Préambule
Commence aujourd’hui une nouvelle série, dans le cadre du Séminaire, que j’intitule De l’antisionisme (en référence à mon essai De l’antisémitisme paru en 1995 et réédité en 2006, il y a donc près de 30 ans).
J’aurais pu intituler ce nouveau cycle Penser la Palestine, d’après un texte paru sur le site lundimatin1 il y a un an, sous-titré « Quelques considérations sur le sionisme et l’antisionisme » (et il sera bien entendu longuement question aussi du sionisme, de ses origines à aujourd’hui), texte dont la première phrase confère son titre à la séance d’aujourd’hui, que je veux introductive à ce nouveau cycle : « L’Histoire ça n’existe pas… ».
J’aurais pu l’intituler « Nouvelles réflexions sur le conflit israélo-palestinien »… Peu importe. Le sujet est ce sempiternel conflit dont la date de naissance même est sujette à polémiques, probablement l’un des plus anciens des Temps modernes et l’un des plus complexes qui soient. En comparaison l’alambiqué conflit russo-ukrainien de 2022 a des allures simplistes de match de foot PSG-OM, et la seule comparaison légitime avec le conflit israélo-palestinien est ici et là chez les antisionistes et chez les Occidentaux l’infâme bêtise des censeurs culturels et des médias mainstream qui prônent et justifient la cancel culture de tout ce qui est russe et russophone !
L’enjeu, pour moi, est de tout reprendre et de tout repenser – depuis la défaite de Bar Kokhba en 135 et la destruction de Jérusalem par Hadrien, qui inaugure l’exil des Juifs en diaspora, jusqu’aux houleuses obsèques de la journaliste palestinienne Shireen Abu Akleh il y a quelques jours –, et de tâcher d’apporter à un si vieux conflit des réflexions neuves et si possibles instructives pour tous ceux qui n’y comprennent rien – à savoir tout le monde, qu’on le sache ou pas…
De même que l’histoire n’existe pas – et mon propos ne sera pas davantage historiographique ou historiciste que mes précédentes réflexions sur la Gestion Génocidaire du Globe n’étaient « philosophiques » quoique j’y eusse abondamment cité des philosophes –, un « peuple », une « nation », voire même un « pays », ça n’existe pas non plus en dehors de la définition qu’on lui donne. Qui la donne et pourquoi n’est jamais à négliger, et j’y reviendrai à propos, par exemple, des noms « Israël » et « Palestine ». Reportez-vous à ce que j’ai dit le mois dernier lors des deux dernières séances du concept artificiel de « population » à partir des analyses de Foucault.
Une autre précision liminaire : Si, pour d’évidentes raisons de convenance rhétorique, il sera souvent question des « Juifs », des « Arabes », des « Palestiniens », des « Sionistes », du Judaïsme, de l’Islam, etc., il ne faudra pas manquer à chaque fois de garder à l’esprit que toute généralisation manque toujours extraordinairement de subtilité concernant quelque groupe humain que ce soit, sans même aller jusqu’à la crétinerie congénitale et à la gémellité spéculaire des discours xénophobe (à la Zemmour) et identitaire (à la P.I.R.).
Je ne manquerai donc jamais d’apporter toutes les nuances importantes au cours de mes analyses. De même que les courants idéologiques et philosophiques à l’intérieur de ce que l’on nomme « le » sionisme étaient innombrables (et que l’on ne saurait rien comprendre au conflit israélo-palestinien si l’on ne connaît pas en détail non seulement leurs provenances et leurs histoires respectives mais leurs métamorphoses au fur et à mesure que le XXème siècle avançait, que la Palestine se peuplait, et que l’on arrivait jusqu’à l’abîme de la Shoah qui força à une réévaluation de toutes les certitudes et incertitudes séculaires, au point que le sionisme des années vingt et celui des années quarante ne furent rigoureusement plus les mêmes), pareillement, dire « les Arabes » – par exemple dans une expression comme « le refus par les Arabes du plan de partage de 1947 » – est forcément réducteur.
D’abord il y avait, et il y a toujours, des Arabes musulmans et des Arabes chrétiens, et leur attitudes dans le conflit ne furent pas nécessairement semblables ; il y eut des musulmans bédouins ou druzes qui combattirent dès sa création aux côtés d’Israël, etc. Il y a aussi les Arabes israéliens d’aujourd’hui, dont la majorité (mais qu’est-ce qu’une « majorité » ?) sont heureux d’être israéliens et très intégrés dans la société israélienne, et parmi eux, je suppose, des intellectuels sionistes qui s’expriment à l’université et dans les médias (évidemment pas traduits en France).
Quant au malheureux peuple palestinien, il a peu ou pas le droit à la parole (le Fatah’ et le Hamas ne permettant aucune critique), et nul ne sait au fond ce qui arriverait si un référendum vraiment libre était organisé pour faire la paix avec Israël… On sait que les Iraniens, par exemple, sont peu en accord avec les mollahs très antisémites et antisionistes qui les gouvernent d’une main de fer… Et il y a aussi parmi les Juifs et les Israéliens des antisionistes militants et virulents, comme les « nouveaux historiens » dont les propos et les accusations n’ont rien à envier aux antisionistes les plus endurcis, de sorte qu’aucune « essentialisation », comme on dit aujourd’hui, n’est pertinente.
Si, en dehors du contexte du conflit israélo-arabe, vous voulez découvrir une vision magnifique, à la fois amoureuse, lucide, contrastée des Arabes au Proche-Orient au début du XXème siècle – soit les exacts contemporains du sionisme naissant –, lisez le chef-d’œuvre de T. E. Lawrence Les Sept piliers de la sagesse. Écoutez ce portrait de Fayçal, meneur de la révolte arabe, et qui est avec le général Allenby l’un des héros de Lawrence :
« D’apparence, il était grand, gracieux et vigoureux, avec une très belle démarche, et une dignité royale dans la tenue de la tête et des épaules. Bien sûr, il le savait, et une grande partie de ses manifestations publiques se faisaient par signes et gestes.
Ses mouvements étaient impétueux. Il se montrait coléreux et susceptible, déraisonnable même, et s’échappait volontiers par la tangente. L’appétit et la faiblesse physique se mêlaient en lui, sous l’éperon du courage. Son charme personnel, son imprudence, une suggestion pathétique de fragilité, la seule restriction de ce personnage altier, en faisaient l’idole de ses partisans. On ne se demandait jamais s’il était scrupuleux, mais il montra plus tard qu’il pouvait rendre la confiance pour la confiance, le soupçon pour le soupçon. Il était plus empli d’esprit que d’humour. »
Je vous cite le portrait de Fayçal, car figurez-vous qu’il signa en 1919 avec Haïm Weizmann (qui sera en 1920 président de l’Organisation Sioniste Mondiale et en 1948 premier Président d’Israël) un accord favorable aux revendications sionistes…
Inversement, un des premiers dirigeants sionistes comme Max Nordau correspond en tous points au portrait abominable que les essayistes postcoloniaux font du Blanc sûr de lui et dominateur. Voilà ce qu’en rapporte l’excellent Georges Bensoussan2, dont le paragraphe intitulé « Une vision coloniale ? » au sein du chapitre VIII « L’héritage européen » (extrêmement lucide et critique sur certains travers culturels des premiers sionistes européens de l’Ouest, comme Herzl et Nordau, paternalistes ou méprisants à l’égard des Juifs de l’Est, des Juifs séfarades, des Juifs religieux, des indigènes arabes, etc.) ne dépareillerait pas dans le plus intransigeant des manifestes antisionistes :
« Le regard porté par les Juifs ashkenazes sur les Juifs orientaux participe de ces habitudes mentales venues d'Europe et qui jaugent avec condescendance les peuples ‘‘arriérés’’. ‘‘Si Sa Majesté le Sultan nous donnait la Palestine, nous nous ferions fort de régler complètement les finances de la Turquie’’, écrit Herzl dans L'Etat des Juifs en 1896. ‘‘Pour l'Europe, nous constituerions là-bas un morceau de rempart contre l'Asie, nous serions la sentinelle avancée de la civilisation contre la barbarie.’’ On pourrait multiplier des citations de cette eau, puisées autant chez Herzl que chez Max Nordau qui, pour sa part, n'hésitait pas à embrasser les thèses les plus européocentrées où, au nom d'arguments philanthropiques et eugénistes, il était question d'apporter la civilisation à des peuples enfants. La pensée de Nordau s'inscrit dans la mouvance générale de l'impérialisme des Lumières, mais ses arguments ont une portée plus géopolitique. Pour lui, comme il l'analyse en 1905, les Juifs sont des alliés de l'Occident au cœur du monde arabe (sous-entendu hostile), ils sont à l'avant-poste d'une brèche pour le contrôle d'un immense territoire étendu de l'Atlantique au golfe Persique. Avec Nordau, d'autres sionistes, mais peu nombreux tant cette vue demeure sur le fond marginale, souscrivent à cette analyse liée à l'impérialisme. »
Cela pour vous dire que, sans pour autant tomber dans un relativisme absolu, méfiez-vous de l’article défini « les » : les Juifs, les Arabes, les Sionistes, les Israéliens, les Palestiniens, etc. Il faudrait aller jusqu’ à dire, pour paraphraser la formule de Lacan « la femme n’ex-siste pas », « le Juif n’ex-siste pas », « l’Arabe n’ex-siste pas », « le musulman n’ex-siste pas »...
Alors qu’est-ce qui existe, qui permette de penser le conflit en sa conflictualité ? Autrement dit non pas décider qui a tort et qui a raison (chacun a toujours raison depuis son propre point de vue), mais pourquoi y a-t-il du conflit plutôt que rien ? Eh bien ce qui existe, et qui n’est pas intégralement réductible ni résumable à l’Histoire, ce dont on doit tenir compte pour penser les choses comme les événements, c’est toujours, d’abord et principalement, des écrits (théologiques, historiques, politiques, littéraires, journalistiques, médiatiques), autrement dit les discours des uns et des autres (avant d’examiner les discours des uns rapportés par les autres), et ce que ces paroles écrites révèlent à qui décide de les interpréter.
Je vais vous donner deux exemples simples pour comprendre ce que je veux dire, et aussi que je n’imagine pas un instant, avec ce nouveau cycle, convaincre qui que ce soit qui serait farouchement antisioniste par exemple. Je m’adresse à qui aime sincèrement penser, et cela demeure rare dans quelque camp que ce soit.
Prenons Hitler. De son propre point de vue, il avait parfaitement raison. Il s’imaginait sincèrement que les Juifs étaient une maladie à éradiquer, qu’ils avaient contribué à la défaite de l’Allemagne en 1918, qu’ils faisaient le malheur d’un peuple, les Allemands, qu’il croyait aimer sincèrement et au profit duquel il avait résolu la plus grave crise économique jamais vécue. « Hitler avait déjà trouvé le moyen de guérir le chômage avant que Keynes n'eût fini d'en expliquer la cause » cite l’économiste John Kenneth Galway3… Son désir de débarrasser l’Allemagne de cette catégorie de nuisibles qui, à ses yeux, n’étaient pas humains, était justifié.
Autre exemple de la manière dont on peut et doit prendre en compte le point de vue adverse (ce qui n’équivaut en rien à l’avaliser), c’est Jabotinsky comprenant parfaitement la justesse de la cause des nationalistes arabes opposés au sionisme :
« À Paris, nous voyons de jeunes Arabes d'Égypte, de Tunisie, de Palestine et ce sont des jeunes gens purs et bons. Un mouvement national existe. Il est évident que la jeune génération arabe aime profondément sa patrie, comment douter dès lors qu'ici aussi il y ait une génération arabe qui rêve avec tout autant de pureté à une nation future? Je ne compare pas leur mouvement au nôtre. Nous pouvons supposer que notre justice fait contrepoids à leur idéalisme. Mais puisque le nationalisme arabe existe, et qu'il y a une présence juive forte et active en Palestine qui suscite des sentiments d'envie, pourquoi les chefs du Yishouv ne prêtent-ils pas plus d'attention à ce qui peut se passer dans un avenir proche ou plus lointain?»4
Même chose chez Ben Gourion5, en 1936, qui envisageait avec une grande lucidité la justesse relative des motivations de ses adversaires :
« Les Arabes voient exactement le contraire de ce que nous voyons. Le problème n’est pas de savoir si leur vision est juste ou pas. Ils voient une immigration immense. Ils voient les Juifs se renforcer économiquement. Ils voient les meilleures terres passer entre nos mains. Ils voient l’Angleterre identifiée au sionisme.»
Enfin, dernier exemple de la relativité du point de vue, l’argument propalestinien selon lequel les Arabes n’avaient aucun raison d’accepter l’arrivée sur leurs terres d’Européens étrangers qui n’avaient rien y faire, qui fuyaient des persécutions desquelles ils n’étaient pas responsables, de sorte qu’ils concevaient l’arrivée des Juifs comme un grand remplacement !
JUSQU’À ELIAS SAMBAR : « POUR NOUS REMPLACER CHEZ NOUS. »
Ce dernier argument ne vous rappelle rien ? C’est mutatis mutandis l’argument raciste du « grand remplacement », et la justification aujourd’hui de l’Europe qui décide de laisser crever les émigrés en Méditerranée sous prétexte qu’ils ne sont pas de chez nous. Vous n’êtes pas d’ici rentrez chez vous ! Nassés en Europe durant le IIIème Reich, des milliers de Juifs sont morts parce que les Arabes firent pression sur les Anglais pour limiter les quotas d’immigration, considérant les Juifs comme de parfaits étrangers venus les supplanter.
Non seulement cette attitude consistant à laisser crever à la frontière de pauvres hères qui demandent le secours est celle des pires racistes aujourd’hui, mais ce geste si peu charitable est encore moins justifiable dans le cas du Moyen-Orient puisque d’une part les Juifs, à leur manière unique et incomparable, étaient liés à cette terre spirituellement et historiquement, et d’autre part parce que le fantasme de remplacer ou de supplanter les Arabes n’a jamais effleuré l’esprit des fondateurs du sionisme. On l’analysera en détails aussi lors des prochaines séances
MONTRER LES LIVRES DONT JE M’INSPIRE
Pourquoi consacrer un séminaire spécifiquement à l’antisionisme ?
D’abord parce que le conflit israélo-palestinien n’est pas étranger à la thématique originelle de mon séminaire, le Génocide – y compris aujourd’hui, et donc pas exclusivement au sens du rapport (complexe) entre la Shoah, le Sionisme, et la création de l’État d’Israël.
Je rappelle à cette occasion ma conception d’un génocide6 : J’appelle génocide un projet de massacre en grand nombre – attisé par l’idée du nombre, avec l’extermination comme horizon, jusqu’à l’éventuelle extermination (mais ce n’est pas l’extermination en soi qui détermine le caractère génocidaire d’une idée, elle en est la conséquence lorsque le projet aboutit) – qu’il soit fantasmatique et de l’ordre du seul désir (Aman dans le rouleau d’Esther), ou bien élaboré intellectuellement (la planification et l’organisation de la destruction des Juifs d’Europe), et bien sûr lorsqu’il est appliqué concrètement (les génocides des autochtones d’Amérique du Nord) –, projet assisté par la technique – y compris la technique de propagande moderne (la presse, le cinéma, la télévision, internet, etc.).
Si je m’en tiens à ma définition, la Terreur est un moment génocidaire de l’histoire de la Révolution française (l’aspect spécifiquement technique en l’occurrence étant bien sûr la guillotine), pas le massacre de la Saint-Barthélemy.
Ou, pour donner tout de suite une illustration dans le contexte israélo-palestinien : le « pogrom » de Jérusalem en 1921 (dont je vais reparler) est un lynchage traditionnel (avec une foule excitée au meurtre d’innocents), tandis qu’est génocidaire la déclaration d’octobre 1947 du Pacha Abdul Rahman Hassan Azzam7, premier secrétaire général de la Ligue Arabe, faite à un journal libanais pour marquer son opposition au projet de partage de la Palestine de mai 19478 :
« Je souhaite personnellement que les Juifs ne nous poussent pas à cette guerre, car ce sera une guerre d'extermination et de massacre capital dont on parlera comme du massacre des Tartares ou des guerres des Croisés. Je crois que le nombre de volontaires venant de l'extérieur de la Palestine sera plus important que la population arabe de la Palestine, car je sais que des volontaires nous arriveront d'aussi loin que l'Inde, l'Afghanistan et la Chine pour gagner l'honneur du martyre pour le bien de la Palestine... Vous pourriez être surpris d'apprendre que des centaines d'Anglais ont exprimé leur désir de se porter volontaires dans les armées arabes pour combattre les Juifs.
Cette guerre se distinguera par trois aspects sérieux. Premièrement, la foi : chaque combattant considère sa mort au nom de la Palestine comme le chemin le plus court vers le paradis ; deuxièmement, [la guerre] sera l'occasion d'un vaste pillage. Troisièmement, il sera impossible de contenir les volontaires zélés qui arrivent de tous les coins du monde pour venger le martyre des Arabes de Palestine, et qui considèrent que la guerre donne de la dignité à chaque Arabe et à chaque musulman dans le monde entier...
L'Arabe est supérieur au Juif en ce qu'il accepte la défaite avec le sourire : Si les Juifs nous battent à la première bataille, nous les battrons à la deuxième ou à la troisième bataille... ou à la dernière... alors qu'une seule défaite brisera le moral du Juif ! /…/ J'ai averti les dirigeants juifs que j'ai rencontrés à Londres de renoncer à leur politique, leur disant que l'Arabe était le plus puissant des soldats et que le jour où il dégainera son arme, il ne la déposera pas avant d'avoir tiré la dernière balle de la bataille, et que nous tirerons le dernier coup...
Je prévois les conséquences de cette guerre sanglante. Je vois devant moi ses horribles batailles. Je peux imaginer ses morts, ses blessés et ses victimes... Mais ma conscience est claire... Car nous n'attaquons pas mais nous nous défendons, et nous ne sommes pas des agresseurs mais des défenseurs contre une agression ! »
Les éléments fantasmatiques de désir génocidaire sont ici assez clairs. Cette phrase a été beaucoup discutée et en particulier le premier paragraphe sur les Tartares et les Croisés dont certains ont prétendu, pour dédouaner le pacha Azzam, qu’il désignait les Arabes eux-mêmes comme éventuelles victimes des nouveaux Tartares et Croisés. La suite du texte montre qu’il n’en est rien, et de toute façon le fantasme suicidaire fait partie du fantasme génocidaire, comme je l’ai montré lors de la 10ème séance du 27 septembre 2020 : Généalogie du génocide :
« Le génocide participe de la planification d'une animosité en suspens, c'est la mise en œuvre d'une adversité, réelle ou fantasmée…, le patient mûrissement, parfois pendant des siècles, d'une hostilité qui se décide à en finir avec elle-même en anéantissant l’adversaire. »
En l’occurrence, dès 1919, les membres du Conseil islamo-chrétien de Jaffa prévoyaient : « Nous pousseront les Juifs à la mer ou c’est eux qui nous pousseront au désert. »9
Et encore plus tôt, en 1913, dans une déclaration paranoïaque assez banale, le théologien syrien Muhammad Rashid Rida, fondateur de la revue Al-Manâr écrit : « Que celui qui ne connaît pas l’histoire et la religion de la nation (juive) sache que les sionistes, s’ils parviennent à leurs fins, ne garderont ni musulmans ni chrétiens sur la ‘‘Terre promise’’ où ils projettent de fonder leur nouvel État. »10
Un peu plus tard encore, en 1938 dans Le Réveil arabe de George Antonius, dont l’historienne Jihane Sfeir dans son étude Historiographie palestinienne, La construction d’une identité nationale11 écrit qu’il « jette les bases du nationalisme arabe » :
« Le concept d'arabité se cristallisa alors autour de la lutte contre ces puissances et du refus du sionisme. Entre tous, George Antonius se distingue par ses écrits: son ouvrage, The Arab awakening, jette les bases du nationalisme arabe. Il s'achève sur cette mise en garde: ‘‘Mais la logique des faits est inexorable. Elle montre qu'il n'y a pas de place en Palestine pour une autre nation, si ce n'est en déportant ou en exterminant celle qui y est actuellement implantée.’’»
Et à partir de « l’humiliation » de 1967, selon Jihane Sfeir toujours dans son Historiographie palestinienne :
« Chercheurs et historiens palestiniens de cette période furent marqués par les thèses marxistes qui les amenèrent à relire l'histoire de la Palestine dans des écrits politisés où le ton militant dominait. Ils offraient ainsi une approche totalement nouvelle de la structure de la société arabe palestinienne et de son histoire. Les débats engendrés par leurs écrits jetèrent les bases d'une identité palestinienne, fondée sur trois concepts : la lutte des classes contre l'oppresseur, riche propriétaire terrien en Palestine, qui a trahi son peuple en vendant ses terres à l'ennemi sioniste; l'opposition à l'immigration juive en Palestine et la présence britannique, alliée des sionistes; enfin, le combat contre Israël, Etat usurpateur de la terre nationale et entité diabolique visant à éradiquer le peuple palestinien. »
Ce dernier fantasme qui se mêle toujours, paranoïaquement, à tout discours génocidaire, est important à méditer parce que précisément je considère l’attentat-suicide, et même l’attentat terroriste tout cours, comme comportant un aspect inconsciemment génocidaire.
J’y reviendrai.
(À suivre)
Georges Bensousan, Une histoire intellectuelle et politique du sionisme 1860-1940, Fayard, 2002
L’argent, p.332, folio
Op. cit. p.479
Cité par Bensoussan, op. cit. p.515
Cité par Benny Morris, selon https://zionism-israel.com/dic/Arab_Revolt.htm
Historiographie palestinienne, La construction d’une identité nationale https://www.cairn.info/revue-annales-2005-1-page-35.htm cf. aussi L’exil palestinien au Liban : le temps des origines 1947-1952, IFPO/Karthala, Beyrouth/Paris, 2008