La nakba évoque donc un processus (l’exil d’une partie des Arabes de Palestine) dont les causes directes sont l’objet d’intenses polémiques et débats parmi les historiens qui s’écharpent (y compris entre historiens israéliens) : « nettoyage ethnique » (expression objectivement raciste) planifié et concerté par les dirigeants sionistes et les combattants juifs selon certains (et dans ce cas, dans le cas où l’on admet la version la plus officielle des antisionistes – lesquels n’ont pas, comme en Israël, de « nouveaux historiens » favorables à la version du camp adverse !1 – qui remet toute la responsabilité du conflit depuis toujours sur les sionistes, il reste à poser intellectuellement la question : pourquoi ? Pourquoi et comment des membres d’une communauté persécutée depuis des siècles deviennent des persécuteurs ? Y a-t-il d’autres exemples dans l’histoire, etc.) ; conséquence de l’appel de la Ligue arabe à ne pas gêner les opérations militaires selon les autres ; fuite par terreur des combats ; effondrement de la société civile palestinienne…
Les positions respectives sont assez bien résumées sur Wikipédia à l’article « Exode palestinien de 1948 »2 auquel je vous renvoie donc pour les dates et les chiffres.
J’y reviendrai aussi bien entendu, ainsi que sur le plan militaire Daleth3 de 1948, programme de « nettoyage ethnique » selon l’historien Ilan Pappé, ou « plan de préparation militaire face à l’offensive arabe à venir » selon Yoav Gelber, Benny Morris, et même Henry Laurens, lauréat du prix Mahmoud Darwich en 2021, qui n’est pas soupçonnable de favoritisme sioniste….
Voici un autre avis par l’historien Efraïm Karsh, dont Daniel Pipes rend compte de l’essai anglais La Palestine trahie4, selon qui « il n'y avait rien d'inéluctable au sujet de la confrontation entre Juifs et Palestiniens, sans parler du conflit israélo-arabe », et pour qui les responsabilités du désastre incombent exclusivement aux leaders arabes, contre le sentiment plus accommodant des populations arabes même :
« Loin d'être les malheureuses victimes d'un assaut du prédateur sioniste, ce sont les leaders arabes palestiniens qui, dès le début des années 1920, et contrairement aux aspirations de leur propre base <je souligne>, lancèrent, dans le but d'oblitérer la renaissance nationale juive, une campagne acharnée qui culmina dans la tentative violente de faire avorter la résolution de l'ONU sur le plan de partage. »
Quant à la nakba, voilà le résumé qu’en fait Pipes :
« Les Palestiniens s'enfuirent dans des circonstances très diverses et pour des motifs variés. Les commandants arabes firent dégager les non-combattants qui se trouvaient sur le chemin des manœuvres militaires ; soit ils menacèrent les retardataires qui restaient sur place des traitements réservés aux traîtres ; soit ils demandèrent que les villages soient évacués pour améliorer leurs positions sur le champ de bataille ; soit ils promirent un retour en toute sécurité dans un délai de quelques jours. Certaines communautés préférèrent fuir plutôt que de signer une trêve avec les sionistes ; selon les termes du maire de Jaffa, ‘‘la destruction de Jaffa ne me pose pas de problème si nous obtenons la destruction de Tel Aviv’’. Les agents du mufti attaquèrent des Juifs en vue de provoquer les hostilités. Les familles qui étaient en mesure de le faire, fuirent le danger. Quand les ouvriers agricoles entendirent que leurs patrons seraient punis, ils craignirent d'être expulsés et prirent les devants en abandonnant les terres. D'âpres luttes intestines entravèrent les plans. Le manque de nourriture et d'autres biens de première nécessité se propagea. Des services tels que le pompage de l'eau furent abandonnés. La crainte de bandits armés arabes se répandit, tout comme les rumeurs d'atrocités commises par les sionistes. »
Pour tâcher de mieux comprendre ce qu’est censée désigner la nakba – non pas tant historiquement, puisqu’on voit qu’il ne s’agit pas d’un événement précisément repérable – mais imaginairement, dans l’imaginaire collectif arabe, je vais vous citer l’historienne spécialiste du Liban Jihane Sfeir, auteur de L’exil palestinien au Liban : le temps des origines 1947-19525, qui distingue la nakba, comme « mythe historique fondateur », du « fait historique réel, l’exode, (al hijra) » et de « la vie en exil (al-ghourba) » des Palestiniens.
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