Né en 1898 et mort en 1969, McCulloch est ce neuropsychiatre américain que j’avais déjà rapidement évoqué lors de la première séance sur la Cybernétique, qui fut à l’origine des Conférences Macy, de la Cybernétique donc, et de toutes les recherches ultérieures en Intelligence Artificielle ; il eut pour collaborateurs Seymour Papert et Marvin Minsky, dont j’avais aussi un peu parlé lors de la 33ème séance.
Voici comment l’universitaire Tara Abraham présente en 2002, dans une longue étude très informée parue dans le Journal of the History of the Behavioral Sciences, la contribution de McCulloch et de son compère mathématicien Walter Pitts à l’histoire de la pensée de la pensée1 :
« En 1943, le neuropsychiatre Warren McCulloch (1898-1969) et le mathématicien Walter Pitts (1923-1969) ont présenté l'une des premières applications d'un calcul logique aux éléments d'un système biologique. Fondé sur la caractéristique de ‘‘tout ou rien’’ de l'activité nerveuse, ils ont élaboré une logique booléenne pour décrire les événements neuronaux et leurs relations. Le concept de ‘‘tout ou rien’’ a conduit McCulloch et Pitts à idéaliser les neurones comme des dispositifs on-off <on-off devices> (allumés-éteints) – ils ‘‘déclenchaient’’ ou pas <they either "fired" or they did not>. Faisant le lien avec la nature ‘‘vrai-faux’’ <the "true-false" nature> des propositions en logique, McCulloch et Pitts ont construit des réseaux hypothétiques de neurones excitateurs et inhibiteurs, avec des modèles variables de connexion, et ont démontré un isomorphisme entre ces arrangements hypothétiques de neurones et la logique des propositions. »
Et évidemment Tara Abraham poursuit en rappelant l’importance que cette hypothèse neuro-mathématique (dont on conçoit à quel point elle est aux antipodes de la conception heideggérienne de la pensée) a eu pour le déploiement de la Cybernétique et de l’Intelligence Artificielle :
« Le concept McCulloch-Pitts de réseau logique de neurones a été décrit comme un événement marquant dans l'histoire de la cybernétique. L'un des objectifs du mouvement cybernétique était d’identifier des éléments communs dans le fonctionnement des animaux et des machines. Comme leur article avait des liens conceptuels avec les travaux d'Alan Turing (1912-1954) en 1937 sur la ‘‘machine de Turing’’ et allait servir les travaux ultérieurs de John von Neumann (1903-1957), l'article de McCulloch-Pitts représente visiblement un événement important, et son héritage, au moins au sein du mouvement cybernétique, a été bien étudié par les historiens des sciences. Par exemple, cette étude a été décrite comme faisant partie intégrante de la conception des ordinateurs numériques et des automates <digital computers and automata>, ainsi que du développement des théories du traitement de l'information. »
Quelle est la formation initiale de McCulloch, quels sont ses premiers mentors ? Pas Heidegger, ni aucun autre philosophe, mais Von Domarus, Northrop, Dusser de Barren et Walter Pitts (jeune prodige en mathématiques avec lequel il va concevoir sa théorie des réseaux neuronaux).
Je vous livre les informations tirées de la remarquable étude de 23 pages de Tara Abraham en 2002. C’est important de comprendre qui est cet homme que Hörl présente comme le grand rival héraclitéen de Heidegger après-guerre, et que Tara Abraham qualifie elle-même de « philosophical psychiatrist ».
Elle relate une anecdote, racontée par McCulloch lui-même en 1961. En 1917, alors qu’il n’avait que 19 ans et étudiait au Haverford College de Pennsylvanie, un professeur l’interrogea sur ce qu’il comptait faire dans la vie :
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