Séance complète en vidéo ou audio (avec les commentaires et les éclaircissements qui ne sont pas reproduits ici):
Vidéo
Audio
Je vais poursuivre ma réflexion aujourd’hui où je l’avais interrompue la dernière fois, sur la question de l’animal rationale, avec comme objectif, plus ou moins prochain (tout dépendra de mes zigzags), de tâcher de penser la relation, ou plutôt l’énigmatique conjugaison entre les deux composantes de cette définition classique de l’être humain par lui-même comme « animal raisonnable ».
La séance d’aujourd’hui s’attachera plus particulièrement à la question de la Cybernétique, notion que j’ai souvent évoquée, toujours très défavorablement, mais que je n’avais pas encore décortiquée, et qui désigne, pour aller très vite, la « science du contrôle et de la communication dans l’animal et la machine » (traduction française de l’essai fondateur de Norbert Wiener en 1948 : Cybernetics, or Control and Communication in the Animal and the Machine…
J’ai décidé de m’y intéresser après avoir reçu d’Olivier Cheval, dont je vous ai parlé la dernière fois, un texte daté de 2008 d’un philosophe allemand contemporain spécialiste des médias, Erich Hörl, intitulé : La destinée cybernétique de l’occident. McCulloch, Heidegger et la fin de la philosophie .
Ce texte m’a suffisamment intéressé pour que je lui consacre une séance (principalement à en déconstruire certaines assertions), ce que je ferai de manière détaillée la prochaine fois, où il sera donc beaucoup question de Heidegger et de sa critique de la Cybernétique.
Aujourd’hui, je vais examiner la Cybernétique sous un autre angle que celui de ses soubassements philosophiques.
Pour commencer, il faut savoir que cette « science » implique tous les domaines dont je traite abondamment depuis le début de ce Séminaire : la Science, la Domination, le Langage, la Mathématique, la Politique, l’Économie, l’Informatique, la Technique, l’Animalité, la Communication, et même le Judaïsme (Wiener était un Juif américain assimilé) !, de sorte que sans la Cybernétique il n’y aurait aujourd’hui ni Finance contemporaine, ni Big Pharma, ni Statistiques servant à la « gouvernance forte » des populations de la planète, ni bien entendu internet et les réseaux sociaux, ni l’informatique dont sont bourrés les écrans qui arraisonnent notre quotidien, ni l’Intelligence Artificielle, ni l’armement de défense et de destruction modernes, ni rien de ce qui fait la trame empoisonnée de l’existence du Numéricain en 2021.
Cette trame empoisonnée fut très clairement résumée par un homme de pouvoir déblatérant sa camelote devant une assemblée de gens masqués, démontrant avec conviction qu’ils n’étaient là que pour la fermer et obtempérer.
MACRON SUR « NUMÉRIQUE ROBOTIQUE GÉNÉTIQUE »
Il s’agit donc d’une étape essentielle avant d’en revenir à des questions plus précises autour du sanitarisme, pour la bonne raison que le sanitarisme, comme j’ai commencé de le dire l’autre fois, est constitué par un nouage complexe entre le capitalisme algorithmique (la Finance), le fantasme scientifique de l’auto-entreprise humaine, et l’atrophie universelle de la Parole en vue de mettre au pas toute Pensée créatrice. Or ce n’est que par le truchement consubstantiel de la Cybernétique que tout cela peut s’accomplir. Par « truchement consubstantiel », je veux dire qu’il ne s’agit pas seulement d’un biais parmi d’autres mais d’une impulsion originelle, qui a sa source, comme j’en ai l’intuition, précisément dans la conception occidentale de l’animal rationale.
La Finance, je l’ai assez dit, n’est pas l’Économie au sens classique, raison pour laquelle celle-là peut prospérer de la destruction de celle-ci, impulsée par la cupidité de la cupidité sous la forme d’une spéculation proliférante, glaciale, foudroyante, d’autant plus dénuée de tout scrupule qu’elle se transmet d’un ordinateur l’autre sans intervention humaine, qu’elle s’élabore, par conséquent, entre des machines dédiées à l’Intelligence Artificielle. Quant à l’IA, elle n’est que l’autre nom de la Raison déshumanisée, du rational amputé de son animale et qui n’a qu’à peine besoin d’être encore assisté par des humains, lesquels se voient dans cette affaire réduits à n’être que les sous-fifres de l’algorithme.
Si vous ne comprenez pas en quoi tout cela concerne aussi très essentiellement la pandémie du Covid et la crise sanitaire, eh bien je vais vous dessiller un peu l’optimisme .
La Finance est non pas la conséquence subsidiaire mais le premier élément du puzzle sanitariste, comme en témoigne cette nouvelle, datant de l’automne 2020, qui permet de comprendre ce qui motive l’industrie pharmaceutique, où là aussi la cybernétique règne en maîtresse, et où, comme par hasard, les animaux sont profondément malmenés, torturés, et tués par milliers pour rien.
Je l’ai déjà beaucoup dit : comme le montre dès 1906 Upton Sinclair dans La Jungle, cette animosité (devenue aujourd’hui littéralement génocidaire contre le monde animal) est au cœur du trust de l’industrie agro-alimentaire, laquelle industrie empoisonne en amont les humains que les laboratoires pharmaceutiques sont chargés de soigner en aval.
Le modèle de cette spirale délirante d’empoisonnement puis de thérapie par empoisonnement agravé est fourni par l’industrie agro-alimentaire. Les animaux, confinés, torturés et maltraités, sont en outre surgavés d’antibiotiques pour lutter contre les innombrables maladies provoquées par leur bestiale industrialisation même.
Je vous montre le résumé d’une analyse fournie par le site L214, concernant l’utilisation massive d’antibiotiques dans les élevages industriels :
Les animaux tombent malades de leur industrialisation, et plus on les « guérit », plus on les fragilise et les rend susceptibles de tomber « malades », les bactéries qui les tuent devenant de plus en plus résistantes à leur éradication antibiotique.
C’est ainsi que la maladie et la mort s’accoutument à leur propre inguérissable soin.
Je vous lis une autre analyse trouvée sur le site L214, qui concerne directement la santé des humains :
On est là typiquement dans ce que Heidegger appelle, dans Qu’appelle-t-on penser ? le « retour du même dans une rotation continue » qui est le propre de « l’essence de la technique moderne »1.
On a une illustration assez parlante de la folie intrinsèque qui agite cette rotation continue du même – folie furieuse provenant selon moi de la volonté d’amputer l’animal rationale de son animalité que vise sans s’en cacher l’idéologie de l’IA et du transhumanisme – avec, à la toute fin du XXème siècle, le scandale de l’encéphalopathie spongiforme bovine, ou « maladie de la vache folle ». Cette infection dégénérative du système nerveux des bovins causée par la protéine prion, avait pour origine la farine animale dont on nourrissait les vaches, farine qui, par souci d’économie et de circularité morbide anti-naturelle, était composée de carcasses bovines et de cadavres d’animaux broyés !
Transmissible à l’homme sous la forme de la maladie de Creutzfeld-Jacob, cette infection dont décédèrent plusieurs éleveurs britanniques se manifeste sous la forme de troubles de l'équilibre et de la sensibilité, puis de démence, et enfin de mort. Et la boucle est bouclée !
Cette étrange tendance à contrer la nature – les vaches broutent de l’herbe, tout le monde sait ça – semble irrésistible pour les chercheurs. On la retrouve par exemple dans la pisciculture industrielle, où l’on pratique une forme inquiétante d’écriture all inclusive (comme on dit dans l’immonde sous-langue du tourisme globalisé) en produisant des truites « néo-mâles » par manipulation génétique, comme en témoigne le résumé suivant :
La question animale est ainsi située à la conjonction empoisonnante des industries alimentaire et pharmaceutique, dont les animaux sont de la sorte doublement victimes.
Je vous lis un compte-rendu de l’association Peta France2 :
« Selon les chiffres du gouvernement, environ 2,2 millions d’animaux sont utilisés chaque année en France dans le cadre d’expériences.
Les souris et les rats sont les animaux les plus utilisés pour les tests en France, mais on compte aussi des hamsters, lapins, chats, chiens, singes, volailles, poissons et chevaux parmi les victimes. Tous ces animaux ont la capacité de ressentir la douleur et la peur, et ils souffrent intensément lorsqu’ils sont empoisonnés, découpés, aveuglés, électrocutés ou infectés par des maladies mortelles dans des prisons mornes et sans fenêtres.
Parmi les expérimentations cruelles effectuées sur les animaux en laboratoire, beaucoup violeraient les lois de protection des animaux si elles avaient lieu dans un autre contexte. Il s’agit d’une situation de deux poids deux mesures absurde puisque les animaux souffrent autant lorsqu’ils sont maltraités dans un laboratoire que dans la cave d’un particulier. Nous ignorons l’ampleur des atrocités infligées aux animaux dans les universités, les entreprises pharmaceutiques et d’autres institutions, mais des enquêtes secrètes en donnent un aperçu insoutenable.
/…/ Prendre un être vivant sain d’une espèce complètement différente, développer artificiellement une maladie qu’il ou qu’elle n’aurait jamais contracté normalement, le ou la garder dans un environnement contre nature et stressant pour essayer d’appliquer les résultats ainsi produits à des maladies qui apparaissent naturellement chez l’humain est une pratique pour le moins douteuse. Les réactions physiologiques aux médicaments varient énormément d’une espèce à l’autre. La pénicilline tue les cochons d’Inde mais est inactive chez les lapins ; l’aspirine tue les chats et provoque des malformations natales chez les rats, les souris, les cobayes, les chiens et les singes ; et la morphine, un tranquillisant chez l’humain, stimule les chèvres, les chats et les chevaux.
/…/ Des rapports d’informations partiels, des études mal menées et une approche non systématique conduisent à de nombreuses études inutiles, coûteuses et redondantes. De plus, beaucoup d’expériences menées sur des animaux n’ont aucune incidence sur les maladies graves et peuvent être entreprises simplement pour satisfaire la curiosité, pour des intérêts commerciaux ou pour faire progresser la carrière des universitaires. Pour mentionner uniquement quelques exemples, des milliers de souris ont été empoisonnées à mort dans le cadre de tests pour le Botox, des rats ont été enivrés de force dans le but d’essayer de développer un « remède contre la gueule de bois », des animaux ont été contraints de fumer par des fabricants de tabac et des pilules pour la perte de poids ont été administrées à des souris.»
Difficile de ne pas constater le caractère délirant, à la lettre irrationnel de cette froide animosité scientifique, puisque apparemment, toujours selon Peta France, « 95% des nouveaux médicaments échouent lors des essais sur l’homme alors qu’ils se sont révélés sûrs et efficaces lors d’expériences sur des animaux ».
Pour reprendre les choses d’un peu plus haut, et chercher le lien entre l’IA, la crise sanitaire et les tortures et massacres des animaux (à chaque crise sanitaire, ce sont des milliers d’animaux abattus pour enrayer l’épizootie : quinze millions de visons abattus au Danemark dans les « fermes à fourrure »), il faut peut-être revenir sur l’initiateur de l’auto-entreprenariat rationnel en philosophie, Descartes, et chercher le sens de ses visites quotidiennes à la Kalverstraat d’Amsterdam («rue des Bouchers»), où il assistait à des dissections sur « l’animal-machine » (expression qui n’est pas strictement de Descartes mais qui correspond en tous points à sa pensée).
Il l’indique dans une lettre à Mersenne du 13 novembre 1639 (citée par Pascal David3) :
«J’ai été un hiver à Amsterdam, que j’allais quasi chaque jour en la maison d’un boucher pour lui voir tuer des bêtes, et je faisais apporter de là en mon logis les parties que je voulais anatomiser plus à loisir…»
Y aurait-il un lien entre aller voir « tuer des bêtes » et concevoir le monde selon une « interprétation mécanique de l’univers » pour citer Ortega y Gasset cité lui-aussi par Pascal David ?
Je vais vous rapporter une étude de 2012 de Roger Texier, consacrée à « La place de l’animal dans l’œuvre de Descartes »4, parue dans la revue L’enseignement philosophique. Roger Texier y explique que si Descartes n’a laissé aucun traité sur l’animal, sa Description du corps humain de 1648 en est « une très sérieuse ébauche ». La singulière ferveur de Descartes pour les dissections et les vivisections suscitaient déjà l’incompréhension de ses contemporains, au point qu’il dut s’en justifier auprès du Père Mersenne dans la lettre du 13 novembre 1639 que je viens d’évoquer :
« Et celui dont vous m’écrivez doit avoir l’esprit bien faible, de m’accuser d’aller par les villages, pour voir tuer les pourceaux ; car il s’en tue bien plus dans les villes que dans les villages, où je n’ai jamais été pour ce sujet. Mais, comme vous m’écrivez, ce n’est pas un crime d’être curieux de l’anatomie ; et j’ai été un hiver à Amsterdam, que j’allais quasi tous les jours en la maison d’un boucher, pour lui voir tuer des bêtes, et faisais apporter de là en mon logis les parties que je voulais anatomiser plus à loisir; ce que j’ai encore fait plusieurs fois en tous les lieux où j’ai été, et je ne crois pas qu’aucun homme d’esprit m’en puisse blâmer.»
Descartes établit entre l’homme-cogitant et l’animal-machine une frontière infranchissable qui empêche toute confusion possible entre les deux, sous prétexte que l’animal est dépourvu d’âme autant que de parole et de pensée.
Roger Texier :
« Commençons par dénoncer ce qui manque à l’animal : il lui manque l’âme, la raison, la pensée et la parole, et considérons cela comme ce qui fait justement la noblesse de l’homme. C’est l’homme qui est en définitive l’objet réel du discours cartésien sur l’animal. Celui-ci n’est que machine. L’homme est tout ensemble machine et homme. »
Autrement dit, il y a une solution de continuité entre l’homme et l’animal qui partagent pourtant la même caractéristique du corps-machine (dissécable, traficable, disposable et remplaçable à merci, comme en salivent les transhumanistes aujourd’hui). Et cette imperméable dissociation a pour nom Raison.
La Raison est l’autre nom de « l’homme », en ce qu’il se distingue à la fois de l’animal et de son propre corps.
Roger Texier :
« Les bêtes n’ont pas d’âme. Mais nous, dès lors que nous nous demandons qui nous sommes, nous nous apercevons que la nôtre est une ‘‘substance distincte du corps’’ et qui ‘‘ne nous est connue que par cela seul qu’elle pense, c’est-à-dire qu’elle entend, qu’elle veut, qu’elle imagine, qu’elle se ressouvient et qu’elle sent, parce que toutes ces fonctions sont des espèces de pensées’’. Elle ne joue aucun rôle dans les fonctions vitales. Elle est une substance dont toute la nature n’est que de penser et elle est tellement pensée qu’elle pense toujours. Elle est immortelle. »
On entre de plein pied dans la discussion qui opposera Derrida et Foucault concernant le rapport entre Descartes et la folie, soit la Dé-Raison, dont Foucault rend compte dans un texte, publié en appendice de l’Histoire de la folie à l’âge classique, intitulé Mon corps, ce papier, ce feu5.
Mais je veux m’en tenir à la question de cette étrange volonté de dissociation du corps et de l’âme (inconnue à toutes les autres pensées non occidentales et rigoureusement absente de la juive) que Descartes pousse si loin, en particulier en en excluant toute possibilité d’inconscience :
« Il n’est de pensée dont on n’ait connaissance ; il n’est ni pensée ni, à plus forte raison, réflexion qui ne soit consciente (cf. IVe Rép., ibid., p. 190) » écrit Texier, qui conclut : « Le fait qu’une pensée doive être consciente pour être une pensée est le côté le plus cartésien de la pensée. ».
Tout cet édifice rationnel a été ruiné évidemment par la psychanalyse, mais il l’est aussi, indubitablement, dans le cadre qui nous intéresse de la médecine contemporaine avec l’importance accordée à contre-cœur à l’effet placebo qui noue si énigmatiquement le corps, la pensée et l’inconscience.
J’y reviendrai dans quelques séances.
Je ne veux pas démesurément allonger cette parenthèse sur les origines cartésiennes de l’indifférence impensée aux souffrances animales (et pour dire les choses comme elles sont, de la folie furieuse – les animaux démoniaquement mutilés –, de la bestialité typiquement rationnelle – dans les abattoirs – qui l’accompagne), je veux seulement pointer comment, à partir de Descartes, tous les obstacles métaphysiques furent levés pour s’acheminer vers une conception technique (mathématique) de la pensée, telle qu’elle aboutira, passant par l’automate spirituel de Spinoza, à l’intelligence artificielle, contemporaine à la fois de l’extermination des animaux du monde et, pour reprendre la formule de Heidegger citée la dernière fois, tirée de Dépassement de la Métaphysique, de la « mise en place » de « l'animal rationale comme bête de labeur. »
À noter aussi l’importance singulière, chez Descartes, soulignée d’ailleurs par Roger Texier dans son étude, de la « disposition des organes » :
« Il est vrai qu’on peut avoir de la difficulté à croire que la seule disposition des organes soit suffisante pour produire en nous tous les mouvements qui ne se déterminent point par notre pensée ».
Descartes écrit ainsi dans sa correspondance :
« De cela seul qu’on conçoit clairement et distinctement les deux natures de l’ame et du corps, comme diverses, on connoist que veritablement elles sont diverses, et par consequent que l’ame peut penser sans le corps, nonobstant que lors qu’elle luy est jointe, elle puisse estre troublée en ses operations par la mauvaise disposition des organes <je souligne>. »
Il faut bien comprendre ce que cela implique. La Raison est non seulement dissociée de l’étendue, donc du corps, mais également peut être troublée « en ses opérations » (terme algébrique) par la « mauvaise disposition des organes ».
Autrement dit la Raison est à la fois dissociée du corps en tant qu’elle est rationnelle mais, en tant qu’elle déraille, elle y est réassociée à son non-corps défendant, si j’ose dire, et se voit dès lors logiquement, rationnellement fondée à re-disposer les organes rebelles, autrement dit à en disposer à sa guise (au sens du Gestellt, du « Dispositif », de la « mise en place » heideggérienne), y compris pour en trafiquer comme des marchandises puisque ces organes ne sont que des objets pour le sujet cogitant, à l’instar des pièces d’une horloge (l’image est de Descartes) ou des diverses parties des animaux-machines.
Cette manière de concevoir à la fois le corps humain et le corps animal comme intégralement soumis au calibrage de la technique a des répercussions quotidiennes aujourd’hui, et bien entendu c’est dans le domaine de la recherche médicale que ces répercussions sont le plus patentes.
Ainsi une équipe de chercheurs new yorkais a réussi très récemment (le 20 octobre 2021) la première xénogreffe d’un rein de cochon génétiquement modifié sur une femme qui venait de décéder.
« Le rein a réussi à fonctionner durant trois jours, assurant parfaitement ses fonctions de filtre et de production d'urine, et sans provoquer de rejet, a annoncé le 20 octobre l'équipe du professeur Robert Montgomery qui a mené l'opération, au centre Langone Health, à New York. »6
« Les xénogreffes (greffes entre espèces différentes) sont un vieux rêve de médecins, qui espèrent élever des animaux comme ‘‘réservoirs d'organes’’. »
« Des valves cardiaques, des tendons, des morceaux de peau ou des rétines de porc sont d'ailleurs déjà utilisés comme greffons temporaires ou définitifs chez des humains. »
Voilà ce qu’écrit Descartes à Mersenne (cité par Pascal David) au sujet des oiseaux à ce sujet le 30 août 1640 :
« On peut bien faire une machine qui se soutienne en l’air comme un oyseau, metaphysice loquendo <métaphysiquement parlant>; car les oyseaux mesmes, au moins selon moy, sont de telles machines mais non pas physicè ou moraliter loquendo <physiquement ou moralement parlant> pource qu’il y faudroit des ressorts si subtils, & ensemble si forts, qu’ils ne sçauroient estre fabriquez par des hommes.»
L’impossibilité pour l’homme de voler n’est d’ordre ni anatomique ni métaphysique, mais simplement artisanale : c’est une question de subtilité de la technê. Sitôt que l’homme aura trouvé, deux siècles et demi plus tard, le secret de faire des « ressorts » assez subtils et forts pour faire voler une machine, rien ne lui semblera trop compliqué à fabriquer pour rivaliser avec la Nature – la « belle nature vraie » comme dit Artaud) et, au fond, pour la supplanter jusqu’à la fabrication de soi-même.
Artaud le disait très clairement dès 1947 dans Pour en finir avec le jugement de Dieu <Jusqu’à « mais des produits de synthèse à satiété »>.
Commentant les Passions de l’âme, Roger Texier écrit :
« Toute l’activité sensori-motrice de l’homme relève du mécanisme. Les fonctions du corps et celles de l’âme n’ont rien à voir les unes avec les autres. Les mouvements procèdent du corps ; les pensées, de l’âme. C’est une erreur de croire que l’âme est, dans l’homme, principe de mouvement. C’en est une autre de penser que la mort vient de ce que l’âme quitte le corps ; la mort tient seulement à un arrêt du cœur. La différence qui sépare un corps vivant et un corps mort est celle-là même qui nous empêche de confondre une montre qui marche et une montre qui ne marche pas. Bref, il est clair qu’un corps vivant est une machine, au même titre que les automates hydrauliques, les orgues et les horloges. Pas de rupture, de ce fait, entre physiologie humaine et physiologie animale. Le corps humain et celui des animaux naissent, grandissent et fonctionnent de la même manière : automatiquement. »
Ce qui est évacué là, qui va permettre au biopouvoir de surgir (contrôlant et dominant tout part le biais de l’intelligence artificielle et de la mise à l’écart hystérisée de la mort, celle-ci justifiant à coups de matraque – et de divers autres châtiments plus ou moins spectaculaires – une surveillance hygiénique de tous les instants), c’est ce que Foucault, dans un texte datant de 1964 intitulé La folie, l’absence d’œuvre paru également en appendice à L’histoire de la folie à l’âge classique, nomme l’homo dialecticus, « l’être du départ, du retour et du temps, l’animal qui perd sa vérité et la retrouve illuminée <je souligne>, l’étranger à soi qui redevient familier. »7
Et il ajoute quelques lignes après (mais ce qu’il énonce sur la folie, « maladie mentale », est évidemment vrai de toute « maladie » et de toutes les numérotations des divers covid à venir – lesquels sont d’origine animale, plus exactement d’origine rationnelle, l’homme ayant transmuté l’animal sauvage en marchandise parquée, consommée, maltraitée et chassée de ses lieux de libre habitation :
« Nous sommes en ce point, en ce repli du temps, où un certain contrôle technique de la maladie <je souligne> recouvre plus qu’il ne le désigne le mouvement qui referme sur soi l’expérience de la folie. Mais c’est ce pli justement qui nous permet de déployer ce qui pendant des siècles est resté impliqué : la maladie mentale et la folie – deux configurations différentes, qui se sont rejointes et confondues à partir du XVIIè siècle, et qui se dénouent maintenant sous nos yeux ou plutôt dans notre langage. »
(À suivre)
Qu’appelle-t-on penser ? p.84
Dans Habiter la Terre (Éditions Manucius)
Pléiade I p.624
Pléiade I, p.617