"Le juif est comme une femme" : Figure du Yahoud dans l'imaginaire musulman (4)
De l'antisionisme 4, 44ème séance, 29 septembre 2022
Du massacre au massacre – des Juifs de Khaybar aux athlètes de Munich en 1972 – en passant par le mépris (quatorze siècles de dhimmitude), une cohérence herméneutique reste à construire. Je vous épargne le détail de la longue liste des massacres de Juifs en terre d’Islam (sans même parler des expulsions, persécutions diverses et meurtres quotidiens pour un oui ou un non), que certains ont eu la patience de composer1, elle est édifiante. Cela va de la victoire de Mahomet à Brad en 624 jusqu’à l’attentat contre la synagogue de Bagdad en 1951, en passant par la prise de Rei en 643, les meurtres de centaines de Juifs en Espagne andalouse en 1010, le massacre de 6000 Juifs à Fez en 1033, puis en 1100, puis en 1146 à Tlemcen, en 1200 en Afrique du Nord par les Almohades, en 1232 à Marrakech, en 1465 au Maroc sous la dynastie des Mérinides, en 1492 à Touat au Maroc, en 1700 au Yémen, en 1790 à Tétouan, en 1805 à Alger, en 1828 à Bagdad, en 1830 à Tabriz (Perse), en 1839 puis en 1848 à Meshed (Perse), en 1840 à Damas, en 1854 à Demnate (Maroc), en 1867 à Barfurush (Perse), à Casablanca en 1907, à Séfrou et Mekhnès en 1911, en 1912 à Fez, en 1921 en Palestine, en 1929 à Hébron (70 morts), en 1934 à Constantine (en Algérie : « plus d'une trentaine de juifs sont massacrés par les Arabes. Femmes enceintes éventrées, seins coupés, enfants égorgés. »), en 1941 lors du Farhoud d’Irak (200 morts, 2 000 blessés, 1 200 maisons pillées), en 1948 à Oujda et Jerada (Maroc), etc., etc., etc.
Nathan Weinstock a rapporté quelques descriptions du pogrom de Hébron en 1929, d’une telle sauvagerie qu’elle ne peut pas ne pas donner à penser :
« Un incident va mettre le feu aux poudres. Le Mufti dénonce l'installation d'un paravent devant le Mur du Temple, dit ‘‘Mur des Lamentations’’, qu'il affecte de considérer comme une atteinte aux Lieux Saints musulmans. Les esprits s'échauffent. Le 23 août 1929, une foule de musulmans se lance à l'assaut des quartiers juifs, dont celui des Juifs orthodoxes du quartier de Mea Chearim. Selon un rapport du Consulat français, ‘‘ce furent des scènes de carnage, les Arabes égorgeaient ou lapidaient ce qui se trouvait devant eux sans pitié pour les femmes et les enfants’’. Le lendemain à Hébron, c'est un massacre : 67 Juifs tués, dont 12 femmes et 3 enfants. La barbarie laisse l'observateur sans voix : ‘‘Parmi tués, écervelés, égorgés par nuque, par face, enlevé testicules d'un rabbin et brûlé, deux mains gauches de femmes. Un paralytique tué et enlevé les yeux, violé sa fille et coupé les seins. Un boulanger lié pieds et mains allumé un primus et mis sa tête sur le réchaud. Une dame (Mme Sokolof) on l'a assise et sur elle-même égorgé six élèves de la Yechiva. Un instituteur de Tel-Aviv tué et gorge dépecée, un beau père fils du rabbin faisait sa prière on l'a scalpé et ôté cervelle, belle mère coupé le ventre et retiré les intestins. Des Juifs de Portugal apporté à Hébron rouleau de la loi d'Espagne très ancien, brûlé cette relique (le sephardim pleure à ce souvenir)’’. Deux jours plus tard, c'est le tour de Safed : les quartiers juifs sont incendiés, leurs habitants assassinés dans des circonstances affreuses. De tels débordements dantesques de bestialité, qui frappent surtout – rappelons-le – les membres du vieux Yichouv, c'est-à-dire des Juifs autochtones installés dans ces villes à population mixte depuis des générations (et qui, du reste, sont majoritairement hostiles au sionisme, ce que nul n'ignore), ne peuvent s'expliquer par la référence usuelle aux ‘‘sentiments anti-impérialistes’’. D'autant que la foule ne songe même pas à s'en prendre aux Britanniques. Ce qui se donne à voir ici, c'est la cristallisation de la haine séculaire du dhimmi qui emprunte des formes redoutables dès que ce dernier fait mine de secouer son joug.»2
Mon intuition, je le révèle d’emblée, c’est que le fond de cette humeur massacrante – qui ne s’est évidemment pas portée exclusivement sur les Juifs au cours de l’histoire, mais dont les Juifs sont, significativement, et jusqu’à la résistance auto-défensive des premiers sionistes, les victimes les plus innocentes, les plus dociles, n’appartenant ni à une tribu adverse ni à un empire rival –, le fond de l’histoire est celui d’une jouissance morbide éprouvée par ressentiment d’un interdit de jouir. J’ai déjà parlé de la jouissance contrecarrée à propos de la Nakba, puis de l’antisioniste Juju Lourdingue engorgé d’une rage revancharde après avoir visité Israël et y avoir été, à son corps défendant, heureux le temps d’une soirée.
Cette inextricable jouissance morbide – qui se révèle aussi aujourd'hui sur les réseaux sociaux dans l’exhibition propagandesque de tant de photos de cadavres –, si différente des lois usuelles de la guerre (il faut lire Lawrence pour constater comme les Arabes étaient horrifiés par la barbarie gratuite des Turcs), on en a une dérangeante image, en dehors du contexte de la dhimmitude, dans un film de 1976 de la militante pro-palestinienne libanaise Jocelyne Saab, consacré aux « Enfants de la guerre ». On y voit des enfants libanais jouer à mimer l’atroce guerre des adultes qui déchire alors le Liban entre Musulmans et Chrétiens.
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