NAISSANCE D’UN NOVLANGUE : HITLÉRISME ET ANTISIONISME (5)
De l’antisionisme 5, 45ème séance, 19 octobre 2022
Cet antisémitisme génocidaire arabe – qui fera dire à un Juif d’Irak après le Farhoud de 1941, qu’« au premier relâchement des lois et des contrôles, les musulmans retrouveraient leur âme d'égorgeurs »1 –, est une véritable découverte pour les nazis, qui vont évidemment profiter de cette bonne surprise dans leur propagande.
«Les appels au Reich se multiplient durant la révolte palestinienne. En décembre 1938, le responsable du secteur nord de la Palestine, Youssef Saïd Abou Durra, s'adresse à Hitler auquel il n'a pas ‘‘l'intention de présenter les Juifs. Vous les connaissez, eux et leur histoire, et vous les avez connus avant nous’’(ibid., p. 61).»2
Surtout, grâce à la radio, ils vont atteindre la population arabe analphabète, jusque-là ignorante de ce qu’écrivent ou traduisent les publicistes :
« Berlin émet en arabe sept jours sur sept. Des programmes ‘‘La Voix de l'arabisme libre’’ seraient très écoutés, au dire des services de renseignements alliés. En août 1941, un rapport américain estime à 90 000 le nombre de récepteurs à ondes courtes au Proche-Orient (dont 55 000 en Égypte, 24 000 en Palestine, 6000 en Syrie et 4 000 en Irak). En janvier 1942, on compterait 60 000 appareils en Égypte, 10 000 en Irak, 40 000 en Palestine, 20 000 en Syrie. Cette propagande touche au premier chef une population analphabète. »[3]
Ni les nazis ni les Américains ne s’attendaient à cette nouvelle donne, que les premiers vont exploiter à fond et qui feront aux seconds mettre en sourdine les revendications juives afin de ne pas perturber les versatiles alliés arabes des Anglo-Saxons3 :
« Erwin Ettel, revenu à la Wilhelmstrasse comme expert du Proche-Orient, note en 1942 que ‘‘la question arabe est indissolublement liée à la question juive. Les Juifs sont les ennemis mortels des Arabes, de même qu'ils sont les ennemis mortels des Allemands; celui qui en Allemagne s'occupe de politique arabe doit être un ennemi juré et absolu des Juifs’’. Analyse corroborée par l'armée américaine qui découvre au Maghreb l'ampleur de la passion antijuive. Après 1945, les généraux allemands Felmy et Warlimont déclarent dans leur déposition que ‘‘le seul point de ralliement politique parmi les Arabes était leur haine des Juifs’’.»4
Hitler, dès lors, devient très vite le grand homme du monde arabe (d’où le lazzi du Juif marocain à la Libération):
« Selon une source allemande du 2 février 1941, des prédicateurs persans auraient assuré que Dieu aurait envoyé au monde le 12ème imam sous la forme d'Adolf Hitler. À Téhéran, un éditeur publie un portrait du Führer figurant en second à côté d'Ali, ce qui assimile la lutte de Hitler contre les Juifs au combat du Prophète contre les tribus juives autour de Médine.»5
«Cette propagande assez grossière trouve un écho favorable dans la germanophilie des populations arabes depuis le Maroc jusqu'à l'Irak. La radio allemande demeurera écoutée jusqu'à la fin de la guerre, au point qu'en juillet 1944 un Tunisien francophile peut encore écrire : ‘‘Coupez le cœur d’un Arabe et vous y trouverez un petit Hitler’’. À plusieurs reprises, les militaires alliés rapportent avoir entendu à leur passage des ‘‘Vive Hitler!’’ et, au printemps 1943, quand les troupes alliées entrent à Tunis, le général gaulliste Catroux est choqué par l'hostilité de la population musulmane. »6
«’’Le seul homme présent en Allemagne’’, titre un journal irakien sous le portrait de Hitler. Des photos de celui-ci sont exposées dans des vitrines de commerçants. C'est le cas à Jenine (Palestine) en 1938 et à Bagdad en mai 1941. Un médecin français installé au Caire, sympathisant nazi, Schrumpf-Pierron, explique que ‘‘le monde musulman prête une force surnaturelle au Führer. On est convaincu qu'il a un djinn, c'est-à-dire un esprit serviable qui lui dit comment et quand il doit agir. Il est en outre le prophète contre les Juifs.’’»7
«Même enthousiasme au Kurdistan où le portrait de Hitler figure dans de nombreux cafés et restaurants, parce qu'il ‘‘avait les mêmes ennemis qu'eux- mêmes, témoigne un sous-lieutenant allemand: les Anglais et les Juifs’’.»8
«‘‘On accorde une confiance absolue aux promesses allemandes’’, rapporte le 6 novembre 1942 un collaborateur du ministère allemand des Affaires étrangères, qui poursuit: ‘‘La lutte contre le sionisme, et donc contre le judaïsme, est une entreprise que tous les Arabes approuvent et que certains soutiennent, selon leur tempérament. On voit dans le judaïsme l'ennemi héréditaire.’’ Pour parler de Hitler en public, les Arabes utilisent une série de pseudonymes, le dernier en date étant Hadj Nimr, ‘‘le Tigre’’. En Palestine arabe, il arrive qu'on se salue dans la rue par Heil Hitler! ‘‘La disposition extraordinairement germanophile des Arabes, rapporte Walter Schellenberg, s'explique essentiellement par l'espoir "que Hitler arrive" pour chasser les Juifs. »9
Même engouement nazophile de la population arabe dans tout le Maghreb :
«En Algérie, avant la guerre, le gouvernement général fait part du ‘‘désir symptomatique formulé par de nombreux élèves et étudiants algériens d'apprendre l'allemand’’. C'est là aussi qu'en 1933, pour stimuler la vente de ses produits au sein de la population musulmane, un industriel fait dessiner la svastika sur le papier de ses cigarettes. Des croix gammées sont peintes sur les murs, et dans les cinémas, à chaque fois qu'apparait l'image d'Adolf Hitler (aux actualités cinématographiques), la séquence déclenche un tonnerre d'applaudissements parmi les indigènes.
Rapportée par plusieurs sources diplomatiques, la sympathie arabe pour le Reich est patente au Maghreb. Des chansons aux titres explicites y circulent: ‘‘Hitler le magnanime, Hitler le rédempteur.’’.
En 1934, une biographie de Hitler paraît au Caire. On la trouve au Maroc l'année suivante, qui décrit une Allemagne ‘‘sous domination juive’’. Mais les accords de Munich (30 septembre 1938) tempèrent l'enthousiasme du monde arabe, rapporte le consul allemand à Jérusalem, Doehle, décrivant la déception devant des accords qui ont ‘‘apporté une solution pacifique au conflit européen qu'ils espèrent depuis des années’’.
‘‘Tous les Arabes et les musulmans des différentes régions du monde tiennent l'Allemagne en haute estime, et celle-ci est encore accrue par la lutte que ce pays mène contre le judaïsme, l'ennemi juré des Arabes’’, assure en février 1939 le roi Ibn Seoud d'Arabie. ‘‘Dans n'importe quelle conversation avec des Arabes, ceux-ci manifestent la joie que leur procure l'antisémitisme’’, explique de son côté, en mars 1939, un capitaine allemand de retour d'Afrique du Nord, von Xylander.
Au thème de l'antisémitisme s'ajoute celui de l'antisionisme qui devient central dans le discours nazi après 1938. En septembre de cette année-là, lors de la fête annuelle du parti à Nuremberg Hitler termine son discours par ces mots qui annoncent la crise des Sudètes: ‘‘Il n'y aura pas de deuxième Palestine au cœur de l'Europe.’’ Les témoignages concordent là-dessus du Maroc à l'Irak l'opinion arabe semble avoir été favorable à l'Axe.»10
Bien sûr, que les Allemands soient les ennemis des Anglais et des Français qui colonisent les musulmans joue un rôle dans la germanophilie primaire du monde arabe, laquelle d’ailleurs date de l’Empire ottoman et de la politique complice à son égard de Guillaume II.
«Dans sa version pangermaniste et militariste, l'Allemagne fascine depuis longtemps le nationalisme arabe, comme le reconnaît le Syrien Sami al-Jundi: ‘‘Nous étions racistes. Nous étions fascinés par le nazisme, lisant ses ouvrages et ceux des sources de sa pensée, en particulier Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, l'Adresse à la nation allemande de Fichte, Les Fondements du XIX siècle de H. S. Chamberlain. Nous fûmes les premiers à vouloir traduire Mein Kampf. Quiconque a vécu à Damas durant cette période se souvient de l'engouement général pour le nazisme, qui paraissait la seule force capable de servir la cause arabe. Le faible admire toujours le fort.»11
Mais cela n’enlève rien (l’un n’étant pas pas la cause de l’autre) à l’importance fondamentale, pour les Arabes de Palestine et d’ailleurs – plus seulement les intellectuels nationalistes et panarabes mais les masses galvanisées –, de l’antisémitisme génocidaire nazi qui fait écho au leur, avéré par des pogroms et des massacres récurrents.
Le génocide nazi est ainsi ouvertement connu et soutenu par le grand Mufti de Jérusalem réfugié à Berlin, dont l’influence sur ses contemporains dans le monde arabe fut considérable.
« Très tôt informé de la réalité de la ‘‘Solution finale’’, il suggère que les réfugiés juifs d'Europe, en particulier les enfants, soit concentrés en Pologne pour y être placés ‘‘sous l'active surveillance des Allemands’’. Il s'oppose à toute émigration de Juifs vers la Palestine, et pour cela, contacte personnellement plusieurs dirigeants européens. Lors de la chute de Tripoli (Libye) aux mains des Anglais, il demande d' ‘‘épurer’’ (Judenrein) la ville de ses Juifs et de confisquer leurs biens. Il est convaincu que l'éradication du Yichouv en Palestine ne peut passer que par la ‘‘solution finale’’ de la question juive en Europe et au Proche-Orient puisqu'il pousse l'Axe à inclure dans ses plans génocidaires les Juifs du Maghreb et du Proche-Orient. Dans ses Mémoires, le Mufti rapporte son entretien avec Hitler à ce sujet: ‘‘La condition fondamentale que nous avions posée aux Allemands pour notre coopération était d'avoir les mains libres dans l'éradication de tous les Juifs, jusqu'au dernier, en Palestine et dans le monde arabe. J'ai demandé à Hitler qu'il me donne son engagement explicite pour nous permettre de résoudre le problème juif d'une façon conforme à nos aspirations nationales, correspondant aux méthodes scientifiques inventées par l'Allemagne dans son traitement des Juifs. J'obtins la réponse suivante: 'Les Juifs sont à vous'.’’»12
Bien évidemment, cet hitlérisme arabe ne disparaît pas avec la chute des nazis, qui demeurent une référence respectable et enviée jusqu’à nos jours dans le monde arabe :
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