« La science ne pense pas. Elle ne pense pas, parce que sa démarche et ses moyens auxiliaires sont tels qu'elle ne peut pas penser – nous voulons dire penser à la manière des penseurs. Que la science ne puisse pas penser, il ne faut voir là aucun défaut, mais bien un avantage. Seul cet avantage assurera à la science un accès possible à des domaines d'objets répondant à ses modes de recherche; seul il lui permet de s'y établir. La science ne pense pas: cette proposition choque notre conception habituelle de la science. Laissons-lui son caractère choquant, alors même qu'une autre la suit, à savoir que, comme toute action ou abstention de l'homme, la science ne peut rien sans la pensée. Seulement, la relation de la science à la pensée n'est authentique et féconde que lorsque l'abîme qui sépare les sciences et la pensée est devenu visible et lorsqu'il apparaît qu'on ne peut jeter sur lui aucun pont. Il n'y a pas de pont qui conduise des sciences vers la pensée, il n'y a que le saut. Là où il nous porte, ce n'est pas seulement l'autre bord que nous trouvons, mais une région entièrement nouvelle. Ce qu'elle nous ouvre ne peut jamais être démontré, si démontrer veut dire: dériver des propositions concernant une question donnée, à partir de prémisses convenables, par des chaînes de raisonnements. Quand une chose ne se manifeste que pour autant qu'elle apparaît d'elle-même en même temps qu'elle reste dans l'ombre, vouloir encore prouver une telle chose et vouloir qu'elle soit prouvée, ce n'est aucunement juger suivant une règle supérieure et plus rigoureuse de connaissance: c'est seulement faire un compte en utilisant un certain système de mesure, et un système inapproprié. Car, à une chose qui se manifeste seulement de sorte qu'elle apparaît dans l'acte même par lequel elle se cache, nous ne répondons bien que si nous attirons l'attention sur elle et si nous nous imposons à nous-mêmes la règle de laisser ce qui se montre apparaître dans la non-occultation qui lui est propre. Montrer ainsi simplement est un trait fondamental de la pensée, elle est la voie vers ce qui, depuis toujours et pour toujours, donne à l'homme à penser. Tout peut être démontré, c'est-à-dire déduit de prémices appropriées. Mais peu de choses seulement peuvent être montrées, c'est-à-dire libérées par un acte indicateur qui les invite à venir à nous; et encore se laissent-elles rarement montrer. »1
Il faut savoir et comprendre que cette pensée par Heidegger de l’impensé de la science, elle se prépare en lui, et peut-être même à son insu, depuis longtemps, autrement dit depuis Être et Temps.
Dès le paragraphe 2 de Sein und Zeit, intitulé « La structure formelle de la question de l’Être », où Heidegger tâche de distinguer ce que « la question de l’Être a d’exceptionnel », il en distingue la « question » au sens le plus général, celle à quoi s’adonne la « recherche » philosophique ou scientifique ; il distinguera ainsi nommément à partir du paragraphe 9 « toute psychologie, anthropologie et même biologie », soit trois domaines qui intéresseront directement un McCulloch.
« Tout questionner est un chercher », commence Heidegger. « Tout chercher tire de ce qu'il recherche la direction qui précède et dicte sa démarche. » (traduction Vezin).
Martineau traduit un peu différemment :
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