"Le juif est comme une femme" : Figure du Yahoud dans l'imaginaire musulman (3)
De l'antisionisme 4, 44ème séance, 29 septembre 2022
Les dhimmis (juifs d’abord après Khaybar, puis chrétiens, mais aussi au fur et à mesure des conquêtes musulmanes les Zoroastriens, Samaritains, etc.) sont soumis à un double impôt qui constitua vite une véritable oppression fiscale, source non négligeable d’enrichissement parfois pour les sultans et les caïds :
Le kharadj, attaché aux terres, et la djizya, capitation (impôt per capita, « par tête », individuel).
Le kharadj est un impôt foncier, plus lourd que la dîme due par les propriétaires musulmans, que Bat Ye’or présente ainsi :
« Kharadj : expropriation du dhimmi. La terre conquise appartenant à la communauté musulmane, le dhimmi, pour conserver le droit d'exploiter sa terre, devait payer une taxe à l'État. Le kharadj est l'impôt attaché aux terres dhimmi ; il exprime le droit de l'ummah sur les terres des autochtones non musulmans. Le kharadj transformait le propriétaire en tributaire détenant sa terre comme fermier et usufruitier. Sa terre était immobilisée au bénéfice de l'ummah. Frappés par l'interdiction de posséder des armes, les dhimmi devenaient une masse de serfs appartenant au nouvel occupant. »1
On voit l’ironie inconsciente de la formulation antisioniste selon laquelle les sionistes auraient globalement dérobé leurs terres aux paysans palestiniens, et selon laquelle tout Israël serait issu d’une gigantesque expropriation collective… C’est non seulement historiquement et cadastralement mensonger, mais c’est surtout une accusation paranoïaque par aversion inversive de l’oppression islamique contre les dhimmis agriculteurs. Car le judaïsme est aussi une mystique de l’agriculture – dont témoignent toutes les fêtes juives liées au travail de la terre, et tous les traités du Talmud qui y sont reliés aussi. C’est la raison pour laquelle Benjamin Disraeli s’exclamait :
« Un peuple qui persiste à célébrer ses vendanges quoique qu'il n'ait pas de fruits à récolter finira bien par recouvrer ses vignobles. »
À noter que les Juifs pieux massacrés à Hébron, Jérusalem et Safed en 1929 n’étaient précisément ni armés ni sionistes, mais typiquement confinés depuis des siècles dans leur statut de dhimmis sans terres sur leur propre Terre.
L’autre taxe, individuelle, payée exclusivement par les dhimmis était la djizya. Celle-ci a son origine formelle dans le verset 29 de la neuvième sourate At-tawbah (9, 29) intitulée selon les traductions « le Désaveu », « l’Immunité » ou « le Repentir » :
« Combattez ceux qui ne croient ni en Allah ni au Jour dernier, qui n'interdisent pas ce qu'Allah et Son messager ont interdit et qui ne professent pas la religion de la vérité, parmi ceux qui ont reçu le Livre, jusqu'à ce qu'ils versent la capitation <jizyia hapax dans le Coran> par leurs propres mains, après s'être humiliés <saghir>. »2
(Traduction dite « standard » du Coran, sous le patronage de la ligue islamique mondiale saoudienne : Le Saint Coran et la traduction en langue française du sens de ses versets, version bilingue arabe-français, Presses du Roi Fahd, Médine, première édition 1989.)
Sur son excellent site Que dit vraiment le Coran ? (titre de son essai) le Dr Moreno Al Ajamî décortique cette sourate et en fournit quelques lumières étymologiques.
Concernant la question du contentieux, le verset se divise en deux parties distinctes, la première incite à « combattre » les polythéistes « qui ne croient ni en Allah ni au Jour dernier », la seconde à « humilier » les « gens du Livre ».
Voici le commentaire du Dr Al Ajamî3 :
« À l'heure actuelle, nombre de réformistes ou d'intellectuels musulmans s'efforcent de présenter la jizya sous un jour plus favorable. II s'agirait là soutiennent-ils d'une avancée sociale, d'une mesure de tolérance religieuse, d’une protection physique et morale des minorités religieuses, en somme une mise en œuvre avant l'heure des Droits de l'homme. Mais, au fond, nul ne songe remettre en cause le fondement même de la jizya. L'emprise de I'lslam sur la raison critique est ici patente, le poids de l'argument scripturaire tout autant car le Coran aurait bien édicté la jizya en un seul et unique verset dont voici la traduction standard : /…/
Ainsi compris, miracle herméneutique, ce verset serait explicite, et nous ajouterons qu'il en est de même pour celui qui le lit en arabe. Par l'institutionnalisation de la jizya est ainsi exprimée sans détour la domination, la violence politique normative que toute religion exerce sur l'autre, ce non-soi, qui impur, qui non-civilisé, qui humilié, un sous-être en somme. »
Ensuite le Dr Al Ajamî analyse plus particulièrement le terme jizia, et y décèle l’idée d’un « tribut de capitulation », et non point d’un impôt régulier, signifiant qur la jizya aurait été détournée de son sens coranique initial :
« Les orientalistes sont partagés quant à son origine, mais les philologues arabes font dériver jizya de la racine jazâ / rétribuer, ce terme aurait ainsi le sens de rétribution en compensation de la vie sauve et de la protection. En ce cas, la jizya correspond au tribut que devait payer la tribu vaincue à ses vainqueurs en signe de soumission et de dépendance, pratique courante dans le monde bédouin et jusqu'aux guerres modernes. La jizya n'est donc pas un impôt de ‘‘capitation’’, mais ‘‘tribut de capitulation’’.
Selon l'étude que nous venons de réaliser des divers segments informatifs de ce verset, cette compréhension de la jizya est parfaitement logique : qu'il s'agisse de polythéistes ayant rompu le traité de non-agression envers Muhammad, ou de tribus arabes, polythéistes, juives ou chrétiennes l'ayant rompu par solidarité d'alliance, l'objectif de ce verset est, répétons-le, de délier les musulmans de leurs engagements et de les inciter à combattre ces transgresseurs jusqu'à ce que cesse leur agression, c'est-à-dire qu'ils soient vaincus <je souligne>. Selon les règles en usage, les vaincus en signe de soumission à leurs vainqueurs seront donc dans l'obligation de leur verser un tribut / jizya, d'où pour notre segment final : ‘‘jusqu'à ce qu'ils versent le tribut de capitulation/al-jizya de leurs propres mains et qu'ils soient ainsi humiliés’’.
II va donc de soi que ‘‘le tribut de capitulation’’ dit jizya était à payer une seule fois, au moment où les vaincus transgresseurs du pacte de non-agression se soumettaient aux vainqueurs musulmans, ce qui est sans rapport avec la taxation annuelle que I'lslam a nommée jizya. Plus encore, tant l'analyse contextuelle que littérale indique que ce verset ne peut s'appliquer que pour l'événement auquel il fait référence : le non-respect du pacte de Hudaybiyya par les polythéistes et certaines tribus juives ou chrétiennes. L'on mesure alors l'importance des manipulations exégétiques dont a fait l'objet ce verset 29 afin de l'asservir à la volonté politique et à la logique d'exploitation financière mises en place bien après le Coran par le pouvoir califal impérial. »
Ce qui ressort de cette analyse, c’est que les premières obligations liées au statut de dhimmi auraient dû être ponctuelles et temporaires, l’« humiliation » n’était qu’un gage de soumission au vainqueur succédant à la bataille ou la rébellion. C’est la raison pour laquelle, explique Bat Ye’or « selon certains légistes, la capitation devait être acquittée individuellement au cours d’une cérémonie publique humiliante ; en payant, le dhimmi était frappé sur la tête ou sur la nuque. »4
Cette humiliation, comparable à la signature d’une reddition, n’était a priori pas destinée à s’essentialiser. D’ailleurs Bat Ye’or indique aussi que « Abou Yousof Ya'koub (731- 798) recommande la douceur et la justice dans le recouvrement de la djizya. Étaient exemptés de la capitation les femmes, les indigents, les malades chroniques et les infirmes nécessiteux. »5
Pourtant, source de revenus non négligeable pour le pouvoir (sultans, pachas, caïds….), la djizya non seulement se pérennisa, mais elle fit paradoxalement obstacle à la conversion vers l’islam puisque les dhimmis, bien plus pressurés que les musulmans, étaient fiscalement parlant plus intéressants que ces derniers.
Là où le bât blesse, et où surgit quelque chose d’étrange dans les relations entre l’islam et les dhimmis, et tout particulièrement entre l’islam et les Juifs, c’est le fait que la dhimma se soit métamorphosée en statut d’infâmie, comme l’explique bien Bat Ye’or :
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