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Préambule, email de Dimitrios Kraniotis :
Επος Λόγος Μῦθος
C’est plutôt Επος qui désigne Poésie et non pas Μῦθος.
Μῦθος est un mot qui a la même racine que μύησις initiation, μυστικό secret, μύθευμα conte-récit, μυθέω se dire à soi-même.
Λόγος ne désigne pas seulement la raison mais aussi et surtout la parole, le rapport.
Παλαιός
Ce n’est pas Platon qui a inventé la philosophie.
La philosophie a existé avant Platon. Cf. Anaximandre, Thalès, Parménide, Héraclite etc.
D’ailleurs Platon désigne Parménide comme père; d’où parricide.
La manière discursive de la philosophie se trouve déjà, en bribes, dans la pensée poétique d’ Homère ou d’Hésiode.
Platon n’invente pas le conflit entre la Φιλοσοφία (=être attiré par la sagesse) et la Ποιητική (=l’art de la poésie). Il présente leur différence ontologique. Il ne ment pas.
Platon n’emploie pas les mots τυραννίς et τύραννος dans son acceptation moderne à savoir tyrannie/ tyran mais dans son acceptation usuelle de l’époque à savoir royauté, roi.
Le fait que Platon introduit des mythes aux moments cruciaux du développement de sa pensée est un signe, me semble-t-il, qu'il reconnait les limites et les insuffisances de la méthode dialectique.
Commentaire et réponse faite oralement :
J'ai conclu la séance de la dernière fois sur l’hypothèse d'une animosité à la racine du différend (diaphora) inscrit au cœur du λόγος – dont Platon fournit le modèle en Occident –, entre l’Idée (Eïdos) et la Parole, comme, dans la Bible, la confrontation, symbolisée par le Buisson ardent, entre le Voir et le Davar1.
Je vais tâcher aujourd'hui d'étayer cette intuition en examinant la manière dont l'Idée transmet son modèle visuel de Platon à Aristote, puis à l'ensemble du monde chrétien, cela en se détournant du judaïsme, puis en se retournant carrément contre lui.
On trouve chez Jean Beaufret, dans ses Dialogues avec Heidegger2, une assimilation entre la philosophie et le regard, à propos de la Métaphysique3 d'Aristote, dont Beaufret rend les premiers mots par « une certaine optique qui, d’ensemble prend en vue l’étant par où il est ». Que veut dire Beaufret en parlant d'"optique" à propos de la philosophie ? Et pourquoi ajoute-t-il aussitôt :
« Être capable d’une telle optique, c’est être philosophe. »
Il faut commencer par examiner le concept charnière qui se transmet de Platon à Aristote, qui est celui de l'eidos, l'Idée, lequel vient du verbe eidô, qui signifie d'abord "voir", puis "observer, examiner", "avoir une entrevue", et enfin, au sens figuré, "se représenter", "se figurer", et chez Platon, dans la République, "se représenter par la pensée", idein tè dianoia.
Heidegger commente le mot eidos, dans « Ce qu’est et comment se détermine la phusis »4:
"Eidos veut dire l’air, le visage que fait une chose et un étant en général – mais ce visage en tant que ce qui est en vue dans le regard, la vision, la vue (idea) qu’elle offre, et qu’elle peut seulement offrir parce que l’étant, en ce visage, est mis en évidence et, se tenant en lui-même, avance à partir de soi dans la présence, c’est-à-dire est. Idea est le vu de ce qui est en vue, non pas au sens où il ne serait tel que grâce au voir ; idea est ce qui offre au voir un visible : c’est le donnant-vu, le visageable. Seulement, Platon, pour ainsi dire subjugué (überwältigt) par son déploiement, saisit l’eidos lui-même à son tour comme quelque chose qui s’avance pour soi dans la présence, et ainsi comme commun (koïnon) aux « étants » qui « ont » ce visage-là ; par là, le particulier (das Geeinzelte), en tant que subordonné et dépendant par rapport à l’idea (interprétée comme le proprement étant), est déclassé au rang de non-étant. »
Ce qui s’énonce ici, c’est le rapport inédit inauguré par Platon, « subjugué » comme l’écrit Heidegger – dont le terme überwältigt est d’ailleurs encore plus violent, signifiant « dompté », « vaincu », « réduit », « accablé » … –, entre d’une part le savoir conçu comme voir s’activant en reflet en direction de l’étant défini comme « ce qui offre au voir un visible » –, et d’autre part l’étant lui-même comme universel – soit ce qui participe au koïnon (le commun), au panta (la totalité), et au katholou (l’ensemble).
Ce qui n’est pas universel – le particulier, das Geeinzelte – n’a du coup pour Platon pas lieu d’être. Au sens propre son seul lieu est le non-être. Accablé par l’étant qui s’avance en un « visage » particulier et incomparable à chaque fois – tandis que la phusis qui lui offre l’être se retire et se dissimule (conformément au fragment 123 d’Héraclite5 –, Platon se rebiffe et, par une sorte d’agressivité pendulaire, lance à l’assaut des étants particuliers son Idée universalisante. Expulsé hors de l’universel, le particulier est annihilé. L’Idée peut dès lors le supplanter sans plus rencontrer d’opposition ni d’énigme.
Venons-en maintenant aux premiers mots de la Métaphysique, où réapparaît le mot et l'idée de l'eidos pour comprendre comment Platon passe le relais du regard universel à Aristote:
Traduction classique de Victor Cousin (1838):
"Tous les hommes ont un désir naturel de savoir, comme le témoigne l’ardeur avec laquelle on recherche les connaissances qui s’acquièrent par les sens. On les recherche en effet pour elles-mêmes et indépendamment de leur utilité, surtout celles que nous devons à la vue ; car ce n’est pas seulement dans un but pratique, c’est sans vouloir en faire aucun usage, que nous préférons en quelque manière cette sensation à toutes les autres ; cela vient de ce qu’elle nous fait connaître plus d’objets, et nous découvre plus de différences."
(À suivre)
דָבַר : parole-chose
Dialogue avec Heidegger, Philosophie grecque, p.22
Métaphysique A 980a
Questions 1 & 2
Phusis kruptesthai philei, « la phusis aime se dissimuler » : Commentaire de Jean Beaufret : « De même que la lumière issue de la flamme a pour centre vivant, comme on peut l'observer en toute flamme, que celle-ci retourne à l'invisible, de même à l'éclosion universelle qu'est la phusis il appartient de demeurer inapparente et retirée au sein de l'ombre. », op. cit.