifiques et des théologiens concernant la recherche génétique. Il s'agit de savoir si les nouvelles formes de vie créées en laboratoire peuvent ou doivent être brevetées. Comme d'habitude, le reportage n'aboutit qu'au constat, évident, que le débat a lieu dans le vide démocratico-rhétorique puisque les laborantins et les financiers ont d'emblée tout décidé, tout éprouvé, tout manipulé, tout conclu. Si l'on en parle, c'est que tout est d'ores et déjà accompli. ‘‘Whose life is it anyway ?’’ demande Connie Chung pour introduire le reportage.
‘‘Depuis six ans, les chercheurs de la Société Genzyme (Massachusetts) tentent de nouvelles méthodes de manipulation des gènes humains afin de trouver une cure à la mucoviscidose, l'une des maladies génétiques les plus mortelles.’’
Alan Smith, Genzyme Corporation : ‘‘D'ici la fin de l'année prochaine, nous aurons dépensé 400 millions de dollars. – Et vous n'avez toujours pas de remède, demande le reporter Richard Threlkeld. – Au point où nous en sommes, nous n'avons aucun médicament qui marche.’’
Le reporter: ‘‘S'ils ont pu financer cela, c'est parce que les investisseurs savent que Genzyme fera breveter un remède, si elle en trouve un, et qu'ils peuvent devenir de fait propriétaire du gène lui-même. Grâce à la recherche génétique humaine, la biotechnologie a mis au point des traitements qui ont sauvé des milliers de vies. Et elle cherche des remèdes non seulement pour la mucoviscidose, mais aussi pour l'épilepsie et certains cancers. Le gouvernement a autorisé les chercheurs à faire breveter leurs découvertes, mais cette politique est critiquée par ceux qui pensent que déposer des brevets sur la vie produit une richesse contraire à la loi de Dieu (wealth ungodly). Aujourd'hui, à Washington, une coalition de dirigeants de 80 organisations religieuses ont annoncé leur opposition au brevetage des gènes humains et des animaux manipulés génétiquement.’’
Le rabbin David Saperstein: ‘‘La vie, en ses éléments structuraux, est entre les mains de Dieu, elle n'appartient pas aux sociétés (corporations) qui cherchent à s'enrichir.’’
Lisa Raines, Genzyme Corporation : ‘‘Nous n'essayons pas de breveter ce que Dieu a fait. Nous prenons les matériaux que Dieu nous a donnés, comme le font tous les chercheurs, et on en fait quelque chose de nouveau et d'utile (new and useful) qui n'existait pas auparavant.’’
L'évêque de Louisiane, William Friend, conseiller du Vatican en biotechnologie : ‘‘Nous pourrions aussi bien être revenus à l'époque de l'Allemagne nazie, où le processus de sélection naturelle était mis de côté (set aside natural selection process)... – Pour créer un nouvel être humain ? (to engineer a human being) demande le reporter. – Oui, un être humain parfait, un enfant sur mesure (the designer child)’’, répond le prêtre.
Threlkeld: ‘‘Les chercheurs sont tout aussi préoccupés de l'éthique de ce nouveau domaine que le clergé. Mais sans brevet, disent-ils, pas de recherches !’’
Lisa Raines: ‘‘Nous ne nous prenons pas pour Dieu, mais pour des médecins (We're not playing God, we're playing Doctor !), et nous pensons pouvoir alléger les souffrances grâce à cette technologie. Or nous ne pouvons financer de nouveaux traitements médicaux que si les investisseurs peuvent espérer récupérer leur mise un jour.’’
Conclusion de Connie Chung (qui va se faire virer de CBS le lendemain à cause de la baisse d'audience, prononçant ainsi à son insu ses dernières paroles à l'écran): « Le Congrès va devoir se prononcer sur cette question. Que décidera-t-il ? Dieu seul le sait (Heaven only knows)... »
Par curiosité, j’ai voulu voir ce qu’était devenue cette Lisa Raines de Genzyme Corporation (entreprise rachetée depuis par Sanofi), dont je notais alors consciencieusement les propos précurseurs du Great Reset (« Nous ne nous prenons pas pour Dieu, mais pour des médecins (We're not playing God, we're playing Doctor!), et nous pensons pouvoir alléger les souffrances grâce à cette technologie. ») ; j’appris avec étonnement qu’elle était morte lors des attentats du 11 septembre 2001, elle était dans l’avion qui s’est écrasé sur le Pentagone !
Comme quoi il y a une sorte de réseau fatal et logique où tout s’attire et se tient dans le petit monde étriqué du nihilisme universel…
Je raconte cela en préambule, parce que c’est précisément lorsque tout s’emballe à l’œil nu en une effarante ruée vers l’abîme qu’il s’agit de garder son sang-froid, notamment en s’efforçant de continuer de penser depuis les entrailles du Temps. Et ce qui offre un accès aux entrailles du Temps, je ne me lasserai jamais de le redire, ce sont toujours les vieux textes – ceux-là même où se réfugie la chose-mot à quoi tout aujourd’hui attente.
L’antisionisme participe de la GGG à sa manière – modeste en efficacité pratique, heureusement, mais médiatiquement boursoufflée – ne serait-ce que par la confusion qu’il entretient tout à fait sciemment, depuis toujours et avec grand succès, autour de la notion même d’« holocauste » et de « génocide » (CF. SONDAGE EN ALLEMAGNE CI-CONTRE)
REMERCIER STEFAN THIBEAU DE CETTE VIDÉO <PASSAGE SUR LE CHÈQUE >
Godard déclare au caméraman :
« Tu nous fais un chèque de la télévision allemande qui est financée par les Sionistes et par ce connard de social-démocrate, Willy Brandt, et ça nous permettra d’acheter des armes pour les Palestiniens pour attaquer les Sionistes… ».
Ainsi l’antisionisme se rattache-t-il à bien d’autres dynamiques de ravage, à une tout autre échelle, bien sûr, comme le capitalisme néo-libéral, le transhumanisme davosien, le gafamisme californien, la politique twittérisée, la bio-politique sanitaire, la cybernétique universelle… et d’une manière générale, en son essence proprement métaphysique, tout ce qui contribue depuis si longtemps à la dévalorisation et à la déliquescence de la chose-mot…
J’ai décidé d’employer désormais cette expression de chose-mot, calquée sur la notion primordiale de davar en hébreu (je vous renvoie aux diverses séances du Séminaire où j’ai longuement parlé du davar, que je rendais alors par « parole-chose ») plutôt que des expressions apparentées comme « Parole », « Verbe », « Langage », voire même « Pensée »… parce que dans mon esprit l’expression « chose-mot » renvoie à deux notions heideggérienne importantes, qui sont das Wort et das Ding, « le Mot » et « la Chose », lesquels subissent aujourd’hui plus que jamais les attaques du nihilisme contemporain (par une déliquescence de la Chose comme du Mot spectaculairement réduits au statut de marchandise spectaculaire).
Heidegger rapporte d’ailleurs explicitement le Mot et la Chose l’un à l’autre dans ce passage de sa conférence du 11 mai 1958 à Vienne, publiée dans Acheminement vers la parole sous le titre « Le mot »3:
« Le mot est ce qui amène une chose à être chose (das Wort be-dingt das Ding zum Ding). Nous aimerions nommer ce règne du mot: die Bedingnis. Ce vieux mot a disparu de notre usage, Goethe le connaît encore. Bedingnis, dans le présent contexte, dit toutefois autre chose que Bedingung, la condition – ainsi que Goethe lui-même entend encore die Bedingnis. La condition est, pour quelque chose d'étant, ce qui est son fondement (der seiende Grund). La condition donne le fondement et fonde. Elle satisfait au principe de raison (Satz vom Grund). Mais le mot ne donne pas le fondement de la chose. Le mot laisse venir en présence la chose comme chose. Ce laisser, qu'il reçoive le nom de die Bedingnis. »
On constate comme on ici largement à plus haute altitude qu’avec la phrase éculée de Camus sur le « mal-nommer » et le « malheur du monde », que chacun croit connaître et cite à tire-larigot dans tous les contextes imaginables.
Camus en réalité a écrit : « Mal nommer un objet, c'est ajouter au malheur de ce monde ». C’était dans un compte-rendu datant de 1944 consacré au philosophe Brice Parain, dont la particularité, explique Camus dans son texte, consiste à faire « du langage une question métaphysique ». Tout l’article de Camus, consacré aux deux ouvrages de Parain parus en 1942, Recherches sur la nature et les fonctions du langage et Essai sur le logos platonicien, tournent autour de la question du mensonge et de la vérité, avec des accents parfois qui, sans jamais le citer – peut-être ne l’avait-il alors pas lu… –, ne peuvent manquer de faire songer, en une version ad usum delphini, à la réflexion de Heidegger :
« Car la pensée profonde de Parain », écrit Camus, « est qu'il suffit que le langage soit privé de sens pour que tout le soit et que le monde devienne absurde. Nous ne connaissons que par les mots. Leur inefficacité démontrée, c'est notre aveuglement définitif. ».
Pourtant la pensée heideggérienne du mot et de la chose dit encore autre chose, qui va nous ramener à notre réflexion sur la GGG et sur l’antisionisme, c’est-à-dire, au fond, sur la Destruction en cours. Heidegger écrit en 1958, dans cette même conférence intitulée initialement « Poésie et pensée. À propos du poème Le Mot de Stefan George »:
« Ce qui est renversant est que le joyau disparaisse au moment où le mot fait défaut. Ainsi, c'est bien le mot, et lui seul, qui tient le joyau en présence, qui même va le chercher pour l'y tenir, l'y amène et le prend là en garde. Subitement, le mot donne à voir un autre, un plus haut règne. Il n'est plus seulement une simple prise, un instrument pour donner un nom à quelque chose qui est là, déjà représenté; il n'est pas seulement un moyen pour exhiber ce qui se présente tout seul. Tout au contraire: c'est le mot seul qui accorde la venue en présence, c'est-à-dire l'être – en quoi quelque chose peut faire apparition comme étant. »4
(À suivre)
P. 218 de la traduction française.
Ibid. p.212