Ce que je vais pointer ici maintenant, en conclusion de cette longue séance, ce sont les modalités précises du truquage et de l’imposture de Hörl dans son étude de 2008. C’est d’autant plus important à faire que Hörl, d’une part, connaît apparemment très bien et dans le texte Heidegger, et d’autre part que son étude de 2008 est rédigée, corrigée et augmentée en français par lui-même, à partir de sa version allemande ultérieure. Chaque mot et chaque expression est donc bien un choix conscient de Hörl, y compris lorsqu’il indique qu’il retraduit en français certains passages de Heidegger, pour se démarquer d’une traduction parue officiellement.
Le truquage est parfois manifeste, lorsque par exemple il évoque à propos de Heidegger et de « sa question maîtresse : ‘‘Qu’est-ce que penser ?’’, alors que le titre célébrissime de Heidegger est Was heist Denken ? (et non pas Was ist Denken ?), et que précisément Heidegger dans Qu’appelle-ton penser ? développe l’importance de cet « appel » pour la pensée :
« Ce qui nous appelle à penser et qui ainsi recommande notre être à la pensée – donc l'abrite dans la pensée – a besoin de la pensée en tant que ce qui nous appelle, désire lui-même, selon son être, être gardé dans la pensée. Ce qui nous appelle à penser réclame de lui-même à être servi, soigné, gardé dans son être propre par la pensée. Ce qui nous appelle à penser nous donne à penser. »1
Ayant ainsi manifestement maquillé comme une voiture volée l’expression cruciale de Heidegger, il ne reste à Hörl qu’à réécrire l’histoire de la pensée de Heidegger confronté – « appelé » à penser ce qu’on appelle penser – par la Cybernétique :
« Ce fut cette expérimentation à grande échelle menée sur l’ ‘‘affaire de la pensée’’ qui souffla à Martin Heidegger – qui après la guerre avait dans un premier temps, et pour les raisons que l’on sait adopté la posture d’un observateur silencieux <allusion chafouine à l’engagement nazi de Heidegger, pour donner plus de conviction à ce pseudo-retournement de sa pensée en entendant l’appel cybernétique venu d’Outre-Atlantique !> – sa question maîtresse : ‘‘Qu’est-ce que penser ?’’. Ce n’est qu’à la lumière de la question de savoir si les machines pouvaient penser – question que l’époque entière se posa sous toutes les formes possibles et imaginables – et confronté à la conception technologique de la pensée, qui motivait ce questionnement, que Heidegger parvint à formuler le diagnostic principal de sa philosophie d’après-guerre : ‘‘Ce qui donne le plus à penser dans notre temps qui donne à penser est que nous ne pensons pas encore.’’ À l’éradication par la cybernétique de l’inexactitude de la pensée répondit depuis Fribourg l’appel <je souligne> à une reformulation de la tâche de la pensée. Pour Heidegger, la ‘‘question fondamentale de l’histoire du monde’’ se concentrait sur ce point. Vinrent ensuite de longues années d’articulation de la ‘‘question de la pensée, dont la portée est universelle’’. Il en ressortit que la pensée était ce que l’époque des machines à penser n’avait jusqu’alors et depuis bien longtemps pas encore pensé. »
Tout est faux dans ce développement, mais tout est fait sous le mode précisément cybernétique d’assemblages de briques conceptuelles extirpées hors contexte et hors « cheminement » du texte heideggérien, exactement comme, lors de la précédente séance, le jeune YouTubeur frénétiquement tributaire de son « second cerveau » expliquait la manière dont était née la mirifique « idée » des rollers…
Toute l’argumentation de Hörl repose donc sur un parallèle artificiel et forcé entre ce que Heidegger conçoit comme « ne pas encore penser » et la cybernétique, et sur les raisons subjectives – se débarrasser de son engagement nazi – pour lesquelles Heidegger se serait engagé dans une critique et une attaque de la Cybernétique.
Hörl l’écrit noir sur blanc2 :
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