Avant d’en venir à la guerre des dates (évoquée lors de la première séance de l’année, en septembre 2021), examinons un exemple fameux de la guerre des mots1 qui hante le conflit israélo-palestinien : l’usage du terme arabe Nakba, « Catastrophe, Désastre », qui était encore peu employé avant les années 1990, et qui recouvre désormais toute la tragédie palestinienne.
Cette distinction rhétorique entre la manière dont les Juifs conçoivent la création de l’État d’Israël et celle dont les Arabes la nomment, enrobée dans ses conséquences ultérieures jusqu’à aujourd’hui (voire antérieures à la Création proprement dite de l’État d’Israël) est très instructive.
Je vous cite un historien canadien, Neil Caplan ; dans The Israel-Palestine Conflict: Contested Histories2:
« Peut-être que le cas le plus célèbre de différences dans la dénomination d'événements est celle de la guerre de 1948 (plus précisément, celle des combats de décembre 1947 à janvier 1949). Pour les Israéliens, il s'agit de leur ‘‘guerre de Libération’’ ou ‘‘guerre d'Indépendance’’, (en hébreu, milhemet ha-atzma’ut) remplie de réjouissances et mettant l'accent sur la délivrance et la rédemption. Pour les Palestiniens, c'est al-Nakba, traduit par « la Catastrophe » et qui inclut la destruction de leur société et l'expulsion et la fuite de 700 000 réfugiés ».
Lire et commenter le tweet ci-dessous, qui illustre le degré zéro de la probité simplement historique…
Aujourd’hui, sur n’importe quel site antisioniste, on définit ainsi la nakba comme un processus ininterrompu jusqu’au blocus de la bande de Gaza. Voici un premier récit trouvé sur le site du « Mouvement Démocratique Arabe Assawra »3, en 2013, site sur lequel la Nakba est qualifiée de « crime fondateur qui se poursuit tous les jours » :
« Le 15 mai 1948, la Palestine est rayée des cartes au lendemain de la proclamation de l’Etat d’Israël que la communauté internationale s’est empressée de reconnaître. Dans les mois qui ont précédé et suivi ce jour funeste, des centaines de villes et villages palestiniens furent détruits par les forces armées sionistes, forçant deux tiers de la population palestinienne à prendre la route de l’exil.
La Nakba (catastrophe) palestinienne n’est pas juste une période révolue, c’est une entreprise systématique de déracinement des Palestiniens de leur terre et de répression pour les priver de toute expression politique propre.
Preuve en est, les nombreux massacres commis par l’Etat colon depuis 1948. Preuve en est, la colonisation continue en Cisjordanie et l’épuration ethnique qui se poursuit encore aujourd’hui, à Jérusalem ou dans le Naqab (Néguev). Preuve en est, du blocus et des bombardements que les habitants de Gaza subissent depuis plusieurs années. Preuve en est encore, du Mur qui défigure la Palestine, privant les Palestiniens de leurs terres et participant à la ghettoïsation de régions entières.Cette agression a rencontré une résistance elle aussi continue, en se réorganisant sans cesse dans l’exil ou sous occupation.
Nous l’avons vu à Gaza en novembre dernier ; la résistance palestinienne a su faire face à l’ennemi malgré le blocus et les bombardements. Nous la voyons dans les prisons de l’occupant, les prisonniers palestiniens armés de leurs simples estomacs, ont mené des grèves de la faim qui ont fait reculer l’ennemi plus d’une fois.
Nous le voyons aussi, chaque semaine dans les campagnes où les paysans palestiniens manifestent contre les colons armés, et luttent contre l’expropriation de leurs terres.
65 ans déjà. Plusieurs générations se sont succédées, mais la mémoire palestinienne n’en reste pas moins vive, et la jeunesse palestinienne est aujourd’hui marquée dans sa chair et dans son sang par un désir de résistance, de retour et de libération. »
La rhétorique est immédiatement reconnaissable, il s’agit d’une démonstration d’évidence : « preuve en est » et « nous le voyons ». Or ce qui n’est pas dit, c’est que s’il faut apporter des « preuves », c’est bien qu’il y a litige, et s’il y a litige, c’est bien que le phénomène sur lequel porte ce litige est contesté (par les Juifs, les Israéliens et les sionistes, bien entendu). Or, fût-ce pour les contredire, il n’est rappelé aucun des éléments de la contestation, comme par exemple le fait que le 15 mai 1948 la Palestine n’est pas « rayée de la carte » (comme si une bombe atomique avait été lancée par les sionistes sur un lieu nommé « Palestine »), mais que l’État d’Israël, proclamé la veille, est attaqué et envahi sur toutes ses frontières par les armées de la Ligue arabe…
Autre récit en 2018 dans un journal censément neutre (il ne l’est évidemment pas) comme Le Monde4 :
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