L’autre raison de consacrer un cycle au sionisme et à l’antisionisme est qu’aujourd’hui, en 2022, le mystère de l’animosité antisémite demeure entier et n’a pas décru d’un iota dans le monde1.
J’ai déjà beaucoup parlé de l’antisémitisme dans ce Séminaire, et j’ai signalé mon hypothèse que la destruction de la Nature à laquelle on assiste aujourd’hui relevait d’une étrange rage métaphysique (dont l’attitude littéralement haineuse des hommes à l’égard des animaux est l’illustration la plus manifeste) qui n’était peut-être pas sans relation avec la rage génocidaire à l’encontre des Juifs au XXème siècle.
Or cet antisémitisme génocidaire (différent dans sa nature et ses origines du racisme biologique usuel, même s’il se sont en partie rejoints au XXème siècle dans l’idéologie nazie) s’est transmis à peu près sans rien perdre de sa virulence dans l’antisionisme militant, et cela depuis longtemps ; il faudra donc tâcher d’en débusquer la source dès l’éruption des premiers conflits entre Juifs et Musulmans dans la Palestine ottomane au début du XXème siècle.
D’autre part l’antisionisme m’intéresse en ce que je suis fidèle au premier principe de ce que Nietzsche appelait dans Ecce homo sa « pratique de la guerre » :
« Je n'attaque que des causes qui sont victorieuses, – au besoin j'attends qu'elles soient victorieuses. »
L’antisionisme est aujourd’hui très majoritaire dans l’opinion internationale. Cela ne transparaît pas nécessairement à la surface du spectacle, dans ce qu’en rapportent les médias en Occident, d’autant que la vision américaine du monde (plutôt favorable à Israël) domine les médias officiels, mais c’est une réalité idéologique que vient par exemple d’illustrer la très récente accusation officielle d’apartheid faite par Amnesty International à l’encontre d’Israël , laquelle accusation est « antisioniste » au sens où elle fait remonter ce crime aux origines mêmes de la création d’Israël en 1948 :
« Au fil des années, Israël a fait du pouvoir militaire un outil primordial dans l’établissement de son système d’oppression et de domination contre la population palestinienne des deux côtés de la Ligne verte, en l’appliquant à plusieurs groupes de Palestinien·ne·s en Israël et dans les TPO <Territoires Palestiniens Occupés> de manière quasi ininterrompue depuis 1948 – à l’exception d’un arrêt de sept mois en 1967 – pour développer des colonies juives dans des zones stratégiques et pour déposséder les Palestinien·ne·s de leurs biens fonciers et immobiliers sous prétexte de faire régner la sécurité <je souligne>. Israël a placé ses citoyens palestiniens sous un régime militaire pendant les 18 premières années de son existence (1948-1966) et a recouru à cette période aux règlements d’exception en matière de défense datant du mandat britannique, qui lui accordaient toute latitude pour contrôler les déplacements des Palestinien·ne·s, confisquer leurs biens, évacuer des villages entiers pour en faire des zones militaires, démolir leurs logements et les juger dans des tribunaux militaires. »2
Les faits rapportés sont peu ou prou exacts (le pourquoi et le comment de tout cela se discute), mais la formule « sous prétexte de faire régner la sécurité » prend un parti antisioniste (anti-israélien si l’on préfère, au sens où, du point de vue israélien, les Palestiniens sont des ennemis, vaincus mais toujours adverses en raison de l’échec de tous les plans de paix – par exemple l’évacuation de la bande de Gaza en 2005, prévue dans le cadre des accords de paix d’Oslo dès 1993, est un parfait fiasco qui n’est pas de nature à inciter les Israéliens à relâcher leur domination sur la Cisjordanie)…
Je voudrais maintenant exposer quelques considérations concernant ce que ne sera pas mon propos.
Étant juif, mon propos ne sera pas neutre. Comme l’immense majorité des Juifs dans le monde, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, je suis personnellement très heureux de la création de l’État d’Israël, sachant que je me sentirais aujourd’hui dans mon propre pays moins en sécurité si cet État juif avec son armée juive au Moyen-Orient n’existait pas. Cela étant dit, je montrerai aussi qu’aucun propos ne peut jamais l’être – et moins qu’ailleurs concernant ce conflit-là.
Mon propos ne sera pas politique. Je récuse pour penser le sionisme et l’antisionisme les termes de « droite», d’« extrême-droite », de « gauche » et d’« extrême-gauche », répartition spatiale ridicule et réductive – qu’on songe au « national-socialisme », et aux militants communistes allemands devenus transfuges vers le nazisme. Cette répartition née en Europe, dans un contexte parlementaire qui a disparu depuis belle lurette, ne s’applique nullement à la complexe réalité politique israélienne que rabougrit ce vocabulaire paresseusement journalistique (y compris en Israël). Ce qui est sûr c’est qu’Israël est aujourd’hui une démocratie néo-libérale très influencée par la sous-culture américaine, et comparable à cet égard à n’importe quel pays d’Europe de l’Ouest.
Mon propos ne sera ni idéologique (je pense les choses, je les questionne, ce que font assez peu les sionistes épidermiques comme les antisionistes), ni militant (je n’entends convaincre personne), ni, surtout, historien.
J’en viens maintenant au titre de cette séance : « L’Histoire, ça n’existe pas. »
L’Histoire est en effet un concept historiciste – au sens où l’« intelligence artificielle » est un concept cybernétique, c’est-à-dire reposant sur les préconceptions auto-performatives de la cybernétique concernant le corps, l’âme, la nature humaine, la nature, le temps et l’espace, etc. –, concept (celui d’ « histoire ») auquel je n’adhère que très superficiellement, y compris pour juger et méditer des événements pourtant incontestablement « historiques ».
Voici ce que j’écrivais en 2014, dans un texte intitulé L’Histoire ça n’existe pas (dont je vous épargne les circonstances : un email reçu d’un jeune internaute algérien lié au conflit avec Gaza):
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