"Le juif est comme une femme" : Figure du Yahoud dans l'imaginaire musulman (2)
De l'antisionisme 4, 44ème séance, 29 septembre 2022
Le dhimmi désigne le statut juridique et coutumier dégradé et méprisé du monothéiste non musulman en terre conquise par l’islam. Ce n’est pas l’Autre, ni l’Étranger (tel le Guer dans le judaïsme), mais l’Inférieur, celui qui n’a pas su admettre l’évidente Vérité du message du Prophète, et qui en a même trahi la droiture divine par ses propres textes.
Ce reproche s’adresse principalement au Juif, qui incarna pendant quinze siècles dans l’imaginaire musulman l’archétype du dhimmi, « pétri de subordination et de dévalorisation » comme l’a résumé Nathan Weinstock1, démontrant dans son petit livre l’absence de solution de continuité entre dhimmitude séculaire et antisionisme moderne, du XIXème siècle jusqu’à 2004, date de la rédaction de son essai, soit au moment où brillait un ultime espoir de paix israélo-palestinienne suscité par le retrait unilatéral des Israéliens et des implantations juives de la bande de Gaza en 2005.
La dhimmitude se réfère donc au statut des Juifs dans les pays musulmans du VIIIème siècle au XXème , bien antérieurement au sionisme donc, et jusqu’à l’exil forcé (et l’expulsion formelle en Égypte) et définitif dans les années 60 de près d’un million de Juifs des pays arabes, où certaines communautés vivaient pourtant antérieurement à l’islam.
Le principe de la dhimma était que le dhimmi conservait, en l’échange d’une contrepartie financière (une double imposition, taxe foncière et capitation) le droit de vivre parmi les musulmans de manière au mieux humble et soumise, et en réalité souvent dégradée et même misérable pour les Juifs, mais sans obligation de se convertir, à la différence des païens vaincus qui n’eurent au cours des vastes conquêtes arabes et ottomanes le choix qu’entre la conversion et la mise à mort.
Comme l’antisionisme occidental est l’enfant naturel du nazisme et du soviétisme (je le montrerai lors de la prochaine séance), l’antisionisme arabe – au sens d’une intransigeance suicidaire concernant la présence de Juifs autonomes où que ce soit sur la terre intrinsèquement musulmane de Palestine – est l’enfant naturel de la dhimmitude.
C’est ainsi bien avant l’idée même du sionisme que la présence juive est considérée comme préjudiciable aux musulmans :
« Dans les années 1840 déjà », rapporte Georges Bensoussan, « le sultan Moulay Abd el-Rahman avait interdit les départs vers la Terre sainte parce que cela entrainerait une baisse des rentrées fiscales (le paiement de la dzijya) d'une part, et que cela causerait d'autre part du tort aux musulmans de Palestine. »2
Et vingt ans après la création de l’État d’Israël, c’est encore à la dhimmitude que le discours antisioniste musulman se réfère explicitement :
«En 1968 encore, la 4è conférence de l'Académie des recherches islamiques, tenue au Caire, à l'université al-Azhar, réaffirme que les Juifs sont ‘‘obligatoirement un peuple dhimmi, mais qu'ayant violé la convention qui les liait et rompu leurs engagements, comment pouvons-nous dans ces conditions maintenir notre obligation de les protéger?’’»3
La précédente séance, en juillet, s’était achevée sur ce que j’ai qualifié d’humeur massacrante de Mahomet à l’égard des Juifs de Médine et de Khaybar. Ces fameux massacres originels auxquels encore aujourd’hui il est fait allusion par des slogans, en arabe en général, lors des manifestations anti-israéliennes,
jamais réprouvés ni par la théologie musulmane, ni par la culture arabe, ni par les antisionistes occidentaux – j’ai longuement montré la dernière fois comment Rodinson en venait à les justifier intellectuellement, politiquement et névrotiquement –, ces premiers massacres de Juifs sont d’autant moins anecdotiques dans l’établissement symbolique et théologico-politique de l’islam, qu’ils ne cesseront plus, sporadiquement, du VIIème siècle jusqu’aux années 1950 au Moyen-Orient, pour se perpétuer en Occident, avec le massacre des athlètes israéliens aux JO de Munich en 1972 (dont les cadavres seront significativement profanés, l’un des athlètes étant castré par les terroristes du Fatah), les tueries sauvages de Juifs parfaitement inoffensifs comme à Paris en 1982 au restaurant Goldenberg de la rue des Rosiers et jusqu’à Toulouse en 2012 par Merah – à qui la mère enseignait que « les Arabes étaient nés pour détester les Juifs »…
Il faut comprendre la raison de cette transmission d’humeur massacrante, pour comprendre dans la foulée l’invraisemblable front du refus arabe opposé d’emblée à toute entente avec le sionisme, du début du XXème siècle jusqu’à aujourd’hui. Cela permet de comprendre aussi le suicidaire bousillage par les dirigeants palestiniens de toutes les chances de faire la paix et surtout de disposer un jour de leur État. Comme disait le célèbre diplomate israélien Abba Eban : « The Arabs never miss an opportunity to miss an opportunity.»
Uns des plus patentes illustrations du « refus arabe », dont les conséquences se font sentir jusqu’à aujourd’hui en « Palestine », est le congrès de Khartoum du 1er septembre 1967, et des « trois non » de la Ligue arabe (l'Égypte, la Syrie, la Jordanie, le Liban, l'Irak, le Maroc, l'Algérie, le Koweit, et le Soudan) après la guerre des 6 jours et la conquête de la Cisjordanie par Israël : “Non à la paix avec Israël.” “Non à la reconnaissance d'Israël.” “Non à la négociation avec Israël.”
Il semblerait pourtant que tout cela soit en passe de se métamorphoser depuis les récents Accords d’Abraham, qui semblent remettre en question cette fatalité <photo du ministre des Affaires Étrangères des Etats Arabes Unis à Yad Vashem (cf. tweet ci-dessus)>, même s’il s’agit de ne pas se montrer trop naïf, et envisager le rôle des intérêts économiques, industriels, militaires et théologiques (sunnisme contre shiisme) qui jouent un rôle majeur dans ces accords de paix, ainsi que le fait que les monarchies pétrolières et le Maroc ne sont pas directement concernés par les disputes territoriales au Moyen Orient. L’Iran et l’Algérie non plus, ceci dit…
Le massacre des Juifs de Médine et de Khaybar, donc, loin d’être anecdotiques – massacre des Juifs désarmés, confiants, et déjà soumis par Mahomet –, fut une source majeure de l’imperium musulman.
Les Juifs ont servi cet imperium musulman en persistant dans leur possibilité d’être massacrés. Les millions de païens convertis de force ou tués lors des conquêtes arabes n’étaient plus là – en tant que païens – pour témoigner par leur altérité polythéiste de la suprématie massacrante de l’Islam. C’est la raison pour laquelle Ahmed Ben Bella, premier président de la république d’Algérie après l’indépendance, déclara en 19824:
« Israël est un véritable cancer greffé sur le monde arabe… Ce que nous voulons nous autres Arabes, c’est être et nous ne pouvons être que si l’autre n’est pas… Un jour ou l’autre (les Arabes) auront la bombe atomique, et c’est inévitable… »
Accueillir l’altérité comme telle ne peut se faire qu’à la condition d’être dans un rapport questionnant – non dogmatique – au monde (le guer tochav dans le judaïsme). Or, à l’inverse de cette relation complexe entre soi et l’autre, de même que selon la théologie catholique les Juifs sont par leur millénaire déréliction les témoins perpétuels de la gloire du Christ qu’ils ont crucifié, ils sont aussi, par la dhimmitude, les témoins méprisables et tourmentables à merci de la gloire de Mahomet qu’ils ont ridiculisé et nargué de son vivant.
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