Il y a une forme de profonde bêtise scientifique proportionnelle au respect que la Science impose à ses ouailles extasiées. La Science n’est qu’une religion fondée sur la croyance au Progrès – cette « idée grotesque », diagnostiquait déjà Baudelaire, « qui a fleuri sur le terrain pourri de la fatuité moderne… ».
Les machinations de Chomsky font songer à un épisode de la série télévisée des années 70 (les années Chomsky) : Le Prisonnier, dont le héros fait imploser un ordinateur encyclopédique, joyau de ses anonymes geôliers, en lui posant une question insoluble :
Picasso qui avait tout compris déclara :
« Les ordinateurs sont inutiles. Ils ne savent que donner des réponses. »
Voilà maintenant une autre question insoluble posée à la doctrine de Chomsky, qui la fit elle aussi imploser en vol :
Tom Wolfe n’est pas dupe de la cécité dogmatique de Chomsky, dont il analyse finement dans son essai le charisme doublé de despotisme. Il conçoit très bien, par exemple, que les Pirahãs, qui ignorent le temps, le nombre, l’argent et le pouvoir, incarnent la communauté anarchiste idéale dont rêve Chomsky depuis toujours mais qu’il est incapable de reconnaître quand il l’a sous les yeux et à l’oreille. Interrogé au téléphone par Wolfe le 3 mai 2016, Chomsky se défendit en prétendant que les Pirahãs n’infirmaient en rien sa théorie de la grammaire universelle, puisqu’ils étaient parfaitement capables d’apprendre, d’assimiler et de comprendre le portugais dès lors qu’on voulait bien le leur enseigner.
Chomsky pensait donc apparemment que le langage inouï des Pirahãs – ce miracle spirituel sans récursivité mêlant aux mots les sifflements et les cliquetis – était une sous-langue ! Se sentant dès lors soupçonné de les sous-estimer, de mépriser leur infériorité, il se justifia en révélant qu’ils étaient tout aussi grammaticalement universels et intelligents que les autres hommes.
Qui en doutait, à part ce schmock de Chomsky ! Il n’était donc pas venu à l’esprit de Chomsky ni de ses acolytes algorithmés du bulbe du M.I.T. que le mot « universel » n’est en rien universel. Car si la langue des Pirahãs ignore le temps, la récursivité, ou la grammaire universelle, c’est parce qu’ils le veulent bien !
Cette faramineuse affaire a un plus atroce épilogue, hélas, que la seule déroute de Chomsky et des chomskyens dans les couloirs climatisés du M.I.T. – épilogue qui révèle nettement la pulsion génocidaire qu’engendre toute conception technique du langage.
En effet le documentaire de 2012 sur les Pirahãs1 exhibe un autre aspect de la volonté de puissance indissociable du discours de la Technique, plus féroce encore que le dédain et les insultes de Chomsky à l’égard de tout ce qui n’est pas lui :
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