NAISSANCE D’UN NOVLANGUE : HITLÉRISME ET ANTISIONISME (2)
De l’antisionisme 5, 45ème séance, 19 octobre 2022
Il faut maintenant s’entendre sur ce qu’on appelle l’antisionisme aujourd’hui. Car il y a historiquement au moins quatre catégories d’antisionisme, dont certaines ont pu éventuellement fusionner, mais dont les sources sont diverses :
D’abord l’antisionisme juif religieux, qui date des premiers temps du sionisme politique. Il est lié à une conception messianique traditionnelle du destin du peuple juif, conception telle qu’un État juif moderne souverain, mettant prématurément fin à l’Exil inauguré avec la Destruction du Second Temple de Jérusalem sans avoir attendu la venue du Messie, est une hérésie spirituelle. Cet antisionisme autrefois très influent a été réfuté herméneutiquement par le Rav Kook au XXème siècle ; il ne constitue quasiment plus qu’une survivance exotique parmi quelques rares communautés minoritaires comme les Néturei Karta de Jérusalem, qui vivent en Eretz Israël mais ne reconnaissent pas pour autant l’État d’Israël, refusent la citoyenneté israélienne, refusent de passer des contrats avec les services publics israéliens, et vivotent dans une autarcie économique fragile mais qui ne les empêche pas de mener une existence spirituelle intense. L’État d’Israël, profondément tolérant concernant les coutumes et les facéties religieuses juives ou pas des uns et des autres, les admet à côté de tous les autres Juifs de Jérusalem, et ils peuvent paisiblement militer aux côtés des Palestiniens pour l’abolition de l’État d’Israël1.
Ensuite, l’antisionisme juif d’obédience marxiste, représenté au XXème siècle par le Bund socialiste – littéralement « L’Union générale des travailleurs juifs de Lituanie, de Pologne et de Russie »2. Le touchant utopisme auto-émancipateur yiddish du Bund n’était pas sans quelques points communs avec le sionisme, rêvant d’une nation juive à la fois émancipée dans le Yiddishland et reliée à la libération universelle du prolétariat international :
Wikipédia :
« Le Bund s'opposa fermement au sionisme, affirmant que l'émigration en Palestine n'est qu'une forme de fuite en avant. Lors de son 4e congrès, le Bund ‘‘considère le sionisme comme une réaction de la classe bourgeoise contre l'antisémitisme et la situation anormale du peuple juif. Le sionisme politique érigeant pour but la création d'un territoire pour le peuple juif ne peut prétendre résoudre la question juive, [...] ni satisfaire le peuple dans son ensemble’’.
En 1905, l'un des pères du marxisme russe, Gueorgui Plekhanov, définira dans une interview accordée au militant sioniste Vladimir Jabotinsky les bundistes comme ‘‘des sionistes qui ont le mal de mer’’. Le Bund n'est pas en faveur d'un séparatisme territorial de la communauté juive. Il suit les thèses de l'école marxiste autrichienne, ce qui l'éloigne encore plus des bolcheviks et de Lénine.
Le Bund met en avant l'utilisation du yiddish comme langue nationale juive et s'oppose aux efforts des sionistes de faire revivre l'hébreu.
Cependant, le Bund s'allie avec les sionistes socialistes et d'autres groupes pour former des milices d'auto-défense qui se chargeaient de protéger les communautés juives des pogroms et des actions gouvernementales pendant la révolution de 1905.
Avec la déclaration Balfour de novembre 1917 qui légitime la constitution d'un foyer national juif en Palestine, le sionisme gagne de l'influence au détriment du Bund. »
Les Bundistes et les Sionistes (très majoritairement travaillistes) étaient en désaccord non pas tant concernant l’idéal de leurs sociétés juives respectives (assez comparables en réalité) que concernant le lieu le mieux adapté au règlement de la question juive, dont tous les deux cherchent la clé : l’Europe ou la Palestine.
Bensoussan l’explique en citant le Quatrième congrès du Bund en Russie en 1901 :
« Pour le Bund, le sionisme n'est qu’une ‘‘fantaisie utopique’’, un nouvel ‘‘opium du peuple’’ qui détourne des vrais combats à mener, c'est un mouvement ‘‘bourgeois’’, lié aux cléricaux, et qui n’apporte qu’une réponse erronée à l'antisémitisme <je souligne>. La collaboration du sionisme avec quelques-uns des dirigeants religieux est exploitée par les courants socialistes juifs qui veulent y voir la ‘‘preuve’’ de sa nature ‘‘réactionnaire’’. ‘‘Le congrès considère le sionisme comme une réaction bourgeoise à l'antisémitisme et à l'absence de droits civiques en Russie’’, soutient le quatrième congrès du Bund en mai 1901. ‘‘Il considère que le but ultime du sionisme politique, c'est-à-dire l'acquisition d’un territoire pour les Juifs, est de peu de portée, car un tel territoire serait de toute façon incapable d'absorber même une partie de la nation juive, partant, il est incapable de résoudre la question juive. Par conséquent, qu’ils veuillent rassembler tout le peuple juif ou seulement une partie sur un territoire donné, les sionistes poursuivent un but utopique <je souligne, l’argument est davantage pragmatique qu’idéologique>. Plus encore, le congrès considère que le sionisme enflamme les passions nationalistes et entrave, ce faisant, le développement de la conscience de classe dans le prolétariat juif.’’»3
La querelle ne se réglera pas dans les imprimés qui prolifèrent et s’invectivent copieusement et narquoisement en yiddish ou en hébreu, mais dans le sang des pogroms de 1905 en Russie, puis dans les persécutions soviétiques des années d’après la révolution de 1917, récusant très concrètement l’argumentation bundiste, de moins en moins envisageable au fur et à mesure des décennies suivantes avec la montée des persécutions antisémites partout en Europe. Enfin la Shoah sonne définitivement le glas du Bund, d’une part étant donnée l’extermination d’une grande partie de ses adeptes, emportés dans l’abîme avec le Yiddishland, et surtout rendant caduque sa dialectique optimiste. Le sionisme ouvrier post-herzlien, plus pessimiste et pragmatique, devient incontestablement après la guerre la solution la plus plausible à la question juive pour l’immense majorité des Juifs du monde entier.
Or ces deux types d’antisionisme juif ont quasiment complètement disparu aujourd’hui. Les Juifs religieux se sont rangés en pensée aux arguments kabbalistiques extrêmement raffinés du Rav Kook et de ses disciples portant sur la question des rapports entre le Mal et le Bien, le Profane et le Sacré, l’Impur et le Pur dans les deux mondes (le spirituel et le matériel), et la polémique entre Bundistes et Sionistes a été rédhibitoirement arbitrée par l’extermination des Juifs d’Europe qui, je le répète, donna non seulement raison en pratique aux sionistes mais décima le Bund en immolant la majorité de ses membres.
Quant aux Juifs se proclamant aujourd’hui ouvertement antisionistes, comme les membres de l’UJFP, les auteurs des éditions de La Fabrique en France ou des types comme Chomsky et quelques autres, ils sont d’autant plus spectacularisés qu’ils servent de bonne conscience philosémite aux antisionistes occidentaux, mais ils n’apportent aucun nouvel argument à la dialectique de la cause palestinienne inaugurée dans les années soixante, déguisée de manière bouffonne par le truchement du KGB en anti-impérialisme révolutionnaire.
Cet antisionisme « idéologique », purement politique (non religieux), c’est celui que j’appelle l’antisionisme occidental, c’est-à-dire qu’il est principalement répandu aujourd’hui en Occident, dans les mouvements d’extrême-gauche d’une part, et que d’autre part son argumentation militante (à la BDS) n’est peaufinée qu’à destination du public occidental, principalement en feignant de se dissocier de l’antisémitisme européen traditionnel.
Le monde arabe, lui, n’a jamais fait tant de chichis, comme en témoigne l’emblème du Jaysh al-Inqadh al-Arabi « l'Armée de Libération Arabe » en 1947.
Il n’eut aucun scrupule ni aucune vergogne à avouer sa haine séculaire du Yahoud, son admiration pour Hitler, sa prise en considération au premier degré des Protocoles des Sages de Sion et de Mein Kampf et son adhésion à tous les stéréotypes antisémites européens et musulmans mêlés.
Bensoussan et Lewis en témoignent :
«À l'université du Caire, un professeur d'hébreu, Hassan Zaza, affirmait dans les années 1980 que les Juifs utilisaient le sang de non-Juifs à des fins rituelles. En août 1972, le roi Fayçal d'Arabie saoudite confiait à un journal égyptien que les Juifs, animés de ‘‘desseins criminels [...] pour se venger, un jour dans l'année, mélangent du sang de non-Juifs au pain qu'ils mangent. [...] Leur haine des non-Juifs et leur cruauté sont vraiment sans bornes (cité in B. Lewis, Juifs en terre d'islam, op. cit., p. 622).’’»4
Ces imbécillités séculaires n’ont jamais été remises en question en pays d’islam, où l’on peut observer, comme dans un vase clos, un antisémitisme hallucinatoire quasiment médiéval qui n’a jamais pris une ride.
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