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Traduction de Bernard Sichère :
"Ce à quoi tendent tous les hommes de par leur règne, c'est prendre en vue <eidenaï, usuellement traduit par "savoir">. Un indice en est que nous chérissons nos perceptions. Nous chérissons en effet ces perceptions pour elles-mêmes indépendamment de l'usage que nous pouvons en avoir, et plus que toutes celles qui nous viennent par le moyen de la vue. Et ce n'est pas seulement pour agir, mais même lorsque nous ne nous proposons d'agir en rien, que nous préférons pour ainsi dire le sens de la vue à tous les autres sens. La raison en est que, de toutes les perceptions, c'est celle qui nous met le plus à même de prendre connaissance et qui nous rend visibles une multitude différences."
Voici la justification de sa traduction de eidenai par "prendre en vue" que donne en commentaire Bernard Sichère:
"Eidenai est l'infinitif parfait du verbe eidô, «je vois». Il ne faut pas, toutefois, considérer cela comme une simple remarque technique, mais plutôt comme ce qui d'emblée nous place au cœur d'une pensée qui donne à ce qui nous apparaît, dont notre faculté de «voir» est le medium par excellence, le primat sur toute autre considération, notamment d'usage, d'utilité ou de profit, comme la suite du texte le marque clairement. Un primat qui est de toute évidence antérieur à la distinction entre ce qui est «objectif» et ce qui est «subjectif»: voir, en effet, c'est avoir les yeux grands ouverts sur le monde tel qu'il se donne à voir. En somme, que la pensée «voie» n'est pas une métaphore. «Savoir» n'est rien d'autre, par conséquent, que la résultante plus ou moins élaborée de cette disposition première par quoi commence la Métaphysique d'Aristote."1
Quant au mot eidos, qui apparaît dans le texte d'Aristote quelques lignes plus bas (avec le mot kathoulou sur lequel je vais revenir) voici le commentaire qu'en fait aussi Bernard Sichère :
"Eidos est «le» mot de la pensée platonicienne par excellence. Puisque le débat conduit par Aristote est au plus haut point un débat passionné avec cette pensée, il est également au plus haut point un débat avec ce mot. Si ce que nous disons de eidenai comme «avoir vu» ou «prendre en vue» est vrai, alors il faut dire la même chose de eidos: il n'a jamais été question ici d'une «idée», c'est-à-dire de quelque chose de subjectif renvoyant à la dimension de la «représentation», mais plutôt de la face que quelque chose nous présente, et il en est de même pour l'autre mot platonicien, idea, qu'Aristote considère manifestement comme un synonyme du premier. Nous ne sommes pas ici dans une logique abstraite ni dans une philosophie de la conscience, mais dans une phénoménologie où il en va de la relation dense, tendue, entre un «se montrer» (ta phainomena) et un «prendre en vue» (eidenai) qui s'accomplit spécifiquement dans la dimension recueillante du logos."2
« Être capable d’une telle optique », commente Beaufret, « c’est être philosophe », avant de remarquer que cette panoptique de la pensée recourt au mot katholou, « ensemble » ("Le savoir-faire survient lorsqu'à partir de nombreuses notions issues de l'expérience naît une unique conception d'ensemble (mia katholou hupolêpsis) portant sur des réalités semblables." 981a), « d’où vient notre mot catholique » ajoute comme en passant Beaufret3. Étrangement, que ce soit volontaire ou non, Beaufret ne met pas le mot « catholique » entre guillemets, ce qui laisse ouverte l’hypothèse que le mot « mot », en Occident, soit baptisé dès la naissance…
Comment comprendre ce rapport entre l'optique et l'universel inauguré par Aristote, et où se niche exactement, dans ce rapport, l'animosité à l'encontre de la Parole-chose juive ?
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