NAISSANCE D’UN NOVLANGUE : HITLÉRISME ET ANTISIONISME
De l’antisionisme 5, 45ème séance, 19 octobre 2022
La séance précédente a commencé par ce que j’ai qualifié d’attentat à la chose-mot, et s’est achevée sur la mère crocodilesque selon une métaphore de Lacan, en passant par l’amalgame fantasmatique des Juifs et des femmes dans l’imaginaire musulman, et par mon analyse de ce que cet amalgame pouvait enseigner concernant la jouissance morbide vis-à-vis du dhimmi.
CONSIDÉRATIONS SUR LE NIHILISME
Aujourd’hui, pour montrer que ces considérations un peu abstraites ont des répercussions très concrètes dans la réalité antisioniste contemporaine, nous allons faire quelques travaux pratiques, découpés en deux parties (la séance d’aujourd’hui, et la prochaine, qui constitueront donc une triade théorique avec la séance de la dernière fois).
Aujourd’hui, je vais examiner les tenants idéologiques du non-lapsus de Mahmoud Abbas à Berlin en août dernier, lequel, agacé par une question sur les massacres des athlètes israéliens aux JO de Munich en 1972, a évoqué « 50 Holocaustes » perpétrés selon lui par Israël…
Quant à la mère crocodilesque dont il sera question lors de la prochaine séance (je n’avais cité que la mère de Mohamed Merah, Zoulikha Aziri1,
comme cas typique la dernière fois), on verra, avec la mère-crocodile palestinienne, qu’il ne s’agit pas seulement d’une métaphore de l’imperméable Oumma, la « Mère des Croyants » soit l’immense communauté musulmane assimilée étymologiquement à la mère (oum en arabe), mais très pragmatiquement des mères des suicidaires palestiniens se réjouissant fanatiquement et, on peut l’imaginer, jouissant morbidement du sacrifice de leurs fils.
On comprendra de la sorte par ces références à la fois historiques et très récentes, comme mes remarques ne sont nullement anecdotiques ni exagérément abstraites, comme elles trouvent au contraire leurs plus patentes illustrations dans le discours et la politique palestiniens aujourd’hui en 2022.
Ce qu’il s’agit d’entrapercevoir, c’est qu’il y a un rapport entre d’une part la rhétorique antisioniste usuelle – qui a pris divers masques et diverses formes au cours des décennies, des diatribes antisémites du Mufti de Jérusalem au BDS et à Amnesty International aujourd’hui, mais qui en réalité n’a pas varié d’un iota depuis les tout débuts (1917), pour la raison que sa structure intellectuelle est engoncée, enkystée, nécrosée, incapable de se distancier d’elle-même pour s’auto-critiquer, incomparable avec les mille polémiques qui opposèrent dès le début les sionistes entre eux sur la manière de se penser comme juifs, ou les mille polémiques qui aujourd’hui en Israël opposent les historiens sur la manière de se penser comme israéliens et comme juifs (Shlomo Sand, Ilan Pappe, etc.), et qui sont tout à l’honneur de la vie intellectuelle en Israël –; il y a une relation causale, donc, entre cette rhétorique qui relève de la dévoration des choses-mots de l’autre (dont la genèse est selon moi dans la substitution coranique du nom « Ismaël » au nom « Isaac »2), et d’autre part un imaginaire consubstantiellement génocidaire dont l’envers est une téléologie nihiliste concrètement suicidaire (maquillée sous la notion de shaïd, « martyr »), revendiquée dans le cas de l’attentat-suicide comme dans celui du « suicide » du nationalisme palestinien – lequel est intégralement responsable de la non-existence d’un État palestinien aujourd’hui, et de l’impossibilité de parvenir à la paix avec les Juifs.
Que le fond de l’affaire ne soit pas territorial, c’est ce qu’admet assez candidement un antisioniste buté et confus, Youssef Boussoumah (dont je reparlerai lors de la prochaine séance sur les mères crocodiles), qui explique sur sa page Facebook en statut public le 3 novembre 20213 dans une longue lettre ouverte en réponse à un « ami anarchiste athée inquiet du retour du religieux musulman et chrétien» :
« S'imaginer que les fedayin palestiniens, se battent simplement pour un bout de terre qu'ils disputeraient aux sionistes, c'est ne rien avoir compris à leur lutte. C'est la recherche de leur dignité d'homme que le sionisme leur a ravi qui est le moteur de leur cause. Sinon ils auraient accepté depuis longtemps n'importe lequel des plans de compensation qu'on leur propose depuis 60 ans. »
« Certes », écrit Nathan Weinstock, « Eric Hobsbawm et Terence Ranger nous ont démontré qu'il n'existe sans doute guère de tradition qui n'ait été dans une certaine mesure ‘‘inventée’’; Benedict Anderson que toute nation est jusqu'à un certain point le produit d'une ‘‘communauté imaginée’’. Mais dans le cas des Palestiniens on ne peut que constater que la conscience nationale arabe palestinienne – qui s'est cristallisée par opposition à l'émergence d'une nation néo-hébraïque en Terre Sainte et en réaction à celle-ci – s'est coulée d'emblée dans le moule de la conception haineuse du Juif comme ‘‘chien’’, vision née de la dhimmitude, complétée par la tradition anti-judaïque des Églises chrétiennes d'Orient, ‘‘enrichie’’ par l'apport de l'antisémitisme occidental. »4
Il n’est ainsi pas impossible que la structure profonde du Coran et de la Sira, vérité dogmatique de substitution aux mots-choses des Juifs (Ismaël substitué à Isaac comme fils d’Abraham préservé du sacrifice par la « ligature » : ‘aqeda en hébreu et ‘aquidah en arabe!), soit à la racine de la fascination djihadiste pour la mort (ce « culte érotisé que les Palestiniens rendent à la mort » selon Weinstock) et pour les mots de la mort – qui sont comme des énoncés prédateurs répondant et traquant les très vivantes et vivifiantes choses-mots inscrits dans le Texte des Juifs, « car c’est la vie pour ceux qui les trouvent » énonce de ses paroles Salomon dans les Proverbes5.
On a une équivalence de cette problématique, qu’il faudrait approfondir, dans le culte rendu au sacrifice humain du Christ dans le christianisme, dont le corps et le sang, selon la théologie catholique, sont censés être ingérés dans l’eucharistie.
L’attentat-suicide palestinien serait en somme la version djihadiste de l’eucharistie, la Mère Crocodile musulmane y tenant le rôle du Père sacrificateur du Fils catholique, comme cela est assez clair en Luc 22, 42 : « Disant: Père, si tu voulais bien, retire cette coupe de moi: toutefois, non pas ma volonté, mais que la tienne soit faite. »
C’est ici selon moi que se noue l’alliance sacrificielle entre l’antijudaïsme catholique et l’antijudaïsme islamique, laquelle sans doute permet seule d’expliquer la collusion extrême entre les antisémitismes chrétien et musulman en Palestine à l’arrivée des premiers sionistes.
Mais revenons à des considérations plus terre-à-terre. Il y a au fond une constatation toute simple à faire, quand on connaît bien l’histoire et la géographie de cette région, une constatation que le discours et l’idéologie antisionistes font tout pour refouler et contrecarrer, qui est celle-ci :
Il y avait largement de la place dans la Palestine ottomane et dans la Palestine mandataire – avant l’amputation artificielle de la « Palestine Est » renommée l’Émirat Hachémite de Transjordanie en avril 1921, puis le Royaume Hachémite de Jordanie en 1946 –, pour que les deux peuples y vivent en paix (y compris dans l’éventualité improbable où tous les Juifs du monde auraient immigré en Eretz Israël avant la Seconde guerre mondiale) dans deux États séparés (sans empêcher par ailleurs l’éventualité parallèle d’une présence juive dans l’hypothétique État musulman et d’une présence musulmane dans l’État juif comme c’est le cas aujourd’hui en Israël).
MONTRER LES DIFFÉRENTES CARTES SUCCESSIVEMENT
La carte antisioniste usuelle censée tout résumer du conflit conçu comme grand grignotage et grand remplacement des Arabes par les Juifs est désormais célèbre (ici brandie par Mahmoud Abbas en 20206 :
C’est une image qui a l’avantage idéologique d’oblitérer toutes les guerres et toutes les propositions de partage – à commencer par la Déclaration Balfour de 1917 –, qualifiant de « compromis historiques » palestiniens les résultats de guerres génocidaires systématiquement perdues par la Ligue Arabe de 1948 à 1967 !
La paix ne s’est pas faite parce que les Arabes musulmans et chrétiens de la région ne l’ont jamais désirée. Et pourquoi ne l’ont-ils pas désirée ? En grande partie à cause de leur animosité séculaire contre les Juifs – quelles que fussent les concessions et les divers arrangements de paix proposés par les Juifs (et elles furent nombreuses). Il était tout bonnement impensable, inenvisageable pour la majorité des Arabes, de partager quoi que ce fût avec des dhimmis.
(À suivre)
Cf. les deux merveilleuses conférences de Paul Fenton suir Akadem :
Histoire de chiens, La dhimmitude dans le conflit israélo-palestinien, Op. cit. p.95
Proverbes 4 , 22